Considérations sur l’art de la pancarte

Depuis plus de cent jours, des associations étudiantes font grève au Québec. Elles en ont contre la volonté du gouvernement du premier ministre Jean Charest d’augmenter les droits de scolarité universitaires.

Les opposants à la hausse portent le carré rouge. Le vert est pour ceux qui ne sont pas d’accord avec les rouges. Ceux qui revendiquent une trêve ont choisi le blanc. Quelques-uns, plus rares, croient que le noir s’impose : «Je le porterai pour me rappeler que je suis en deuil de la démocratie», écrivait Normand Baillargeon sur son blogue le 18 mai.

Le conflit a évidemment donné lieu à nombre de réflexions sur les mots utilisés par les uns et les autres. (L’Oreille tendue vient de regrouper les siennes sous la catégorie ggi, pour grève générale illimitée. C’est en bas à droite.)

Il a aussi donné lieu à la rédaction de beaucoup de pancartes. L’Oreille parlait de celles-ci le 27 mai à la radio de Radio-Canada (on peut l’entendre ici). Ci-dessous, les considérations formulées à ce moment-là, et d’autres.

Deux remarques préalables.

Il existe sûrement des milliers de pancartes liées au présent conflit. L’Oreille, à partir du dépouillement de la Presse et du Devoir, et en se servant de quelques sites, en a consulté environ 400; elle n’a pas la prétention d’épuiser le sujet. On lira les propos ci-dessous comme une première série d’interprétations et d’hypothèses.

Une pancarte, c’est, le plus souvent, du texte, mais aussi une calligraphie, de la couleur, une photo ou un dessin. L’Oreille parlera surtout texte. Elle sait qu’elle va faillir sémiologiquement.

1. Figures politiques

Rien d’étonnant : les principales figures représentées sur les pancartes sont politiques. Il est donc largement question de Jean Charest, des ministres de l’Éducation, du Loisir et du Sport, d’abord Line Beauchamp puis Michelle Courchesne, et du ministre des Finances, Raymond Bachand. Ils ne sont pas exagérément bien traités.

2. Figures culturelles

Les étudiants en grève profitent de l’occasion pour afficher leur culture.

Si on en croit leurs pancartes, ils seraient notamment appuyés par Edgar Allan Poe, Voltaire, Albert Camus, Réjean Ducharme, Malevich, Descartes — et Louis-Ferdinand Céline. Ce dernier appui n’est peut-être pas du meilleur aloi.

La citation culturelle, fidèle ou légèrement modifiée, est largement pratiquée par les manifestants :

«L’enfer c’est la hausse» (Jean-Paul Sartre).

«On va toujours trop loin pour les gens qui ne vont nulle part» (Pierre Falardeau).

«Il y a des pays où l’État paie l’étudiant et lui dit merci» (Félix Leclerc).

3. Palmarès

L’auteur le plus souvent évoqué pourrait être Albert Camus, avec cinq apparitions.

Il serait suivi de près par le hockeyeur Scott Gomez, avec quatre mentions, par exemple : «La hausse… encore moins rentable que Gomez !». (Gomez est le joueur le mieux payé des Canadiens de Montréal et il vient de connaître une saison catastrophique.)

4. Pédagogie

On ne saurait reprocher aux concepteurs de pancartes d’afficher leurs lectures. En revanche, ils auraient pu être un brin plus sensibles à la portée pédagogique de leur mouvement.

Se promener avec «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme» au-dessus de la tête est légitime. Pourquoi ne pas dire que cette phrase est de Rabelais ?

Pourquoi ne pas indiquer que «Nous sommes devenus les bêtes féroces de l’espoir» et «Nous sommes arrivés à ce qui commence !» sont des emprunts au poète Gaston Miron ?

5. Efficacité

Certaines pancartes n’ont pas le punch souhaité.

Le cas le plus radical est peut-être celui-ci : «Hausser les frais c’est vendre des diplômes bidons comme l’Église vendait des indulgences au XIVe siècle.» Peut mieux faire.

Émile Durkheim est une figure tutélaire de la sociologie. Mais quel peut être le sens de son patronyme employé seul sur une pancarte ?

Victor Hugo aurait écrit : «Mieux vaudrait encore un enfer intelligent qu’un paradis bête.» Manifeste-t-on vraiment pour aller en enfer ?

6. Curiosités

Il y a des pancartes rouges. Il y en a aussi, beaucoup moins, des vertes.

Registre juridique : «On vous a respectés pendant 8 semaines, maintenant respectez la loi.»

Registre comique : «Quelle mouche vous a piquetés ?».

7. Curiosités, bis

«Coiffeuse en colère», dit une manifestante. Mais pourquoi ?

8. Body painting

Les manifestants, en quelques occasions, se sont transformés en manufestants : ils déambulaient presque nus.

Certains avaient leur pancarte à la main. D’autres devenaient pancartes, leur message étant écrit sur eux.

«Charest, tu veux notre peau ! Non.»

«Prend [sic] garde !»

«Nous sommes à un poil de la solution.»

«Line Beauchamp m’a volé mes vêtements !»

«Le corps étudiant contre la hausse.»

Euphonie oblige, l’Oreille a un faible pour celle-ci : «On se les gèle pour le gel.»

9. Grammaire

La grève étudiante aura servi de révélateur quant à la situation de l’enseignement de la langue au Québec.

Line Beauchamp est restée «pantoite» à la suite de certaine discussion avec les leaders étudiants. Sa remplaçante a solennellement déclaré le 23 mai : «Je pense sincèrement que nous pouvons se rasseoir positivement, constructivement.»

Les brandisseurs de pancartes ne s’en tirent guère mieux :

«Négocies [sic] ostie

«Prend [sic] garde !»

«Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcherons [sic] pas le printemps.»

Au retour de la grève, il faudra se pencher sur le problème de l’enseignement des verbes dans la Belle Province.

10. Grève chiffrée

Le gouvernement a d’abord parlé d’une augmentation de 1625 $. À un moment, il a été dit que cela représentait 50 ¢ par jour d’augmentation. Plus tard encore, le même gouvernement a imposé une loi fort impopulaire, la loi 78. Pendant les manifestations contre celle-ci, une policière de Montréal — «Matricule 728» — aurait fait du zèle.

Tous ces nombres se retrouvent sur les pancartes.

C’est normal : «J’ai pas mes maths 536 mais je sais compter.»

11. Portraits

Parfois, les mots ne sont pas nécessaires : une image en vaut mille.

Les visages du commentateur Richard Martineau, du reporter Claude Poirier et de Jean Charest se voient agrémentés d’un nez de clown, rouge, comme il se doit. L’image dénigre.

Elle peut aussi marquer le respect : ce sera un portrait de la syndicaliste Madeleine Parent, morte le 12 mars 2012, auquel on aura collé un carré rouge.

12. Insultes et injures

Le conflit est long. Il rassemble, et oppose, des milliers de personnes. Dans les médias dits «sociaux», dont le rôle est capital dans les événements actuels, les intervenants ne sont pas toujours, pour emprunter une expression au Devoir, «en mode retenue» (23 mai 2012, p. A7); c’est le moins qu’on puisse dire. Dès lors, qu’il y ait des dérapages était prévisible.

Cela n’excuse pas de traiter une commentatrice de «salope», comme cela est arrivé à Sophie Durocher.

«Beauchamp est dans le champ» relève de l’humour, tout en marquant le désaccord. Accompagner cette phrase d’un dessin de vache auquel on a greffé la tête de la ministre est grossier.

Il y a toutes sortes de raisons d’en vouloir à Jean Charest, mais ce n’est pas un «fasciste».

La preuve en est faite une fois de plus : les conflits mènent à l’hyperbole. Ça ne dispense pas de le déplorer.

(L’Oreille se contente d’exemples banals. Il y a pire.)

13. Figures culturelles, bis

C’est affaire de générations. Chaque manifestant a ses propres références.

Harry Potter : «À Poudlard, c’est gratuit, pourquoi pas ici ?»; «Dumbledore serait pas d’accord.»

Star Wars : «Au côté éduqué de la force joins toi», à côté d’un portrait de maître Yoda; «Lyne, je suis ton père», au-dessus de celui de Darth Vader.

Buzz Lightyear : «Vers la gratuité et plus loin encore.»

Chuck Norris : «1ère étape : grève. 2e étape : manif. 3e étape : Chuck Norris.»

Mafalda : «Le pire c’est quand le pire commence à empirer.»

Ninja : «Ninja go contre les libéraux.»

Le Roi lion : «Pour le gouv. Charest, la GGI est la meilleure diversion depuis Timon déguisé en vahiné…».

Tout le monde ne s’y retrouve pas.

14. Le goût du jour

Sauf une fois au chalet est une expression à la mode ? On lira «Sauf une fois dans le budget».

«Mon père est riche en tabarnak», éructe une jeune personne avinée sur YouTube ? Cela donnera «C’est pas tous les pères qui sont riches en tabarnak», «Mon père n’est pas riche en tabarnak» ou, dans un registre différent, «Mon recteur est riche en tabarnak».

Le gouvernement promeut un ambitieux «Plan Nord» ? On lui répondra «Charest a perdu le nord» ou «À quand un plan nord pour l’éducation ?».

Crise et actualité vont main dans la main.

15. Autoréflexivité

La grève dure depuis trop longtemps. La preuve ? La pancarte devient sujet de pancarte : «Ma pancarte m’a abandonné… comme mon gouvernement»; «La loi 78 censure ma pancarte.»

16. Palmarès, bis

Chacun a ses pancartes favorites. L’Oreille en retient trois.

Parmi les arguments du gouvernement de Jean Charest pour justifier la hausse, il y avait la «juste part» exigée des étudiants. Réponse : «Charest : juste pars».

Chez les jeunes, le swag est une qualité très recherchée. Personne ne penserait associer ce terme à un quinquagénaire légèrement enveloppé et portant des complets sombres. Et pourtant : «Charest, t’as pas de swag !».

La préférée de l’Oreille, entre toutes ? «Mon père est dans l’anti-émeute.» Elle dit la violence, mais sans hostilité : devant les manifestants, il y a les policiers membres de l’escouade anti-émeute. Elle marque l’appartenance au mouvement des étudiants : je suis avec vous, même si mon père est policier. Elle rappelle aux policiers que ce sont leurs enfants qui défilent, plus ou moins pacifiquement. Elle est une mise en garde — aux forces de l’ordre en général, à un policier en particulier : ne me maltraite(z) pas. Elle refuse la violence verbale. Ce feuilleté de sens réjouit.

 

[Complément du 2 juin 2012]

«Mon père est dans l’anti-émeute», c’est aussi le conflit des générations, remarque un collègue de l’Oreille. Bien vu.

On prolongera la réflexion sur la douzième considération ci-dessus en lisant l’article de Catherine Lalonde, «Les sacres du printemps. Insultes, injures, et gros mots exultent dans la rue», dans le Devoir des 2-3 juin 2012 (p. A1 et A12).

 

[Complément du 21 juin 2012]

Un article de la Presse du 16 juin 2012 cite la pancarte suivante : «Policiers, vos enfants sont aussi des étudiants» (p. A20). Cette version de «Mon père est dans l’anti-émeute» est nettement moins réussie, car dépersonnalisée.

L’article porte sur les slogans entendus dans les rues de Montréal durant les manifestations printanières.

Les zeugmes de Twitter, et du dimanche matin

@OlivierQuelier : «Par chance, un peu plus loin, dans le chapô d’un article sur Cotillard, un joli zeugme : “[elle] perd ses deux jambes, et ses illusions”.»

@bailly : «Petit a, tu composes le gouvernement, et petit b, le numéro de téléphone des futurs ministres. Zeugme du jour.»

@LaLangelliere : «Liberté, de Paul Éluard et de circonstance : http://www.poetica.fr/poeme-279/liberte-paul-eluard/

@AudreyPariss : «Check out Two Feet Stand Up from MMOTHS : http://t.opsp.in/1Cxu5 Brendan Canning en couleur et en moustache!!»

@PimpetteDunoyer : «#ff à des filles pleine d’esprit et d’avenir (très mauvais zeugme) @caroline_gm @haselnut

@OursAvecNous : «Il y a longtemps que vous rêvez de vous faire raconter en audio et en Allemand du Astérix ? C’est par ici : http://www.youtube.com/watch?v=WGafN83tVaw

@GarpAvecArobase : «en vacances et en vitesse : coucou avec la main et à très vite, toutes & tous !» (via @ljodoin)

@desrosiers_j : «Proust zeugmant : “…du monsieur médiocrement habillé, lequel parut perdre à la fois toute contenance, une mâchoire, et beaucoup de sang”.»

@francisroyo : «Les zeugmes du dimanche matin / sont toujours à point et à l’heure. / https://oreilletendue.com/2012/04/22/les-zeugmes-du-dimanche-matin/

Repris par l’Oreille tendue, ce zeugme devient évidemment autoréflexif.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Du tintinologue

Hergé au Québec, 1965, affiche

 

[Lecteur, si Tintin t’ennuie, passe ton chemin.]

«J’ai lu Coke en stock
Au motel Jenny Rock»
Lucien Francoeur

L’année dernière, l’Oreille tendue a recueilli quelques-uns de ses textes sur la lettre, dont un «Tintin (non-)épistolier», sous le titre Écrire au pape et au Père Noël. Cabinet de curiosités épistolaires (Del Busso éditeur). Rendant compte du livre, Christian Vandendorpe dit de l’Oreille qu’elle est un «tintinologue averti». C’est lui faire trop d’honneur.

Cela l’a néanmoins entraînée à se poser la question suivante : qui, parmi les auteurs qu’elle connaît, classerait-elle dans la catégorie des «tintinologues» ? Voici quelques noms, par ordre alphabétique de prénom, Tintin oblige. (Tristan Demers étant dans une classe à part, il est exclu de l’énumération ci-dessous.)

Bertrand Laverdure : «Ce n’est pas très long avant que je n’entende une longue plainte grinçante qui me fige sur place. Une espèce de son de yéti comme dans Tintin au Tibet, une onomatopée interminable» (Bureau universel des copyrights. Roman, Chicoutimi, La peuplade, 2011, 142 p., p. 114).

Didier Daeninckx : «Une jeune femme promenait son chien, une sorte de Milou manucuré dont le collier tintinnabulait avec le même son agaçant qu’une clochette d’épicier» (À louer sans commission, édition numérique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Mauvais genres», 2011 [1991], ch. 4).

Douglas Coupland : «E-mail from Abe : Im re-reading all my old TinTin books, and I’m noticing that there are all of these things absent in the Boy Detective’s life…religion, parents, politics, relationship, communion with nature, class, love, death, birth…it’s a long list. And I find that while I still love TinTin, I’m getting currious about all of its invisible content» (Microserfs, Toronto, HarperPerennial, 1996 [1995], 371 p., p. 191).

Éric Chevillard : «Fuyons, mon vieux Milou !» (Oreille rouge, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 44, 2007 [2005], 158 p., p. 97).

Éric Plamondon : «Tintin et Milou» («34. Symboles», dans Hongrie-Hollywood Express. Roman. 1984 — Volume I, Montréal, Le Quartanier, série «QR», 44, 2011, 164 p., p. 69).

François Hébert : «Elle ramassa le cartable du petit et alla le ranger dans sa chambre. Quel désordre ici. Au mur, décollée à l’un des angles, la photo d’un gardien de but, s’élançant devant un ballon qui n’arrivait pas. Une chaussette sur un Tintin, tiens, c’est On a marché sur la lune» (le Rendez-vous. Roman, Montréal, Quinze, coll. «Prose entière», 1980, 234 p., p. 218); «tu as bu tous les livres / Mallarmé Malcolm Lowry ô Tryphon Tournesol» («Mai 68», dans comment serrer la main de ce mort-là, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2007, 92 p., p. 45); «Jaime lit les bédés, il a connu Tintin, Babar, / Superman, Spiderman. Les bandits de Cinar, j’ignore» («Chant vingt-septième», dans Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p., p. 45-46, p. 45).

Gilles Marcotte : «Mais il y eut, bloquant la sortie, ce personnage un peu bizarre, très correct, exagérément correct, comme déguisé, vêtu d’un complet noir comme il convenait, mais que sa moustache faisait ressembler, au choix, à Adolf Hitler, au philosophe Heidegger ou à l’un des frères Dupont» (le Manuscrit Phaneuf. Roman, Montréal, Boréal, 2005, 216 p., p. 46).

Hugo Roy : «Le jeune reporter représentait pour moi l’accès à des mondes mystérieux, remplis de guet-apens, de complots, de brownings et de passages secrets, des mondes d’où l’on ne pouvait espérer sortir sans la vivacité du fidèle ami de Tchang. J’enviais cette qualité à Tintin, l’insolence de Robin des Bois, la ténacité d’Edmond Dantès et la perspicace assurance d’Arsène Lupin» (l’Envie, Montréal, Boréal, 2000, 204 p., p. 55).

Julien Blanc-Gras : «Mais je ne suis pas vraiment à l’aise avec l’idée de faire porter mon barda par des femmes et des enfants. Tintin au Congo, pas terrible» (Touriste, Vauvert, Au diable vauvert, 2011, 259 p., p. 219).

Laurent-Michel Vacher : «Universaux : terme emprunté à la scolastique médiévale et désignant les concepts généraux — correspondant non pas à un individu (Milou), mais à des classes, des genres ou des espèces (chien, animal)» (Découvrons la philosophie avec François Hertel, Montréal, Liber, 1995, 194 p., p. 78 n.).

Marc Robitaille : «Il n’y avait rien à faire alors j’ai relu Tintin au Tibet» (Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142, p. 140; voir aussi p. 136-137).

Michel Lefebvre : «Quand je me demande pourquoi j’aime tant lire, […] je me souviens avoir reçu en prime un porte-clés Tintin et Milou à l’achat du tout premier numéro de l’hebdomadaire Tintin distribué régulièrement au Québec; je me souviens que c’était aux environs de Pâques» (Je suis né en 53… Je me souviens, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «amÉrica», 2005, 132 p., p. 127).

Michel Michaud : «Et puis la seule image que je connaissais de ce ruminant à tête de chameau [le lama], c’était son côté cracheur d’eau à la barbe du capitaine Haddock dans Tintin et le Temple du Soleil» (Coyote, Montréal, VLB éditeur, 1988, 288 p., p. 267).

Michel Tremblay : «Aujourd’hui, cet album me ferait frémir, mais le petit garçon qui lit les aventures de Tintin et de Milou, le chien parlant, sur le balcon de l’appartement de la rue Fabre ne connaît ni la Belgique ni le Congo belge, il n’a encore aucune notion du colonialisme, même s’il en est une victime culturelle depuis sa naissance en tant que Québécois, et il dévore sa première bande dessinée sans arrière-pensée, tout heureux de découvrir que Tintin n’est pas si plate que ça, en fin de compte» («Tintin au Congo», dans Un ange cornu avec des ailes de tôle. Récits, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1994, 245 p., p. 48-64, p. 61).

Nicholson Baker : «The pictures were very important to the story, because Hergé was such a good drawer, especially of mountains and people climbing mountains wearing backpacks» («39. Reading Tintin to Her Babies», dans The Everlasting Story of Nory. A Novel, New York, Random House, 1998, 226 p., p. 155-158, p. 156); «“Guano” was one of my favorite words back then—I’d learned it from Tintin» (The Anthologist. A Novel, New York, Simon & Schuster, 2009, 243 p., p. 75).

Nicolas Ancion : «Voilà. Tout était compris dans ces trois mots. Fabriqué en Chine. Et Tom avait décidé de retrouver sa vraie mère, sa maman de Chine. Une gentille Chinoise avec des yeux bridés et des souliers minuscules, comme dans Le lotus bleu, qui serrerait Tom dans ses bras avec autant d’amour qu’au jour où elle l’avait cousu. Et le seul moyen de la retrouver, sa mère, c’était de remonter la filière» (Les ours n’ont pas de problème de parking, édition numérique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Fiction 17», 2011 [2001], ch. «Le chien brun et la fleur jaune de Chine»).

Nicolas Dickner : «Dès le premier regard, par exemple, on tombe sur trois guides de voyage raisonnablement récents (Indonésie, Islande, Hawaï), un exemplaire à peine égratigné d’un album de Tintin (Coke en stock), le Ashley Book of Knots (en bon état mais sans couverture) et une édition spéciale de la Vie mode d’emploi (finement reliée)» (Nikolski, Québec, Alto, 2006, 325 p., p. 318-319; voir aussi p. 266).

Yves Pagès : «Au loin, la carcasse d’un zinc échoué dans la neige. Milou y déniche un poulet congelé de longue date. Tintin, lui, déchiffre le nom de son petit protégé gravé sur la paroi d’une grotte. Aujourd’hui, le Yéti est au chômage technique» («Figuration libre», dans Petites natures mortes au travail. Récits, Paris, Verticales et Seuil, 2000, 122 p., p. 37-44, p. 43).

La compagnie n’est pas trop mauvaise.

Cela étant, je serais Tintin, je m’inquiéterais. Sur 21 citations, six portent sur Milou, une sur les Dupont, une sur le professeur Tournesol, une sur Tchang, une sur le capitaine Haddock. Ce n’est pas un peu beaucoup pour les seconds couteaux ?

P.-S. — L’Oreille doit bien le confesser : il y a un peu de tintinologue en elle. Surtout si on ajoute ceci et cela à ce qui précède.

 

[Complément du 7 avril 2013]

Préparant du matériel pour ses Curiosités voltairiennes, l’Oreille tombe sur un texte de Michel David paru dans le Devoir du 28 septembre 2007, «Comme disait Voltaire». Il y est question de la résidence somptueuse de Pauline Marois, qui n’était pas encore première ministre du Québec. Comment David appelle-t-il ce «château» ? «Moulinsart-en-l’Île-Bizard» (p. A10).

 

[Complément du 14 avril 2013]

Du nouveau sur cette résidence : «“La Closerie”, domaine inspiré du Château de Moulinsart des aventures de Tintin, est située à l’Île-Bizard» (la Presse, 13 avril 2013, p. A8). «Inspiré» : vraiment ?

 

[Complément du 26 août 2013]

Le premier mot du sous-titre de Téléthons de la Grande Surface (inventaire catégorique), le livre que publiait Marc-Antoine K. Phaneuf en 2008 (Montréal, Le Quartanier, 188 p.), indique clairement sa nature formelle : Listes, poésie, name-dropping. L’ouvrage est en effet constitué uniquement de listes, regroupées en huit sections : «Listes de gens», «Listes alimentaires», «Listes d’objets», «Listes géographiques», «Listes scientifiques», «Listes sportives», «Listes culturelles», «Listes musicales». Elles sont faites de mots tirés de la vie courante, de la musique, du cinéma, du sport, de la télévision, de la chanson, de la culture populaire et de la culture savante. Et de la bande dessinée.

La série Astérix n’est nommée qu’une fois, pour les Douze Travaux d’Astérix (p. 127). Les Tintin, en revanche, sont très souvent cités. Parfois, il est question de personnages : Tintin et Milou (p. 16), les Dupont/d (p. 22), Rackham le Rouge (p. 37), le capitaine Haddock (p. 90), le professeur Tournesol (p. 135). Parfois, d’albums : l’Oreille cassée (p. 46), le Crabe aux pinces d’or (p. 91), l’Affaire Tournesol (p. 119), Vol 714 pour Sidney (p. 126). Moulinsart est là (p. 101), comme «des mèches dans le toupet Tintin» (p. 179).

Une fois cette liste dressée, un esprit chagrin pourrait déplorer l’absence de Milou dans «Au pet shop» (p. 88-89) et celle de Tintin au Tibet dans «Le péril jaune» (p. 104-105). Ne soyons pas des esprits chagrins.

 

[Complément du 27 janvier 2014]

Nicholson Baker précise sa lecture de Tintin dans «Thorin Son of Thráin» (1996) :

Two Tintin books — The Secret of the Unicorn and Red Rackham’s Treasure — were the first things I truly liked reading by myself. Golden Books was the publisher of a few Tintin titles then, and they had Americanized the text slightly : Haddock’s ancestral home was called Hudson Manor rather than the Marlinspike Hall of other Tintins that we ordered later on from England like jars of marmalade. I loved the shark-shaped one-man submarine, and Tintin’s shameless habit of talking to himself in his diving helmet while he was being stalked by the real shark, and the scene in which Thomson and Thompson, tired out, forget to keep cranking the air pump that leads below (éd. de 2013, p. 44).

 

Référence

Baker, Nicholson, «Thorin Son of Thráin», dans Michael Dorris et Emilie Buchwald (édit.), The Most Wonderful Books : Writers on Discovering the Pleasures of Reading, Minneapolis, Milkweed Editions, 1997; repris dans Nicholson Baker, The Way the World Works. Essays, New York, Simon & Schuster, 2013, p. 43-45.

 

[Complément du 1er août 2016]

Lisant ceci chez San-Antonio dans Salut mon pope ! : «Elle nous emporte dans sa cabine comme une vieille pie emporte des boucles d’oreilles dans son nid» (éd. de 1974, p. 239), comment ne pas penser aux Bijoux de la Castafiore ?

San-Antonio, Salut, mon pope ! Roman spécial-police, Paris, Fleuve noir, coll. «S.A.», 25, 1974, 254 p. Édition originale : 1966.

 

[Complément du 3 mars 2017]

Collecte du jour.

Hervé Bouchard : «Je possède de ça des images de moi dans un autobus, dans un avion, dans un campeur monté sur un F-150 de mil neuf sans que ça paraisse, où je suis couché comme Tintin dans sa fusée, pendant que le véhicule fait l’ascension circulaire de la montagne Baker» (Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 80, 2014, 170 p., p. 148).

Simon Brousseau : «Tu as huit ans, c’est le soir de Noël, et tu repères tout de suite, sous le beau sapin que tu as décoré la veille avec tes grands-parents, le cadeau qu’ils vont t’offrir et dont la forme laisse deviner l’album de Tintin que tu désires et qui manque à ta collection, Le Lotus bleu, avec sa rutilante couverture où un dragon tracé à l’encre de chine zigzague et semble sur le point de jaillir hors du livre, et lorsqu’à minuit tu peux enfin déballer ce cadeau, tu le fais avec un tel empressement que tu t’arraches l’ongle de l’index gauche, et même si tout le monde se rue sur toi, tu ne résistes pas à la tentation de tourner les premières pages» (Synapses. Fictions, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 107 p., p. 82-83).

Michael Delisle : «Il était beau comme Tintin : pâle, lèvres roses, yeux bleus, un peu blond» (le Feu de mon père. Récit, Montréal, Boréal, 2014, 121 p., p. 24).

Jonathan Franzen : «The most widely loved (and profitable) faces in the modern world tend to be exceptionally basic and abstract cartoons : Mickey Mouse, the Simpsons, Tintin, and — simplest of all, barely more than a circle, two dots, and a horizontal line — Charlie Brown» (The Discomfort Zone. A Personal History, New York, Picador, Farrar, Straus and Giroux, 2006, 195 p., p. 40).

Nicolas Guay : «Les aventures de Tintin et Ubu — l’oneille cassée» (l’Insoutenable Gravité de l’être (ou ne pas être), 2015 [deuxième édition], 100 p., p. 57. Édition numérique.).

François Hébert : «Dans le programme, on nous annonce que le professeur François-Xavier Nève de Mévergnies, de Liège, va nous parler de Tintin au Tibet. / Ce doit être un yéti, ce prof, avec un nom pareil» (De Mumbai à Madurai. L’énigme de l’arrivée et de l’après-midi. Récit, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2013, 127 p., p. 40); «Ne tournerais-tu pas en rond comme un Dupont d’Au pays de l’or noir ?» (p. 97); «Et voici le capitaine Haddock qui caracole sur une vache sacrée et enragée dans la communication de Swati Dasgupta : L’image de l’Inde dans la bande dessinée francophone : de Tintin à India Dreams» (p. 108).

Normand Lalonde : «Ce n’est tout de même pas ma faute si Les bijoux de la Castafiore sont un des sommets de l’art du vingtième siècle» (Autoportrait aux yeux crevés. Petites méchancetés et autres gentillesses, Montréal, L’Oie de Cravan, 2016, 60 p., p. 28); «Si je n’étais Tintin, je voudrais être Diogène» (p. 30).

Jean-Pierre Minaudier : «Ke mahal onerdecos s’ch proporos rabarokh !» est la traduction, en arumbaya, d’une célèbre phrase du capitaine Haddock : «Moules à gaufres ! Marchand de tapis !» (Poésie du gérondif. Vagabondages linguistiques d’un passionné de peuples et de mots, Le Rayol Canadel, Le Tripode, 2014, 157 p., p. 17 et p. 137)

Patrick Nicol : «Il y a quarante ans, quand son oncle lui parlait de Chypre — Marc le revoit, tel qu’il l’a vu alors, marchant entre les lignes ennemies, opposant la solidité de son casque bleu au cône mou des Turcs et à la calotte à pompons des Grecs (souvenir erroné de Tintin) —, les Russes n’avaient même pas le droit d’épargner» (Vox populi. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 98, 2016, 89 p., p. 35); «Le mot “aventure” lui fait penser également à Tintin, qui a beaucoup voyagé comme les souliers de la chanson (Marc s’amuse de la vivacité de son esprit)» (p. 62).

Patrick Roy : «Elle vivait seule avec deux chats qui aboutissaient toujours devant sa porte-fenêtre à lui, deux bâtards, un roux et un crème, Tintin et Milou, fallait-il être assez stupide» (L’homme qui a vu l’ours. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 09, 2015, 459 p., p. 56); «L’un d’eux, Maverick, préposé au terrain dans un stade de rugby, ressemblait au capitaine Haddock avec des cheveux roux et il était tout aussi gueulard» (p. 285); «Fitzpatrick avait l’impression de traverser le désert depuis des heures tant sa gorge était sèche. Il était pris dans un remake du Crabe aux pinces d’or. Il se retint de s’éponger le front» (p. 396).

 

Écrire au pape et au Père Noël, 2011, couverture

Images de Butch

[Lecteur, si tu ne t’intéresses pas aux relations du sport et de la culture, passe ton chemin.]

Émile «Butch» Bouchard, l’ex-défenseur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — de 1941 à 1956, est mort le 14 avril; il était né en 1919. Il n’occupe pas, dans les représentations culturelles de ce sport, la même place que Maurice Richard, Jean Béliveau ou Guy Lafleur, voire que Lorne Worsley, mais il a néanmoins été objet de discours.

C’est le cinéma qui lui a accordé le plus de place. Il apparaît notamment dans des films de Gérard Pelletier (Passe-partout : «Le sport est-il trop commercialisé ?», 1955), de Gilles Gascon (Peut-être Maurice Richard, 1971), de Jacques Payette (le Rocket / The Rocket, 1998) et de Karl Parent et Claude Sauvé (Maurice Rocket Richard, 1998). Deux autres films méritent d’être présentés un peu plus longuement.

Parmi les lieux communs les plus récurrents sur l’histoire du hockey à Montréal, on trouve celui de l’exploitation économique des joueurs (souvent francophones) par leurs patrons (souvent anglophones). Un exemple parmi cent : «Maurice Richard était sous-payé et exploité parce qu’il était canadien-français», écrit Normand Lester en 2003 (p. 10). Les joueurs auraient été victimes de leurs employeurs. On peut relativiser ce type de jugement, et les déclarations filmées d’Émile Bouchard y contribuent.

S’il est vrai que Maurice Richard n’a pas toujours été payé à sa valeur (marchande) du temps qu’il était joueur, il ne faudrait pas oublier que son origine ethnique n’était peut-être pas la seule cause de cet état de fait. À l’époque de Richard, il y a eu au moins un joueur mieux payé que lui chez les Canadiens de Montréal, mais c’était lui aussi un Canadien français, Jean Béliveau, qui rappelle le fait dans ses Mémoires en 2005. Il y a donc lieu de se demander quelle est la part de responsabilité des joueurs eux-mêmes dans les négociations de travail.

Dans Maurice Richard. Histoire d’un Canadien / The Maurice Rocket Richard Story (1999), Jean-Claude Lord et Pauline Payette donnent la parole à l’ancien numéro 3 des Canadiens : «Dans ce temps-là, on était imbéciles», affirme-t-il. Pourquoi ? Parce que les joueurs ne discutaient pas entre eux de leur salaire, ce qui les privait du pouvoir de négocier. Arrive cependant le début de la saison 1947 : constatant qu’il y avait «un peu d’abus», Bouchard et Richard décident de faire «front commun» pour négocier leur contrat. Certains iront jusqu’à parler de grève. La leçon se sera pas immédiatement entendue ni par eux ni par leurs coéquipiers : Bouchard et Richard n’obtiendront pas gain de cause; les joueurs ne se rassembleront en syndicat que bien plus tard. Pourtant, quelque chose était peut-être en train de changer.

Maurice Richard. Histoire d’un Canadien est un docudrame; Maurice Richard / The Rocket (2005), de Charles Binamé, est une fiction. Le personnage de Bouchard, joué par Patrice Robitaille, fait partie d’une série de personnages qui déterminent, plus qu’il ne le fait lui-même, les choix, sur la glace et hors de celle-ci, de Maurice Richard : sa femme, son entraîneur, Dick Irvin (d’abord et avant tout), son directeur gérant, Frank Selke, un représentant syndical, son coiffeur, son nègre (Richard était joueurnaliste à ses heures). C’est son entourage qui dicte quoi faire au Rocket.

Cela est parfaitement clair quand il est question du statut social de Richard. Binamé propose une interprétation clairement nationaliste de la carrière de celui-ci. Richard est moqué à Montréal comme ailleurs parce qu’il ne parle pas anglais, lui qui est entouré d’anglophones, la plupart du temps en position d’autorité, qui ne lui veulent pas que du bien : le patron de l’usine où, jeune homme, il travaille, Dick Irvin, Frank Selke ou Clarence Campbell, le président de la Ligue nationale de hockey. Maurice Richard serait leur victime parce qu’il est canadien-français.

C’est le personnage d’Émile Bouchard qui, dans le film, est chargé de faire comprendre à Richard ce qu’il est pour les siens, et quelles responsabilités cela entraîne. La scène se déroule dans un train, la nuit, et Bouchard déclare ce qui suit à son coéquipier : «Toi, faut qu’tu donnes un sens à c’que tu fais.» On peut s’interroger sur le réalisme supposé de cet échange, mais il est reste que Binamé, comme Lord et Payette, fait d’Émile Bouchard la voix de l’affirmation des joueurs contre ceux qui les emploient. Voilà un leader.

Émile «Butch» Bouchard

Mais il n’y a pas que le cinéma.

Butch Bouchard est présent dans cinq chansons. On y vante ses talents de passeur : «Quand sur une passe de Butch Bouchard i prenait le puck derrière ses goals» (Pierre Létourneau, «Maurice Richard», 1970); «Butch Bouchard à Savard vers Béliveau» (Loco Locass, «Le but», 2009). On apprécie la qualité de son jeu défensif : «Avec Butch à leurs côtés / Les goals seront bien gardés» (Denise Émond, «La chanson des étoiles du hockey», 1956). On notera qu’il n’est jamais représenté seul : «Maurice Richard qui part avec grand Butch Bouchard» (La famille Soucy, «Le club de hockey Canadien», 1954); «Morenz Joliat pis les deux Richard / Bonin Béliveau pis Geoffrion / Sans oublier not’Butch Bouchard / Hourra pour nos champions» (Oswald, «Les sports», 1960). Émile Bouchard, capitaine des Canadiens de 1948 à 1956, était, encore et toujours, un joueur d’équipe.

La peinture, à l’exception de Bernard Racicot, ne s’est guère intéressée à Bouchard. En matière de sculpture — on se souviendra qu’il y a quatre statues de Maurice Richard à Montréal —, ce n’est guère mieux : une fresque en sept scènes, signée Jules Lasalle, orne la façade de l’aréna Émile-Butch-Bouchard de Longueuil. L’Oreille tendue ne connaît qu’un roman où il est question de Bouchard, la Poussière du temps (2005), de Michel David, mais c’est pour son restaurant, rue De Montigny, à Montréal (p. 400). Bill Templeman semble être le seul poète à avoir chanté le joueur, sur le mode de la nostalgie : «It used to be a game of skill and grace when the Rocket played / along with Geoffrion and Bouchard. Now it is a game of thugs» (p. 194). La bande dessinée ? Sur la couverture de la Patinoire en folie de Pierre Huet (2011), un personnage ressemble fort à Bouchard; il ne réapparaîtra pas dans l’intrigue.

Émile «Butch» Bouchard en bande dessinée

D’autres joueurs ont occupé plus de place qu’Émile Bouchard dans la culture québécoise. Il en a pourtant une, marquée par sa contribution à son équipe, à ses coéquipiers et à son sport, plus que par ses exploits personnels.

P.-S. — L’Oreille tendue a donné un entretien sur ces questions à Franco Nuovo, à la radio de Radio-Canada, le 15 avril. On peut l’entendre ici.

 

Références

Béliveau, Jean, avec Chrys Goyens et Allan Turowetz, Jean Béliveau. My Life in Hockey, Vancouver, Greystone Books, 2005, xii/312 p. Ill. Foreword by Wayne Gretzky. Introduction by Allan Turowetz. Traduction : Ma vie bleu-blanc-rouge, Montréal, Hurtubise HMH, 2005, 355 p. Ill. Préface de Dickie Moore. Avant-propos d’Allan Turowetz. Traduction et adaptation de Christian Tremblay.Édition originale : 1994.

David, Michel, la Poussière du temps. Tome I. Rue de la Glacière, Montréal, Hurtubise HMH, 2005, 456 p.

Huet, Pierre, la Patinoire en folie, Montréal, Les 400 coups, coll. «Strips», 2011, 62 p. Avec la participation de Patrick Moerell.

Lester, Normand, «1. La discrimination dans le sport. Maurice Richard : la fierté d’un peuple», dans le Livre noir du Canada anglais 3, Montréal, Les Intouchables, 2003, p. 14-26.

Templeman, Bill, «They Don’t Play Hockey Here Any More : The Montreal Forum’s Chief Ghost Meditates Upon the History of the Game», dans Dale Jacobs (édit.), Ice. New Writing on Hockey. A Collection of Poems, Essays, and Short Stories, Edmonton, Spotted Cow Press, 1999, p. 194-197.

Sur le Web

Émile «Butch» Bouchard

Exposition Bienvenue Chez Butch Bouchard !

Temple de la renommée du hockey (Toronto)

Wikipédia

Ayoye (!)

Fromage Ayoye ! (La Chaudière, Lac-Mégantic)

Soit le titre suivant, vu il y a quelques jours dans le journal le Devoir : «Ayoye ! Yahoo ! élimine 2000 postes» (5 avril 2012, p. B3).

Ayoye, donc.

Cette interjection peut désigner, à la manière de aïe, la douleur.

«Ayoye tu m’fais mal / à mon cœur d’animal / l’exilé immigré de l’intérieur» («Ayoye», chanson du groupe Offenbach, 1978).

Cette acception n’est pas récente. On trouve le mot, en ce sens, dans l’adaptation en bande dessinée du roman Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon, sous le titre Séraphin illustré (textes de Grignon, dessins d’Albert Chartier), qu’a publiée le Bulletin des agriculteurs de 1951 à 1970 (éd. de 2010, p. 90).

Dessin d’Albert Chartier

L’interjection peut aussi marquer l’étonnement, voire, dans certains cas, l’admiration.

«Ayoye les fonds !» (la Presse, 30 janvier 2012, cahier Affaires, p. 3).

Il arrive que les deux registres se mêlent.

«Jackass : ayoye !» (la Presse, 5 avril 2004, cahier Arts et spectacles, p. 4).

On voit ayoye aussi bien avant qu’après l’énoncé qu’elle qualifie.

«Ayoye ! Entre en scène Julie Snyder» (le Devoir, 15-16 mars 2003).

«Un hockeyeur japonais dans la LNH ? Ayoye !» (la Presse, 8 février 2001).

«Le hasard nous mord les fesses. Ayoye !» (Ça va aller, p. 83).

Le point d’exclamation postposé est fréquent, mais pas indispensable.

«Ayoye, mettons» (le Devoir, 19 janvier 2012, p. B6).

On trouve aussi d’autres graphies qu’ayoye.

Ayoï

«pour se plaindre opopoï
disaient les Grecs Gérald Godin disait
ayoï» (comment serrer la main de ce mort-là, p. 18).

«Ayoï ! Ayoï ! Ayoï ! Ayoï !» (Mailloux, 38).

Haa yöye

«HAA YÖYE !» (la Presse, 4 juin 2008, p. A17, publicité pour Volvo).

C’est comme ça.

P.-S. — Selon Amy J. Ransom, ayoye serait «the Québécois equivalent of the Yiddish “Oy vey”» (2011, p. 124). Le yiddish de l’Oreille tendue étant ce qu’il est, celle-ci préfère ne pas exprimer d’opinion sur cette équivalence supposée.

 

[Complément du 9 janvier 2013]

Pour un effet d’insistance, on peut aussi écrire «A.YO.YE», comme l’a fait @NieDesrochers le 8 janvier 2013 dans un tweet (malheureusement) disparu.

 

[Complément du 27 juin 2014]

Deux autres graphies encore, l’une et l’autre chez le bédéiste Luc Giard :

Ayoill (Kesskiss passe Milou ?, p. 29 et 33; Tintin et son ti-gars, p. 3)

Ayioll (Kesskiss passe Milou ?, p. 52)

 

[Complément du 24 janvier 2015]

Ceci encore, vu sur Twitter :

 

[Complément du 3 juillet 2016]

Graphie rare :

 

[Complément du 4 juillet 2017]

Variation intéressante phonétiquement (et proche de la précédente) : «adioye» (le Devoir, 1er-2 juillet 2017, p. E7).

 

[Complément du 5 juillet 2017]

Avec insistance sur la dernière syllabe, chez Sophie Bienvenu, en 2016 : «Ayoyeuh !» (p. 38)

 

[Complément du 6 mars 2018]

En version allongée ?

 

[Complément du 28 février 2020]

Un visiteur de l’Oreille tendue y est arrivé après avoir tapé «aie oille quebec» dans son moteur de recherche.

 

[Complément du 15 mai 2023]

Chez Michel Rabagliati, dans Paul à la pêche (2006) : «Ayoille !» (p. 36, p. 114, p. 115 et p. 125)

 

[Complément du 25 octobre 2023]

Sur Mastodon, découvrons «aïe oïe».

 

Références

Bienvenu, Sophie, Autour d’elle. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2016, 206 p.

Giard, Luc, les P’tits Tintins à Luc Giard. Kesskiss passe Milou ?, Montréal, Éditions du phylactère, coll. «Album Tchiize», 31, 1988, 62 p.

Giard, Luc, les P’tits Tintins à Luc Giard. Tintin et son ti-gars, Montréal, Éditions du phylactère, coll. «Album Tchiize», 5, 1989, 51 p.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

Hébert, François, comment serrer la main de ce mort-là, Montréal, l’Hexagone, coll. «L’appel des mots», 2007, 72 p.

Mailloux, histoires de novembre et de juin racontées par Hervé Bouchard citoyen de Jonquière, Montréal, L’effet pourpre, 2002, 190 p.

Mavrikakis, Catherine, Ça va aller. Roman, Montréal, Leméac, 2002, 155 p.

Rabagliati, Michel, Paul à la pêche, Montréal, La Pastèque, 2006, 199 p.

Ransom, Amy J., «Language Choice and Code Switching in Current Popular Music from Québec», article numérique, Glottopol. Revue de sociolinguistique en ligne, 17, janvier 2011, p. 115-131. http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/telecharger/numero_17/gpl17_10ransom.pdf