BDHQ : prolégomènes — deuxième partie

Jeff Lemire, Essex County, 2009, couverture

Il était question l’autre jour de quelques bandes dessinées (BD) mettant en récits et en images le hockey (H), surtout au Québec (Q). Une des fidèles lectrices de l’Oreille tendue, @PimpetteDunoyer, a alors attiré son attention sur l’œuvre de Jeff Lemire : ses «romans graphiques» accordent en effet une place considérable au sport national canadien. Le premier volume de la trilogie Essex CountyTales from the Farm (2007) — et le troisième — The Country Nurse (2008) — en parlent souvent, mais c’est dans le deuxième — Ghost Stories (2007) — qu’il est le plus présent.

La trilogie ?

La géographie des trois volumes est la même. D’une part, et surtout, le comté d’Essex, en Ontario, près de Windsor (voir la carte, p. 121). De l’autre, à quatre heures de voiture, Toronto. La campagne et la ville.

Les personnages sont les mêmes, à différents moments de leur vie. Les principaux sont Lester Papineau, les Lebeuf (Vince, Lou et Jimmy) et une infirmière en milieu rural, Anne Quenneville (voir l’arbre généalogique, p. 447).

La narration et le graphisme sont complexes. L’auteur est particulièrement doué pour rendre le croisement des temporalités, soit en passant du noir et blanc au gris, soit en glissant d’un temps dans un autre. La solitude et le silence, qu’il soit volontaire ou imposé, sont des thèmes récurrents, comme le poids de la mémoire. Sauf dans le troisième album, où Jeff Lemire rassemble ce qui avait été épars jusque-là, on trouve dans la trilogie un sens de l’ellipse fort développé.

Le hockey dans tout ça ?

Il apparaît sous ses deux espèces. Il est lié à l’enfance et aux grands espaces : c’est le monde du «shinny», cette version du hockey sans règles fixes (nombre de joueurs, dimension de la surface de jeu, manœuvres prescrites ou interdites, etc.), joué à l’extérieur, sur de la glace naturelle. Par ailleurs, c’est aussi une activité normée sportivement (on porte les couleurs d’une équipe, celle d’un village ou d’une ville) et socialement (atteindre la Ligue nationale de hockey confère du prestige). L’équipe derrière laquelle on se rassemble dans Essex County est celle des Maple Leafs de Toronto et de ses grands joueurs (Tim Horton, Frank Mahovlich, Dave Keon, Mats Sundin).

Plusieurs personnages se retrouvent dans les deux espaces de jeu. Les frères Vince et Lou ont appris le sport sur une rivière gelée d’Essex County, avant de le pratiquer, en 1951-1952, dans une équipe semi-professionnelle de Toronto, les Grizzlies. Jimmy, le petit-fils de Vince, joue aussi au «shinny», avec le jeune Lester, mais c’est après sa brève carrière chez les grands. Il a été blessé durant son unique match professionnel avec les Maple Leafs, et il n’a plus jamais été le même par la suite. Jimmy, mais aussi Vince, à un degré moindre, incarne la violence si caractéristique des représentations culturelles du hockey.

Le hockey n’est pas seulement un sport qu’on pratique; c’est un sport que les amateurs suivent à la télévision, d’abord et avant tout, dans les journaux ou par les cartes représentant les joueurs. Que l’on joue au hockey ou qu’on le suive dans les médias, une chose ne change jamais : ce sont des activités familiales (frères, grand-père, père, fils).

La description ci-dessus devrait l’avoir fait comprendre : Essex County, s’agissant de hockey, est une œuvre forte, qui se distingue de presque toutes les expériences tentées au Québec pour mettre en scène ce sport. Elle n’y a pas d’équivalent.

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Référence

Lemire, Jeff, Essex County, Atlanta et Portland, Top Shelf Productions, 2009, 510 p. Introduction de Darwyn Cooke.

Jeff Lemire, Essex County, 2009, p. 282, case

Mais comment l’écrire ?

Cela va de soi : en sa version soft, le mot désigne une personne habile, rusée, malicieuse, sous des apparences anodines; en sa version hard, il peut signifier quelqu’un à qui on ne confierait pas ses enfants. Mais comment l’écrire ?

L’Acadien Jean Babineau choisit «snoreau» dans son roman Gîte (1998, p. 29). Le Petit Robert (édition numérique de 2010) et Léandre Bergeron (1980, p. 460) font de même; l’un et l’autre disent du snoreau que c’est un «enfant espiègle» (ça se discute). Pour le premier, le mot est épicène; pour le second, il est masculin.

D’autres préfèrent snorrot, snoro, voire snôro ou snôrô, ce qui serait peut-être plus juste sur le plan phonétique.

Ainsi, en page B4 du Devoir du 12 août 2005, la notice nécrologique d’Arthur Prévost (1910-2004) commençait par ces mots : «“Cric ! Crac ! Couteau ! Cuiller à pot !… Plus je vous en dirai plus je vous mentirai…” Sans en faire un plat, pas question d’oublier, d’enterrer notre héros, notre “snoro, en trois coups de cuiller à mots” à la Ducharme.» L’allusion renvoie à l’incipit du roman Gros mots (1999) de l’écrivain québécois Réjean Ducharme : «Ça n’a pas l’air de s’arranger mais je ne vais pas me ronger. C’est mon histoire. On est ici chez moi. On ne va pas me déloger comme ça. Se débarrasser du héros en trois coups de cuiller à mots» (p. 9).

Ledit Ducharme emploie lui aussi la graphie snoro. Mieux encore, il donne une étymologie au mot : «du yiddish shnoerer, bourdon, parasite enjôleur» (p. 283). Il n’est pas sûr, cependant, que le yiddish des personnages ducharmiens soit tout à fait au point.

Le féminin du mot se construisant parfois en -de, il vaudrait peut-être mieux préférer quelque chose comme snauraud — à l’exemple de Claude-Henri Grignon et Albert Chartier (éd. de 2010, p. 118 et p. 149) — ou snoreaud — d’où la phrase suivante : «elle a pris le menu, a appelé la réception, et a dit : “apportez-moi un de chaque”, la snoreaude» (le Devoir, 8 mai 2003).

En cette matière comme en tant d’autres, Léandre Bergeron ne sait où faire son lit. En 1980, il dit de «snoreaude» que c’est le féminin de «snoreaud», mais il n’y a pas d’entrée à ce mot; il faut aller à «snoreau» (p. 460). En 1981, le féminin de «snoreau» est désormais «snoroune» (p. 152), ce qui a l’avantage, il est vrai, de bien s’insérer dans la série des québécismes en -oune.

Proverbe du jour, en hommage à Pascal : «L’homme est un snôro pensant» (Pierre Popovic).

P.-S. — On le croira ou non : dans la sixième livraison des Cahiers Voltaire (2007), l’Oreille tendue a longuement analysé la notice nécrologique d’Arthur Prévost.

 

[Complément du 15 février 2020]

Dans le Devoir du jour : «tout est possible pour Norah la snoraude».

 

Références

Babineau, Jean, Gîte, Moncton, Perce-Neige, coll. «Prose», 1998, 124 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Ducharme, Réjean, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

Melançon, Benoît, «Enquête sur les voltairiens et les anti-voltairiens (IV). Coordonnée par Gérard Gengembre», Cahiers Voltaire, 6, 2007, p. 215-216; repris, sous le titre «Nécrologie voltérienne», dans Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, p. 100-103.

BDHQ : prolégomènes

Le hockey (H) occupe une place considérable dans la vie et la culture du Québec (Q). Les créateurs de bande dessinée (BD), locaux ou pas, s’y sont évidemment intéressés.

On a tôt mis en cases la vie de Maurice Richard, le mythe hockeyistique québécois par excellence, celui que l’on a parfois comparé à Superman. Dès 1950, aux États-Unis, le Babe Ruth Sports Comics raconte «Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror». Deux ans plus tard, toujours au sud du 49e parallèle, Bill Stern fait figurer «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard» parmi ses World’s Greatest True Sports Stories. Cette série de six planches a la particularité de montrer Richard en train de façonner mécaniquement un de ses outils de travail, son bâton.

Bill Stern, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», 1952

À la même époque, mais au Québec, Albert Chartier fait allusion à Richard dans sa série Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, publiée dans le Bulletin des agriculteurs de 1943 à 2002. En avril 1950 et en mars 1956, Onésime le voit jouer au Forum de Montréal. Quatre mois plus tard, sa chaloupe (en panne) s’appelle «Rocket». (Il existe une version anglaise de la planche de mars 1956; elle a été reproduite en 2003 dans la revue Drawn & Quarterly, p. 127.)

Maurice Richard dessiné par Albert Chartier, mars 1956

Les albums publiés par la suite, délaissant le portrait, privilégient l’humour ou la violence, voire un mélange des deux, plus rarement l’aventure.

Arsène et (Jean-Pierre) Girerd, dans une série qui s’arrêtera au… premier numéro, choisissent le comique dans les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley (1975). On s’y tape beaucoup sur la gueule, tout en rigolant. Il y est surtout question de l’équipe des Canadiens de Montréal du début des années 1970, mais la figure de Maurice Richard est évoquée à quelques reprises. C’est le rôle notamment d’un vieux monsieur en fauteuil roulant qui, par trois fois (p. 7, p. 12, p. 34), rappelle qu’il était au Forum de Montréal le soir du 17 mars 1955, quand a éclaté ce qu’on appelle maintenant «l’émeute Maurice Richard».

Arsène et (Jean-Pierre) Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, 1975

Il y a quelques semaines, Marc Beaudet et Luc Boily ont fait paraître Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus. Eux aussi font dans l’humour, ou ce qui devrait en tenir lieu : plaisanteries scatologiques, moqueries ethniques (le méchant de service se fait passer pour Italien), lourdes allusions à l’actualité (le premier ministre du Québec, Jean Charest, est représenté en chauffeur de mafieux, «les deux mains sur le volant» [p. 9]).

Beaudet et Boily multiplient les clins d’œil à l’histoire du hockey, en rappelant soit des événements (la série Canada-Russie de 1972, p. 19), soit des noms de personnalités, célèbres ou pas, associées à ce sport (Patrick Roy, Ken Dryden, P.K. Subban, Dave Morrissette, Ralph Backstrom, les frères Stastny, Kerry Fraser, René Lecavalier). Eux aussi, ils évoquent Maurice Richard. L’illustration de la page 49 — deux joueurs se sautent dans les bras l’un de l’autre, leurs bâtons formant le V de la victoire — est une reprise d’une photo de Roger Saint-Jean. Le 16 avril 1953, au Forum, les Canadiens remportent 1 à 0 leur match contre les Bruins de Boston, et avec lui la coupe Stanley. Elmer Lach marque le but gagnant tôt au cours de la première période de prolongation, sur une passe de Richard. Roger Saint-Jean rate le but, mais sa photo de Lach et Richard s’envolant pour s’étreindre et se féliciter deviendra célèbre. Quand le quotidien le Devoir choisit huit photos «connues par la grande majorité des Québécois» et consacre à chacune un article dans sa série «Une photo en mille mots», la première retenue, les 25-26 septembre 1999, est celle de Saint-Jean (p. A1 et A14). Le 30 mai 2000 (p. A1 et A8), trois jours après la mort de Richard, le journal reproduit la même photo et le même article. (Pour la petite histoire, on rappellera que Richard avait cassé le nez de Lach en lui sautant dans les bras.)

En 1996, avec Rondel et Baton à la conquête du Saladier d’argent, un pastiche d’Astérix, André Pijet et Michel Blanchard voulaient faire rire et lancer une collection. L’échec est double.

La série «Les Canayens de Monroyal», de Achdé, avec ou sans Lapointe, en est à deux titres (2009, 2010). On y trouve nombre d’expressions de la langue populaire québécoise : agace-pissettes, sacrer son camp, quioutes. On devrait rire à la lecture des albums; cela demande de considérables efforts.

Certains, dans le récent collectif le Démon du hockey (2011), mêlent comique et violence : Richard Suicide et Denis Lord, «Gump Worsley était un plat régional patagonien» (p. 18-24); Hicham Absa, «Maudite rondelle» (p. 26-32); Philippe Girard, «Le joueur étoile» (p. 42-48). D’autres versent dans le souvenir d’enfance. Si «La classique hivernale» de Mathieu Lampron (p. 2-8) et «Le démon blond» de Claude Auchu (p. 10-16) se terminent sur une note positive, c’est moins clair pour «Devenir grand» de Zviane et Luc Bossé (p. 34-40). S’agit-il, comme si souvent dans l’actualité récente, d’un cas de pédophilie ?

Le meilleur exemple d’album exacerbant la violence du hockey est la Foire aux immortels d’Enki Bilal (1980). En 2023, à Paris, dans un monde délabré après deux guerres nucléaires et dominé par un gouvernement fasciste, un match de hockey oppose les Flèches noires de Paris aux Boulets rouges de Bratislava (p. 33-44). C’est cette dernière équipe, composée de «Tchescosoviets» (p. 41, p. 42, p. 54), qui va gagner le match. Il est vrai qu’elle compte en ses rangs un cyborg, Alcide Nikopol, dont le corps est occupé par un dieu égyptien, Horus d’Hierakonopolis. Le hockey est violent, le match, un «combat» (p. 36, p. 39). Des joueurs meurent; on indique leur nombre au tableau. L’hémoglobine coule à flots.

Enki Bilal, la Foire aux immortels, 1980

Si l’humour et la violence sont partout dans le hockey saisi par la bande dessinée, le registre de l’aventure est peu exploité. Dans Palet dégueulasse (2004), les Caribous de Montréal jouent au Forum-Pepsi-Diète, où ils gagnent la finale de la coupe Stanley / Stanlee (il y a les deux graphies) contre les Queens de San Francisco. Malgré le titre qu’ils ont retenu, Michel Dolbec et Leif Tande font peu de place au hockey, qui ne sert que d’arrière-fond aux aventures du Poulpe.

Ce n’est pas le cas de Match-poursuite de Duchateau et Denayer : dans cette histoire d’immigration clandestine, la rivalité entre les Canadiens de Montréal et les Nordiques de Québec est centrale. La résolution de l’intrigue se fera sur la glace du Forum de Montréal, quand la surfaceuse (la Zamboni) entrera en collision avec une semi-remorque affectueusement surnommée «Big Mamma II». Par ailleurs, les auteurs n’ont pas été insensibles aux jurons québécois : tabarnak, cibouère. On leur en saura gré.

La BDHQ compte donc plusieurs titres, dont certains plus intéressants que d’autres (Chartier, Zviane et Luc Bossé, Bilal, Duchateau et Denayer), mais rien encore qui emporterait l’adhésion comme, dans des registres proches mais différents, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey de Marc Robitaille (1987) ou le Match des étoiles de François Gravel (1996). On attend encore la bande dessinée sur le hockey qui n’aura recours ni à l’humour ni à la violence les plus prévisibles.

P.-S. — L’Oreille tendue n’a pas encore mis la main sur une publication récente, la Patinoire en folie (2011), de Pierre Huet; ça ne saurait tarder. De même, elle connaît l’existence d’une bande dessinée de Walt McDayter (?) et Norman Drew, «Les géants. Maurice Richard. La légende du Rocket», mais elle ne l’a jamais vue. Enfin, elle est bien sûr intéressée par tout titre qui lui aurait échappé; elle ne doute pas qu’il y en ait.

 

[Complément du 2 juin 2016]

L’Oreille tendue vient de publier un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «BDHQ : bande dessinée et hockey au Québec», dans Benoît Melançon et Michel Porret (édit.), Pucks en stock. Bande dessinée et sport, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, coll. «L’Équinoxe. Collection de sciences humaines», 2016, p. 101-117. https://doi.org/1866/28749

 

Références

Achdé & Lapointe, les Canayens de Monroyal. Saison 1. La ligue des joueurs extraordinaires, Boomerang éditeur jeunesse, 2009, 46 p. Couleur : Mel.

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 2. Hockey corral, Boomerang éditeur jeunesse, 2010, 46 p. Couleur : Mel.

«Albert Chartier. A Retrospective on the Life and Work of a Pioneer Quebecois Cartoonist», Drawn & Quarterly, 5, 2003, p. 116-191. Traduction de Helge Dascher. Calligraphie de Dirk Rehm.

Arsène et Girerd, les Enquêtes de Berri et Demontigny. On a volé la coupe Stanley, Montréal, Éditions Mirabel, 1975, 48 p.

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p.

Bilal, Enki, la Foire aux immortels, Paris, Dargaud, 1980, 64 p. Rééditions : Genève, Humanoïdes associés, 1990, 68 p.; Casterman, 2005, 64 p.; dans la Trilogie Nikopol, Genève, Les Humanoïdes associés, 2002, 175 p.

Chartier, Albert, Onésime. Les aventures d’un Québécois typique, Montréal, L’Aurore, coll. «Les p’tits comiks», 1, 1974, [s.p.] Ill. Présentation de l’auteur.

Collectif, le Démon du hockey, Montréal, Glénat Québec, 2011, 48 p.

Desrosiers, Éric, «Une malchance transformée en bénédiction», Le Devoir, 25-26 septembre 1999, p. A1 et A14. Repris dans le Devoir, 30 mai 2000, p. A1 et A8.

Dolbec, Michel et Leif Tande, le Poulpe. Palet dégueulasse, Montpellier, 6 pieds sous terre Éditions, coll. «Céphalopode», 12, 2004, 89 p.

Duchateau, André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, Bruxelles et Paris, Éditions du Lombard, coll. «Les casseurs», 15, 1988, 48 p. Repris dans Denayer & Duchateau, les Casseurs. L’intégrale, Bruxelles, Le Lombard, 2010, vol. 5. Parution initiale dans le Journal de Tintin en 1988.

Gravel, François, le Match des étoiles, Montréal, Québec/Amérique jeunesse, coll. «Gulliver», 66, 1996, 93 p. Préface de Maurice Richard.

Huet, Pierre, la Patinoire en folie, Montréal, Les 400 coups, coll. «Strips», 2011, 62 p. Avec la participation de Patrick Moerell.

«Maurice “The Rocket” Richard. Hockey’s Battling Terror», dans Babe Ruth Sports Comics, 1, 6, février 1950, [s.p.]. Reproduite par Paul Langan dans Classic Hockey Stories. From the Golden Era of Pulp Magazines, 1930s-1950s (Chez l’Auteur, 2021, p. 219-221).

Pijet, André et Michel Blanchard, Rondel et Baton à la conquête du Saladier d’argent, Terrebonne, Éditions Mille-Îles Ltée, coll. «Les Cantons», 1996, 46 p.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill. Nouvelle édition : Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Stern, Bill, «The Man They Call the Rocket… Maurice Richard», dans World’s Greatest True Sports Stories. Bill Stern’s Sports Book, hiver 1952, [s.p].

Les mystères de la mémoire

Gump Worlsey dans l’uniforme des Rangers de New York

Personne, parmi ceux qui s’intéressent à la représentation du hockey dans la culture, n’est étonné de la place considérable qu’y occupent les grandes vedettes du passé : Maurice Richard, Jean Béliveau, Guy Lafleur.

On s’attend moins, en revanche, à entendre Les Cowboys fringants chanter Bronco Horvath («Salut mon Ron», 2002) ou JP5 évoquer Gino Odjick («Gino Odjick», 2000).

Il y a plus troublant encore : la postérité de Lorne «Gump» Worsley (1929-2007), le gardien de but qui a joué, dans la Ligue nationale de hockey, pour les Rangers de New York, les Canadiens de Montréal et les North Stars du Minnesota. En chiffres : 1,70 mètre, 81 kilos, 931 matches en carrière, dont 211 à Montréal, 4 coupes Stanley (remise à l’équipe championne de la LNH), 2 trophées Georges-Vézina (remis au meilleur gardien de la ligue pendant la saison régulière; les deux fois, Worsley a partagé cet honneur avec un autre gardien, Charlie Hodge, puis Rogatien Vachon), 28/11/69 (il met fin à sa carrière à cause de sa peur de… l’avion).

On le voit apparaître dans une nouvelle de Dave Bidini (2006, p. 62) et dans le premier roman de Victor-Lévy Beaulieu, Mémoires d’outre-tonneau (1968) : «“Les Canadiens sont pourris, c’t’année, dit l’un. Terry Harper est une grosse andouille. Lorne Worsley est une “mitaine percée”. C’est pas comme ça qu’on gagne un championnat de hockey”» (p. 148). Il est dans les pages de l’excellent Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey de Marc Robitaille (1987). Il a eu droit à une (auto)biographie, They Call Me Gump (1975). Il a été dessiné par Normand Hudon (1958, p. 170).

Worsley était reconnu pour son sens de l’humour. Mordecai Richler disait qu’il était son gardien de but favori («My all-time favourite hockey goalie», 2003, p. 96) et il aimait son esprit. Du temps où Worsley jouait pour les Rangers de New York et que l’équipe n’allait pas bien, on lui aurait demandé quelle équipe lui donnait le plus de mal; il aurait répondu «Les Rangers».

Quatre chansons rappellent son souvenir. Son surnom se mêle à plusieurs autres dans «Le but» de Loco Locass (2009). «Gump Worsley’s Lament», des Huevos Rancheros (1994), est une pièce instrumentale à laquelle on a mêlé des extraits sonores qui n’ont rien à voir avec le sport. Les Jérolas, en 1960, appellent au retour devant le filet des Rangers de «Worsley / C’est lui c’est un vrai goaler / Le bonhomme qui a du cœur / Des comme lui i en a pas un / Ce petit gars de Verdun». (Ce Verdun-là est québécois, pas français.)

La chanson la plus étonnante est cependant du groupe The Weakerthans. «Elegy for Gump Worsley» (2007) est précisément cela, une élégie («Poème lyrique exprimant une plainte douloureuse, des sentiments mélancoliques», le Petit Robert, édition numérique de 2010). Sur le ton de la lamentation, le gardien est décrit comme un homme ordinaire («He looked more like our fathers»), pas comme un athlète. Il fume et il boit («Tugging jersey around the beergut / “I’m strictly a whishey man”»). La chanson se termine sur la citation la plus connue de Worsley :

He swore he was never afraid of the puck
We believe him
If anyone asks
The inscription should read
«My face was my mask»

Worsley, comme beaucoup de gardiens de son époque, jouait sans masque. Il n’avait pourtant pas peur : «Mon visage était mon masque.»

Pourquoi parler de lui aujourd’hui ? Parce que son nom apparaît dans un album collectif de bande dessinée paru il y a quelques semaines. Richard Suicide et Denis Lord signent, dans le Démon du hockey (2011), «Gump Worsley était un plat régional patagonien» (p. 18-24). Pas une seule allusion à Worsley sous leur plume; son nom dans le titre suffit.

Pas mal pour un joueur dont Jean Béliveau a déjà dit qu’il ressemblait à borne fontaine («a fire-hydrant-shaped goalie named Lorne Worsley», 2005, p. 40).

P.-S. — D’où vient ce surnom de «Gump» ? Selon Wikipédia, sa coupe de cheveux aurait ressemblé à celle d’un personnage de bande dessinée, Andy Gump.

 

[Complément du 14 avril 2012]

Sans oublier ce vers de Bernard Pozier : «la bonhommie de Lorne Worsley» (1991, p. 31).

 

[Complément du 19 mai 2021]

Ligue de garage (2016) est une bande dessinée dans laquelle Rémy Simard mêle, à la première personne, introduction générale au hockey et instructions humoristiques sur la façon de faire fonctionner une ligue de garage.

Pages 12-13, il évoque des figures connues du hockey : Jean Béliveau, Wayne Gretzky, Ken Dryden, Guy Lafleur, Chris Nilan (un goon), Henri Richard — «Et Lorne “Gump” Worsley» : «C’est à cause de lui que je suis devenu gardien» (p. 13).

 

Références

Beaulieu, Victor-Lévy, Mémoires d’outre-tonneau, Montréal, Estérel, 1968, 190 p.

Béliveau, Jean, avec Chrys Goyens et Allan Turowetz, Jean Béliveau. My Life in Hockey, Vancouver, Greystone Books, 2005, xii/312 p. Ill. Foreword by Wayne Gretzky. Introduction by Allan Turowetz. Édition originale : 1994.

Bidini, David, «I Am Bobby Wolf», dans The Five Hole Stories, Edmonton, Brindle & Glass, 2006, p. 59-71.

Bruneau, Pierre et Léandre Normand, la Glorieuse Histoire des Canadiens, Montréal, Éditions de l’Homme, 2003, 743 p. Ill. Préface de Jean Béliveau.

Collectif, le Démon du hockey, Montréal, Glénat Québec, 2011, 48 p.

Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», dans Break syndical, 2002, disque audionumérique, étiquette Disques de La Tribu TRICD-7200.

Hudon, Normand, la Tête la première, Québec, Institut littéraire, 1958, 319 p. Ill. Préface de Doris Lussier.

Huevos Rancheros, «Gump Worsley’s Lament», dans Johnny Hanson Presents : Puck Rock Classics Vol. 1, 1994, disque audionumérique, étiquette WRONG-11 Wrong Records; repris sur Dig In, 1995, disque audionumérique, étiquettes MRD-007 Mint Records et LOUDER7 One Louder, et disque 33 tours, étiquette LOUDER7 One Louder (réédition, 2004, disque audionumérique, étiquette Outside Music).

Les Jérolas, «La chanson du hockey», 1960, disque 45 tours, étiquette RCA Victor 57-5491, composition de Jean Lapointe; repris sur le disque collectif Parade des succès volume 1, années 1960, disque 33 tours, étiquette RCA Victor LCP-1037.

JP5, «Gino Odjick», dans Johnny Hanson Presents : Puck Rock Vol. 2, 2000, disque audionumérique, étiquette Sudden Death Records.

Loco Locass, «Le but», 2009.

Pozier, Bernard, «Génétique 2», dans Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p., p. 31. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Richler, Mordecai, Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, xxii/295 p. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill.

Simard, Rémy, Ligue de garage, Montréal, La Pastèque, 2016, 99 p.

The Weakerthans, «Elegy for Gump Worsley», Reunion Tour, 2007, disque audionumérique, 2007, étiquette Epitaph.

Worsley, Gump, with Tim Moriarty, They Call Me Gump, New York, Dodd, Mead, 1975, xii/176 p. Ill.

Restons religieux

«J’men câlice», t-shirt, Montréal, octobre 2016

L’Oreille tendue, au cours des dernières semaines, a consacré quelques textes au sacre québécois d’inspiration religieuse et à ses richesses, d’hostie à crisse, en passant par tabarnak, son favori.

À cet herbier lexical, il manquait calice et ses variantes.

Ce mot pose la même question que ciboire, celle de sa prononciation.

Il y a ceux qui défendent calisse.

«Calice d’hostie de tabernacle !», «Calice de ciboire d’hostie !» et «Christ de calice de tabernacle !» (Roch Carrier, la Guerre, yes sir !, p. 18, p. 77 et p. 108).

«Nom de Dieu ! ils feraient mieux de chier dans leur potage ! Maudit calice ! On va leur vomir dans la gueule, leur clouer le bec et les faire dégueuler par les trous de nez, ces enculés !» (John Farrow, la Dague de Cartier, p. 252).

«Criss de tabarnak d’hostie de calice de ciboire d’étole de viarge, oussé kié le sacramant de calice de morceau de casse-tête du tabarnak !» (François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, p. 124).

«Han ? Tu m’prends-tu pour un cave, des fois ? Qu’ess’ tu veux ? Jus’ m’donner ton cash pis ta mont’, ou ben tu veux-tu qu’on t’en calisse une en plus ?» (le Tueur, p. 40).

Il y a ceux qui préfèrent un a postérieur, pour faire câlisse, voire colisse.

«le règne d’Alice-ma-câlisse était bel et bien terminé» (Sophie Létourneau, Polaroïds, p. 33).

«Aujourd’hui Maurice s’en câlisse» (Arseniq33, «Boîte à malle»).

«Dans l’intervalle, y a douze crisses de Tamouls qui ont hijacké des avions pour les câlicer un peu partout sur la gueule de l’oncle Sam» (Samuel Archibald, Arvida, p. 84).

«C’est mon ostie d’job d’être la tabarnaque de chef-cook, câlisse» (Simon Boudreault, Sauce brune, p. 81).

L’Oreille tendue, qui est de cette seconde école, irait même jusqu’à proposer la graphie cââlisse, mais c’est affaire de goût personnel.

Au-delà de ce débat ouvert, on notera que le mot est une interjection (Câlisse !) et un nom (Viens ici, mon câlisse). Il apparaît dans plusieurs expressions superlatives : Il vente en câlisse, C’est un câlisse de malade, Câlisse que c’est beau, Un bruit du câlisse (Léandre Bergeron, Dictionnaire de la langue québécoise, p. 108). Il se transforme aisément en verbe : Je vais lui câlisser une volée, Il s’est fait câlisser dehors.

L’adverbe câlissement est attesté, par exemple chez Ephrem Desjardins (Petit lexique, p. 62).

On entend aussi décâlisser. Le verbe est synonyme de partir, en version moins polie : «Ouais, chus sûre, décâlisse, vieux puant» (Sophie Bienvenu, Et au pire, on se mariera, p. 28). Il a alors le même sens que câlisser son camp. Son participe évoque la décrépitude, physique aussi bien que morale (Il est pas mal décâlissé). On peut l’utiliser pour des personnes comme pour des choses (Mon aide maritale est décâlissée).

Il ne faut jamais perdre de vue cet axiome, que l’Oreille tendue emprunte (c’est le cas de le dire) à Chantal Bouchard : en matière de langue, on n’emprunte qu’aux riches.

 

[Complément du 12 juillet 2012]

Le blogue OffQc | Quebec French Guide, dans son entrée du 11 juillet, «M’as te câlisser mon poing su’a yeule! (#493)», renvoie à une vidéo tout à fait instructive.

 

[Complément du 20 février 2014]

Tout, en effet, est affaire de circonflexe. Martin Robitaille, dans les Déliaisons (2008), l’a bien vu : «Gregory nous a regardés : “C’est plate en calice, ici.” Il prononçait “câlisse” avec son accent parisien, sans circonflexion du “a”» (p. 112).

 

[Complément du 9 mars 2021]

Depuis quelques années, les automobilistes québécois peuvent obtenir une plaque d’immatriculation personnalisée. Certains en profitent.

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p.

Arseniq33, «Boîte à malle», Courtepointes, 2005, étiquette Indica Records.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bienvenu, Sophie, Et au pire, on se mariera. Récit, Montréal, La mèche, 2011, 151 p.

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Bouchard, Chantal, On n’emprunte qu’aux riches. La valeur sociolinguistique et symbolique des emprunts, Montréal, Fides, coll. «Les grandes conférences», 1999, 40 p.

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Carrier, Roch, la Guerre, yes sir ! Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du Jour», R-28, 1970, 124 p. Rééditions : Montréal, Stanké, coll. «10/10», 33, 1981, 137 p.; Montréal, Stanké, 1996, 141 p.; dans Presque tout Roch Carrier, Montréal, Stanké, 1996, 431 p.; Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2008, 112 p. Édition originale : 1968.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Farrow, John, la Dague de Cartier, Paris, Grasset, coll. «Grand format», 2009, 619 p. Pseudonyme de Trevor Ferguson. Traduction de Jean Rosenthal. L’original anglais a paru deux ans après sa traduction : River City. A Novel, Toronto, HarperCollins, 2011, 845 p.

Létourneau, Sophie, Polaroïds. Récits, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2006, 166 p.

Robitaille, Martin, les Déliaisons. Roman, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2008, 240 p.

Le Tueur. Volume 8. L’ordre naturel des choses, Casterman, coll. «Ligne rouge», 2010, 56 p. Dessins de Luc Jacamon. Scénario de Matz.