Miscellanées de fin d’année

Beau cas (volontaire) d’«alternance codique» (code-switching) sous la plume de l’ami Sylvain Cormier dans le Devoir du 22 décembre 2010, s’agissant d’Emmanuelle Seigner : «Comment un disque aussi bath a pu donner lieu à un spectacle aussi poche, je me le demande encore» (p. B8). Le passage du bath au poche ravit l’Oreille tendue.

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C’est la saison qui veut ça : le médecin est de plus en plus fréquemment appelé à faire un «acte vaccinal». L’invité qui utilisait cette expression sur les ondes de la radio de Radio-Canada le 20 décembre croyait peut-être que le mot vaccin n’était pas assez noble pour être utilisé en ondes.

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Le titre suivant peut bien sûr s’expliquer : «La croissance démographique américaine est en baisse» (le Devoir, 22 décembre 2010, p. B5). Il n’en reste pas moins qu’une «croissance […] en baisse», ça étonne.

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S’agissant d’un nouveau restaurant montréalais : «La déco rétro-saxonne, elle, rappelle le Sparrow ou encore le Liverpool House, dans le quartier Saint-Henri» (la Presse, 9 décembre 2010, cahier Affaires, p. 10). «Rétro-saxonne» ?

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On connaissait déjà écoresponsable. Voici maintenant francoresponsable. Cela se trouve dans le quotidien le Soleil du 19 décembre : «L’Hôtel Château Laurier mise désormais sur le français pour se distinguer auprès de la clientèle touristique, même celle anglophone.» Dans la Vieille Capitale, parler français est désormais un signe de distinction.

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Le site FailQc comporte une rubrique «Traduction boboche», où l’on récolte des aberrations de traduction, souvent involontairement comiques. On y fait des découvertes stupéfiantes, ici par exemple.

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Le sous-marin québecquois de l’Oreille tendue attire son attention sur un aspect d’une campagne publicitaire déjà abordée au début décembre, mais qu’elle n’avait pas commenté alors. Elle avait indiqué combien lui paraissait typographiquement dangereuse l’adresse 0droguepourmoi.ca. Pour comprendre la syntaxe de la phrase qui se trouve sous cette adresse — «Renseigne-toi sur les effets de la drogue et comment tu peux dire non» —, il faut connaître la version anglaise — «Find out the effects of drugs and how you can say no». Ce zeugme syntaxique est peut-être moins spectaculaire que ce que l’on trouve chez FailQc, mais il est nettement plus pernicieux. Voilà un beau cas de ce que Gaston Miron appelait, notamment dans le Voyage en Mironie de Jean Royer, le «traduitdu» :

On naît dans cet état linguistique et l’on s’imagine que c’est ça, la langue, jusqu’au moment où l’on s’aperçoit que sa langue est faussée par la traduction, que sa langue est dominée par une autre qu’elle traduit. Ce que j’ai appelé «le traduitdu», le charabia ou «le traduitdu» (p. 112).

 

Référence

Royer, Jean, Voyage en Mironie. Une vie littéraire avec Gaston Miron, Montréal, Fides, 2004, 282 p.

Zeugmes de Noël

François Hébert, Toute l’œuvre incomplète, 2010, couverture

«Pons ne touche plus à la poutine de Claire,
Ne joue plus au papa, au prof ni au hockey, à rien.»

François Hébert, Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p., p. 29.

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«Bon Débarras, du trad d’Amérique et d’errance.»

Yves Bernard, le Devoir, 13 octobre 2010, p. B8.

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«La situation ne pouvait pas demeurer aussi mauvaise et aussi longtemps dans les villes de Montréal et de Québec.»

Claude Galarneau, «L’école, gardienne de la langue», dans Michel Plourde et Pierre Georgeault (édit.), le Français au Québec. 400 ans d’histoire et de vie, Montréal, Fides et Conseil supérieur de la langue française, 2008 (nouvelle édition), p. 148-152, p. 150.

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«De [?] la ville d’où j’arrive, Marrakech, on trouve de tout à pleins souks : des serpents en bois ou en vie, des djellabas, des bracelets, des babouches et écharpes soyeuses.»

Odile Tremblay, «Noël ici et là», le Devoir, 18-19 décembre 2010, p. E2.

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Voilà qui s’appelle mettre tous ses zeugmes dans le même panier.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

De Guy Lafleur

[Entrée mise à jour. 28 décembre 2010 : ajout de la vidéo de l’album de Guy Lafleur datant de 1979. 29 décembre 2011 : ajout de l’excellent portrait de Lafleur par Roy MacGregor en 1978. 22 avril 2013 : Guy Lafleur entre au musée. 2 janvier 2014 : deux livres publiés à la fin de 2013. 1er avril 2015 : Lafleur au théâtre. 18 novembre 2018 : un tatouage. 1er octobre 2020 : un alcool. 28 octobre 2021 : trois statues et deux livres de plus, une statue de moins. 24 avril 2022 : Guy Lafleur est mort. 30 mai 2023 : une autoroute a pris son nom.]

Le Devoir de ce matin publie un texte de l’Oreille tendue sur un joueur de hockey qui est aussi une icône culturelle, «De Guy Lafleur considéré comme un des beaux-arts» (p. E1). Le texte est disponible ici.

Un complément filmo-vidéo-icono-musico-bibliographique, même partiel, s’impose bien évidemment. Les non-fans peuvent passer leur chemin.

Filmo

Baillargeon, Paule et Frédérique Collin, la Cuisine rouge, long métrage de fiction, 1979. On peut voir un extrait du film, consacré à Lafleur, sur le site de Télé-Québec.

Vidéo

On peut (ré)entendre Robert Charlebois chanter «Champion» (1987), sur des paroles de Luc Plamondon et une musique de Jean Roussel, grâce (?) à YouTube.

On y trouve aussi «Bleu, blanc, rouge» (1981) de Michel Como, avec la participation de Tierry Dubé-Bédard et Éric Dubrofsky.

L’album de 1979 de Guy Lafleur y est aussi audible.

Icono

Le tableau «Le démon blond» de Benoît Desfossés est visible sur le site Web de l’artiste.

Les œuvres de Serge Lemoyne sont reproduites dans plusieurs ouvrages, par exemple le catalogue d’exposition rédigé par Marcel Saint-Pierre, Serge Lemoyne, préface d’Andrée Laliberté-Bourque, prologue de Normand Thériault, Québec, Musée du Québec, 1988, 236 p. Ill.

En avril 2013, le musée Grévin de Montréal ouvre ses portes. Guy Lafleur y est. [En 2021, le musée a fermé ses portes.]

Guy Lafleur entre au musée Grévin de MontréalSource : The Gazette, 17 avril 2013

Voici ce qui s’appelle avoir Guy Lafleur dans la peau (et Jean Béliveau et Doug Harvey et Larry Robinson et Patrick Roy).

Le 27 octobre 2021, une statue de Guy Lafleur a été inaugurée au Centre Vidéotron de Québec. Intitulée «Trop fort pour la ligue», elle est l’œuvre de Guillaume Tardif. La ville de Thurso en avait accueilli une dès 2013, de Jean-Raymond Goyer, et le Centre Bell, cinq ans plus tôt.

Musico (par ordre chronologique)

Thiffault, Oscar, «La toune à Ti-Guy Lafleur», 1978

Lafleur, Guy, Lafleur !, 1979

Michel, Dominique, «Hiver maudit : j’hais l’hiver», 1979

Bouchard, Pierre Pinceau, «Tou toune», 1979

École Saint-François d’Assise, 4e année, «Le hockey, c’est la santé», 1979

Como, Michel, avec la participation de Tierry Dubé-Bédard et Éric Dubrofsky, «Bleu, blanc, rouge», 1981. La version anglaise s’intitule «Red, White, Blue».

Charlebois, Robert, «Champion», 1987

Boucher, Daniel, «Boules à mites», 1999

Wry Eel, «The Flower», 2000

Pullfinger, «One Timer», 2000

Les Mecs comiques, «Le hockey est malade», 2001

Les Cowboys fringants, «Le plombier», 2001

Brazeau, André, «Ti-Guy», 2002

Alain-François, «C’est pour quand la coupe Stanley ?», 2007

Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», 2008

Khan, Steve, Anthony Jackson et Dennis Chambers, «Guy Lafleur», 2008

Dompierre, François, «Les Glorieux», 2008

Loco Locass, «Le but», 2009

Biblio

April, Jean-Pierre, «Le fantôme du Forum», Imagine…, 7 (vol. 2, no 3), mars 1981, p. 29-47. Repris dans les Années-lumière. Dix nouvelles de science-fiction réunies et présentées par Jean-Marc Gouanvic, Montréal, VLB éditeur, 1983, p. 31-53 et dans Jean-Pierre April, Chocs baroques. Anthologie de nouvelles de science-fiction, introduction de Michel Lord, Montréal, BQ, coll. «Littérature», 1991, p. 161-184.

Bazzo, Marie-France, «Marc Tardif, ailier gauche et pédagogue», dans Marc Robitaille (édit.), Une enfance bleu-blanc-rouge, Montréal, Les 400 coups, 2000, p. 77-81.

Beaulieu, Victor-Lévy, «Un gars ordinaire, qui vise le sommet», Perspectives, 14 octobre 1972, p. 22, 24 et 27. Supplément au quotidien la Presse.

Brown, Kenneth, Life After Hockey, Toronto, Playwrights Union of Canada, 1985, 36 p. Texte polycopié. Repris, sous le titre «Alma’s Night Out», dans David Gowdey, Riding on the Roar of the Crowd. A Hockey Anthology, Toronto, Macmillan, 1989, p. 303-318.

Brunet, Mathieu, Raconte-moi Guy Lafleur, Montréal, Éditions Petit homme, coll. «Raconte-moi», 43, 2020, 144 p.

Bujold, Michel-Wilbrod, les Hockeyeurs assassinés. Essai sur l’histoire du hockey 1870-2002, Montréal, Guérin, 1997, vi/150 p. Ill.

Durand, Marc, Guy Lafleur. La naissance d’une idole, Québec, Sylvain Harvey, 2021, 96 p. Ill. Préface de Guy Lafleur.

Germain, Georges-Hébert, Guy Lafleur. L’ombre et la lumière, Montréal, Art global / Libre Expression, 1990, 406 p. Ill. Traduction anglaise : Overtime. The Legend of Guy Lafleur, Markham, Viking, 1990, et Toronto, Penguin Books, 1992, 455 p.

Hébert, François, «La Bible de Thurso», Liberté, 152 (26, 2), avril 1984, p. 14-23. Repris dans Jean-Pierre Augustin et Claude Sorbets (édit.), la Culture du sport au Québec, Talence, Éditions de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine et Centre d’études canadiennes, coll. «Publications de la MSHA», 220, 1996, p. 207-213. https://id.erudit.org/iderudit/30741ac

Kemeid, Olivier, Moi, dans les ruines rouges du siècle, Montréal, Leméac, coll. «Théâtre», 2013, 109 p. Idée originale : Sasha Samar et Olivier Kemeid. Voir la scène intitulée «11. Le démon blond» (p. 49-54).

Kinsella, William Patrick, «Truth», dans The Fencepost Chronicles, Don Mills, Totem Press, 1986, p. 1-12. Repris dans Doug Beardsley (édit.), The Rocket, the Flower, the Hammer and Me, Winlaw, Polestar Book Publishers, 1988, p. 25-37 et dans Doug Beardsley (édit.), Our Game. An All-Star Collection of Hockey Fiction, Victoria, Polestar Book Publishers, 1997, p. 153-160.

MacGregor, Roy, «A Flower for all Seasons : Guy Lafleur», Maclean’s, 16 octobre 1978. Repris dans Wayne Gretzky’s Ghost and Other Tales from a Lifetime in Hockey, Toronto, Random House Canada, 2011, p. 53-63.

MacGregor, Roy, Une dangereuse patinoire, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 7, 2002, 151 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1998.

Norris, Ken, «Guy Lafleur and Me», dans In the House of No, Kingston, Quarry Press, 1991. Repris dans Kevin Brooks et Sean Brooks (édit.), Thru the Smoky End Boards. Canadian Poetry about Sports and Games, Vancouver, Polestar Book Publishers, 1996, p. 55.

Ouin, Christine et Louise Pratte, Guy Lafleur, Saint-Bruno-de-Montarville, Éditions Goélette, Minibios, 2010, 71 p. Ill. Voir les remarques de l’Oreille tendue sur cette courte biographie .

Pelletier, Pierre-Yvon, Guy Lafleur, la légende. L’album photo du démon blond, Montréal, Editions de l’Homme, 2013, 206 p. Ill.

Pozier, Bernard, «Génétique I» et «Postérité», dans Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p., p. 30 et p. 70. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Richler, Mordecai, «The Fall of the Montreal Canadiens», dans Home Sweet Home. My Canadian Album, New York, Alfred A. Knopf, 1984, p. 182-209. Repris dans Dispatches from the Sporting Life, Foreword by Noah Richler, Toronto, Vintage Canada, 2003, p. 241-274. Édition originale : 2002.

Tremblay, Yves, Guy Lafleur. L’homme qui a soulevé nos passions, Brossard, Un monde différent, 2013, 208 p. Ill. Préface de Guy Lafleur. L’Oreille tendue a parlé de ce livre ici.

Divers

La Société des alcools du Québec commercialise depuis 2020 un gin Guy Lafleur 10.

Société des alcools du Québec, gin Guy Lafleur 10, 2020

 

[Complément du 24 avril 2022]

Guy Lafleur est mort le 22 avril. L’Oreille tendue a beaucoup commenté son importance, surtout médiatique et culturelle, dans la culture québécoise.

En écrivant un texte pour la Presse+.

En répondant aux questions de Simon Chabot pour le même journal, à celles de Jean-François Nadeau pour le Devoir et à celles d’Antoine Robitaille pour le Journal de Montréal et le Journal de Québec.

En répondant aux invitations de Radio-Canada, tant pour la radio (le 15-18) que pour la télévision (le Téléjournal 22 h).

En tournant une vidéo pour le Devoir.

 

 

[Complément du 25 avril 2022]

Il a aussi été question de Guy Lafleur et de sa place dans la culture populaire avec Jean-Christophe Laurence et avec André Duchesne, les deux de la Presse+.

 

[Complément du 28 avril 2022]

Pourquoi s’arrêter en aussi bon chemin ? Passons par la radio de Radio-Canada et par le 91,9 Sports.

 

[Complément du 5 mai 2022]

Encore un coup, à la télévision, pour répondre aux questions d’Anne-Marie Dussault.

 

[Complément du 30 mai 2023]

Il existe dorénavant une autoroute Guy-Lafleur au Québec. Explication, de la Commission de toponymie du Québec, ici : cette autoroute, ci-devant l’autoroute 50, «traverse notamment la municipalité de Thurso, d’où était natif l’exceptionnel joueur de hockey».

On ne saurait mieux dire

Un spectacle sera bientôt consacré au chanteur québécois Jean-Pierre Ferland. Le metteur en scène, Serge Postigo, expliquait cette semaine à la radio de Radio-Canada qu’il ne voulait pas que Ferland se sente «hommagé» par ce spectacle. L’Oreille tendue est parfaitement d’accord avec Serge Postigo : elle ne souhaite pas elle non plus que Ferland soit «hommagé».

Chantons sport

18 novembre 2010 : depuis la mise en ligne du billet qui suit, le jukebox numérique a été retiré du site de Cyberpresse.

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Il y a quelques semaines, l’Oreille tendue donnait une entrevue à Jean-François Bégin du quotidien la Presse. De cette entrevue sont sortis un article, un jukebox numérique et un sondage. Son thème ? Quelle est la «meilleure chanson» sur l’équipe de hockey des Canadiens de Montréal ?

Le résultat a été annoncé ce samedi dans le cahier des sports du journal (p. 4). Parmi les 63 chansons recensées, «Le but» (2009) de Loco Locass a été choisie par près d’un internaute sur cinq.

Pourquoi celle-là plutôt que la délicieuse «Ah ! le hockey» de Léo LeSieur (1930) ou que l’entraînante «Rocket Rock and Roll» de Denise Filiatrault (1957) ? Pourquoi avoir laissé de côté Oscar Thiffault, Jean Lapointe (et les Jérolas) ou le groupe Les Cowboys fringants, avec quatre chansons chacun ?

Hypothèses d’explication.

Loco Locass est probablement le groupe de rap le plus populaire au Québec et «Le but» a été très largement commenté dans les médias depuis sa sortie d’abord sur le site Web du trio, puis sur les sites de vente en ligne dans Internet. Pareil battage publicitaire favorise évidemment cette chanson, beaucoup plus, par exemple, que «La soirée du hockey» de Christine Corneau (1988).

La musique joue bien évidemment un rôle dans l’affaire. Loco Locass pratique un rap qui rejoint des publics très différents, des adolescents aux professeurs d’université quinquagénaires; cela distingue cette formation d’un groupe plus «rugueux» comme Manu Militari («Le premier», 2009). De plus — surtout, peut-être —, «Le but» pourrait facilement devenir un chant de ralliement populaire : on imagine bien ses «Allez allez allez allez Montréal» être repris en chœur et résonner au Centre Bell — mieux en tout cas que le refrain du «Maurice Richard» de Pierre Létourneau (1971). Cela nous changerait des «Ohé ohé ohé ohé» habituels.

La musique est faite pour rallier et entraîner un large public; c’est aussi vrai des paroles, où la dimension nationaliste le dispute à la montréalaise.

Sous la plume de Loco Locass, les Canadiens, et plus largement le hockey, sont des biens nationaux. C’est particulièrement évident au début de la chanson, quand les couleurs de l’équipe sont liées au «cœur de la nation» :

À une époque où les pucks étaient faites de crottin
On a réuni des hommes dont le destin commun
Est comme un film sans fin
En technicolor et tricolore
Bleu comme le Saint-Laurent
Blanc comme l’hiver
Rouge comme le sang qui nous coule à travers
Le corps de l’équipe c’est le cœur de la nation

De là, on passe sans mal à la ville qui adule son équipe, «la sainte flanelle» :

À chaque année faut clore avec une célébration
I l’diront jamais tel quel aux nouvelles
Mais le tissu social de Montréal
C’est de la sainte flanelle

Loco Locass le répète sous diverses formes : les Canadiens incarnent tant la nation que la ville.

Ok c’est plus qu’un sport
C’t’une métaphore de not’sort
C’est ça qui nous ressemble
C’est ça qui nous rassemble

On insiste pourtant sur le fait que cette nation et cette ville, pour le dire dans les termes de la vie politique contemporaine, sont inclusives : «Anglo franco peu importe ta couleur de peau».

Un dernier facteur contribue au succès du «But», mais l’Oreille n’est pas sûre que les membres de Loco Locass en aient été parfaitement conscients : leur chanson s’inscrit parfaitement dans la campagne de marketing des Canadiens au cours des dernières années.

En effet, au moment de célébrer (très longuement) son centenaire, l’équipe a décidé de jouer à fond la carte du passé glorieux, le thème de cette campagne étant «L’histoire se joue ici». Il s’agissait de montrer combien la valeur patrimoniale des Canadiens était indiscutable.

Loco Locass, mais aussi Mes Aïeux («Le fantôme du Forum», 2008) et Annakin Slayd («La 25ième», 2009), ne fait pas autre chose. Quand ils énumèrent plus d’une trentaine de joueurs, du début du siècle (1909) à aujourd’hui, les rappeurs disent la geste du sport national, ils rappellent la profondeur de son passé, ils l’inscrivent, et s’inscrivent, dans une histoire.

Faisant entendre les bruits traditionnels d’un match (coups de patin, rondelle et bâtons, orgue du Forum de Montréal, voix d’un commentateur, reprise d’«Ils ont gagné leurs épaulettes», cris de la foule), rappelant les noms et prénoms des «fantômes du Forum», exposant des valeurs réputées communes (effort, honneur), utilisant un imaginaire aussi bien romanesque («Nos chevaliers sont en cavale pour ramener le Graal») que religieux («À Montréal le tournoi est un chemin de croix»), clamant leur attachement à un sport et à une équipe, ils vantent en même temps les mérites d’une marque savamment mise en marché.

Cela n’enlève rien au mérite de leur chanson, mais cela explique (partiellement) son succès.

 

[Complément du 22 avril 2014]

Depuis la rédaction de ce billet, la chanson «Le but» est fréquemment entendue au Centre Bell, au point où Loco Locass vient d’en sortir une nouvelle version, préparée en collaboration avec l’administration des Canadiens de Montréal, sous le titre «Le But (Allez Montréal) – version CH». C’est ce que révèle un article du Huffington Post Québec publié aujourd’hui.

Loco Locass, «Le but», 2009, pochette