Oreille d’Ancien Régime

Bénabar, Reprise des négociations, 2005, pochette

 

Chanter les Lumières aujourd’hui ? Ça se fait.

Elle n’m’a pas gâché l’existence
Mais a tu celle de Rousseau,
De Proust,
De Mort à crédit,

psalmodie Arnaud-Fleurent Didier. (Le personnage de la chanson parle de sa mère.)

Chez Bénabar, Voltaire remplace Rousseau :

Ce vieil homme fatigué d’Algérie
Qui regrette son Maghreb jour et nuit
Tout juste toléré aujourd’hui
Faut dire qu’ça fait qu’trente ans qu’il est ici
Qu’il ne s’ra jamais propriétaire
Qu’il occupe une chambre de bonne
Au pays de Voltaire
Au pays des Lumières
Et des droits d’l’homme.

Par-delà la Révolution, Tomás Jensen réconcilie les uns et les autres :

Qui c’est qui vient souper à soir ?
Qui c’est qui vient souper à soir ?
C’est le vent de l’ouest
C’est le vent de l’ouest
C’est l’Occident civilisé
Technologie et liberté
C’est le vent de l’ouest
C’est le vent de l’ouest
C’est quatorze cent quatre-vingt douze
C’est dix-sept cent quatre-vingt neuf
C’est mille neuf cent quatre-vingt-quatre
C’est mai soixante-huit, est-ce qu’on trinque ?
C’est le vent de l’ouest
C’est Hollywood, Rousseau, Voltaire
C’est le vent de l’ouest
Mère Teresa et Rockefeller
C’est le vent de l’ouest
Je ne le suivrai pas.

(Voltaire / Rockefeller est une rime plus riche que Voltaire / Lumières.)

Chanter le XVIIIe siècle aujourd’hui ? Pourquoi pas.

 

[Complément du 10 juin 2020]

L’Oreille a repris ce texte, sous le titre «Chanter les Lumières», dans le livre qu’elle a fait paraître au début de 2020, Nos Lumières.

 

[Complément du 11 mars 2024]

Premier vers de «Je vais t’aimer», de Michel Sardou (1976) : «À faire pâlir tous les marquis de Sade.» L’Oreille ne s’y attendait pas.

 

Références

Bénabar, «Qu’est-ce que tu voulais que je lui dise ?», Reprise des négociations, Jive, 2005.

Didier, Arnaud-Fleurent, «France culture», la Reproduction, Sony / BMG, 2009.

Jensen, Tomás & Les faux-monnayeurs, «Le vent du nord» (2000), Pris sur le vif, GSI Musique, 2006.

Melançon, Benoît, Nos Lumières. Les classiques au jour le jour, Montréal, Del Busso éditeur, 2020, 194 p.

Oreille malheureusement tendue

La compagnie créole, Ça faire rire les oiseaux, pochette

Ver sonore, ver d’oreille, chanson poison : à cette nomenclature déjà évoquée, ajoutons chanson obsédante.

Et rassurons-nous : suivant le journal Forum, une doctorante en psychologie à l’Université de Montréal, Andréane McNally-Gagnon, sous la direction de Sylvie Hébert, enquête afin de savoir pourquoi certains airs (musicaux) nous empoisonnent la vie.

Première conclusion : le pire ver d’oreille est «Ça fait rire les oiseaux» de La compagnie créole. (Classement complet ici, avec juste assez d’écoute pour être contaminé.)

Rime rare

Hubert-Félix Thiéfaine, Tous ces mots terribles, 2008, pochette

Soit les deux vers suivants :

En plus d’l’alphabet du calcul
J’ai pris beaucoup de pieds au cul.

De deux choses l’une : ou bien la rime se fait avec calcul (kalkule) ou bien avec cul (ku).

Réponse chez Hubert-Félix Thiéfaine.

 

Référence

Thiéfaine, Hubert-Félix, «Tranche de vie», Tous ces mots terribles. Hommage à François Béranger, Meso Productions, 2008.

Chantons en chœur

Dans la Belle Province, il y avait déjà Montréal, Québec, Trois-Rivières, Drummondville, Saguenay — pour ne nommer qu’elles. Il y a maintenant Laval.

Le Devoir, 1er et 2 mai 2010, p. G4, publicité

À chacun, et à chaque activité, sa capitale.

Souche et souches

Le mot est passé dans l’usage : il y aurait les Québécois de souche, et les autres. Devenu courant, on peut (enfin) l’utiliser avec distance.

C’est ce qui permet aux Cowboys fringants de chanter «Je suis un Québécois de souche / J’ai une fleur de lys tatouée s’a bouche.»

C’est ce qui permet à une collègue, d’origine européenne, mariée à un Américain, vivant à Montréal, d’appeler son chat La Souche; c’était le seul autochtone de la maison.

C’est ce qui permet à Carla Beauvais de lancer le magazine féminin Souche, «un nouveau magazine qui s’adresse aux femmes âgées entre 25 et 40 ans issues des communautés culturelles», dixit la Presse du 28 avril 2010 (cahier Arts et spectacles, p. 3).

Les souches ne sont plus ce qu’elles étaient.

 

[Complément du 26 octobre 2015]

Certains préfèrent néanmoins ne pas employer de souche : «Cette radio censée couvrir la grande région métropolitaine cosmopolite et multigénérationnelle semble plutôt monopolisée par des mâles “souchiens” d’un certain âge» (le Devoir, 26 octobre 2015, p. B8). Sur le plan de l’euphonie («sous-chien» ?), ce n’est pas tout à fait ça.

 

Référence

Les Cowboys fringants, «Québécois de souche», Motel Capri, 2001.