La clinique des phrases (iii)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante :

Depuis Jean-Jacques Rousseau au moins, et à travers tant de penseurs de l’éducation à la petite enfance comme Froëbel, Pestalozzi, Montessori et jusqu’à Piaget et au-delà, une certaine conception de l’enfance, légitime, et pour laquelle on peut avancer de bons arguments, demande qu’on laisse la nature suivre son cours, qu’on ne précipite pas les choses, qu’on laisse le temps faire son œuvre bénéfique. Rousseau écrira : «Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre.»

D’une part, Jean-Jacques Rousseau est mort en 1778; il n’«écrira» plus jamais rien. D’autre part, qui sait ce qu’il écrirait s’il revenait à la vie.

Donc :

Rousseau a écrit : «Oserais-je exposer ici la plus grande, la plus importante, la plus utile règle de toute l’éducation ? Ce n’est pas de gagner du temps, c’est d’en perdre.»

À votre service.

La clinique des phrases (hhh)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Soit la phrase (emberlificotée) suivante :

Je suis, de plus près que jamais depuis que Charb, que je connaissais et aimais, a, avec d’autres, été tué pour avoir fait des caricatures, la progression de l’islamisme en France.

Remettons-la sur ses pattes :

Je suis la progression de l’islamisme en France de plus près que jamais depuis que Charb, que je connaissais et aimais, a, avec d’autres, été tué pour avoir fait des caricatures.

À votre service.

La clinique des phrases (ggg)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Il arrive à l’Oreille tendue d’avouer son plaisir solitaire : rappeler que départir se conjugue, en théorie, comme partir. Quand on lui dit qu’elle «se départit» parfois inutilement de son calme, elle répond que ce n’est pas du tout vrai : elle «se départ» de son calme.

Hier, sans le perdre, elle est tombée sur cette phrase, correcte à l’oral, mais pas à l’écrit :

Autrement dit, malgré une ouverture qui se concrétisera dans son anthologie de 1978, LeBlanc ne se dépare pas d’une certaine perplexité.

Rectifions :

Autrement dit, malgré une ouverture qui se concrétisera dans son anthologie de 1978, LeBlanc ne se départ pas d’une certaine perplexité.

À votre service.

La clinique des phrases (fff)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Tous les auteurs ne s’entendent pas là-dessus : faut-il tolérer les répétitions dans un texte ? La majorité, à vue de nez (et d’Oreille), dit que non. Quelques-uns, par exemple Paul Léautaud, croient que oui.

C’est à cela que l’Oreille pensait en lisant ces deux passages journalistiques :

La remarque de Henry est venue à la suite d’une question d’un journaliste faisant allusion à un commentaire de Renard, fait la veille, au sujet du fait que l’Impact doit jouer ses matchs à domicile au New Jersey.

Jérôme Pelletier est à la recherche de tiques pour mener à bien l’expérience qu’il mène à Bromont.

Donc : faisant / fait / fait; mener / mène. Cela fait un peu beaucoup.

Proposons ceci :

La remarque de Henry est venue à la suite d’une question d’un journaliste faisant allusion à un commentaire de Renard, formulé la veille, au sujet de l’obligation de l’Impact de jouer ses matchs à domicile au New Jersey.

À Bromont, Jérôme Pelletier est à la recherche de tiques pour mener à bien son expérience.

À votre service.

La clinique des phrases (eee)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit la phrase suivante :

Tout est cuisiné au feu de bois, comme le font Francis Mallman en Argentine, Victor Arguinzoniz au Asador Etxebarri, dans le Pays basque, ou Niklas Ekstedt en Suède. Sauf que chez Foxy, on donne en plus à tout ça un ton presque moyen-oriental qui fait penser à une autre référence : Yotam Ottolenghi. Cela dit, j’adore y aller en automne, pour l’odeur de chalet, de grillades, la chaleur, ce sentiment de réconfort qu’on a à l’intérieur quand commencent les jours froids, moment de transition bien typique de notre climat.

Tout lecteur attentif aura repéré la présence évidemment inutile de «Sauf que» — cette locution si prisée au Québec — et de «Cela dit».

L’Oreille est professeure et éditrice; elle est habituée à se répéter. Ce n’est pas la première fois qu’elle déplore pareil abus des mots de transition. Ce ne sera pas la dernière.

Donc :

Tout est cuisiné au feu de bois, comme le font Francis Mallman en Argentine, Victor Arguinzoniz au Asador Etxebarri, dans le Pays basque, ou Niklas Ekstedt en Suède. Chez Foxy, on donne en plus à tout ça un ton presque moyen-oriental qui fait penser à une autre référence : Yotam Ottolenghi. J’adore y aller en automne, pour l’odeur de chalet, de grillades, la chaleur, ce sentiment de réconfort qu’on a à l’intérieur quand commencent les jours froids, moment de transition bien typique de notre climat.

À votre service.

P.-S.—Oui, c’est de la langue de margarine.