La clinique des phrases (m)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit les deux phrases suivantes :

«Le rose des temps se veut un roman ambitieux.»

Son auteure «explique qu’elle a voulu écrire “un roman altermoderne”, un courant récent qui se veut une réponse à la perte de sens de l’époque postmoderne.»

Peut-on se défaire des deux se vouloir ? Évidemment.

«Le rose des temps est un roman ambitieux.»

Son auteure «explique qu’elle a voulu écrire “un roman altermoderne”, un courant récent qui est une réponse à la perte de sens de l’époque postmoderne.»

On l’aura compris : l’Oreille tendue n’apprécie pas se vouloir et ne voit pas de mal à utiliser être.

À votre service.

La clinique des phrases (l)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit cet extrait d’une chronique gastronomique parue dans la Presse+ du 9 septembre :

Ambiance et décor : Magnifique lieu tout en nuances de blanc, moderne et accueillant, où se retrouvent les gens qui travaillent dans le Vieux-Montréal ou qui passent par là, et qui ont envie de manger des produits frais. Chouette terrasse.

Si l’Oreille comprend bien, les clients du restaurant doivent être proches de lui pour le fréquenter, soit parce qu’ils «travaillent dans le Vieux-Montréal», soit parce qu’ils «passent par là». Dans la mesure où il est en effet nécessaire de se trouver dans le quartier d’un restaurant pour y manger — autrement, c’est un brin compliqué —, cette phrase pourrait être simplifiée :

Ambiance et décor : Magnifique lieu tout en nuances de blanc, moderne et accueillant, où se retrouvent les gens qui ont envie de manger des produits frais dans le Vieux-Montréal. Chouette terrasse.

À votre service.

P.-S.—Cette chronique contient un bel exemple de langue de margarine : on y chante les louanges d’un établissement à la «modernité savoureuse, sans autre prétention». Le lieu est «moderne» et sert de la cuisine qui ne l’est pas moins. Cela met l’eau à la bouche de l’Oreille.

La clinique des phrases (k)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit le passage suivant d’une étude universitaire récente :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on a pu le voir dans certains exemples cités plus haut, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

Pourquoi écrire «certains exemples» ? (Règle générale, dans l’écriture universitaire, prudence oblige, on abuse de certain.) Il y a des exemples qui démontrent ce que l’on avance, et d’autres, pas. Donc :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on a pu le voir dans les exemples cités plus haut, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

Les «exemples» évoqués l’ont nécessairement été «plus haut» : «plus bas» n’aurait aucun sens. Corrigeons ce premier pléonasme :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on a pu le voir dans les exemples cités, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

Si «on a pu le voir», c’est précisément parce qu’on a cité des «exemples», ci-devant «plus haut». Enlevons un second pléonasme :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on a pu le voir, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

Si «on a pu le voir», c’est qu’«on l’a vu», non ? En outre, pourquoi «pouvoir» deux fois dans la même phrase («a pu le voir», «pourrait») ? Économisons :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on l’a vu, la rumeur a rapidement couru que l’enfant pourrait avoir été emmené au Canada.

N’y a-t-il pas moyen d’alléger la fin de la phrase ?

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, comme on l’a vu, la rumeur a rapidement couru que l’enfant aurait été emmené au Canada.

Pour un brin plus de clarté, déplaçons un morceau de la phrase :

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, la rumeur, comme on l’a vu, a rapidement couru que l’enfant aurait été emmené au Canada.

Le «comme» est-il indispensable ? Cela se discute.

Étant donnée la proximité avec la frontière canadienne, la rumeur, on l’a vu, a rapidement couru que l’enfant aurait été emmené au Canada.

L’accord, au féminin, de «donnée» ? Il paraît ne pas correspondre à l’usage actuel, sans pour autant que l’on puisse le dire fautif. Pour Marie-Éva de Villers (Multidictionnaire de la langue française, cinquième édition, édition numérique) et pour Jean Girodet, il faudrait en effet préférer l’invariabilité. Citons le second : «Pour l’expression étant donné, la règle d’accord a été longtemps incertaine. De nos jours, l’usage le plus fréquent est le suivant : 1 Placé devant le nom. Étant donné reste invariable […]. 2 Placé derrière le nom. Étant donné s’accorde en genre et en nombre […]» (Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, coll. «Les référents», 1988 [troisième édition], 896 p., p. 250). Modernisons :

Étant donné la proximité avec la frontière canadienne, la rumeur, on l’a vu, a rapidement couru que l’enfant aurait été emmené au Canada.

À votre service.

La clinique des phrases (j)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit le passage suivant du quatrième tome de la série Malphas de Patrick Senécal, Grande liquidation :

Et tout à coup, ses yeux se révulsent, il pousse un ultime râle et ne profère plus un son. Perdre conscience quand on a été atteint à la tête, c’est pas bon, vraiment pas bon ! Je l’étends sur le trottoir et, pris de panique, lui balance quelques soufflets au visage.
[…]
Je me relève et compose le 9-1-1 sur mon cellulaire.
[…]
Et je raccroche. Je sors de la cabine, retourne me pencher sur Gracq et lui serre la main de toutes mes forces (p. 350-351).

Bref, le narrateur se tient sur «le trottoir», il a utilisé son téléphone «cellulaire» et il n’a jamais eu besoin d’aller dans une «cabine».

Corrigeons :

Et je raccroche. Je retourne me pencher sur Gracq et lui serre la main de toutes mes forces.

À votre service.

 

Référence

Senécal, Patrick, Malphas 4. Grande liquidation, Québec, Alire, coll. «GF», 31, 2014, 587 p.

La clinique des phrases (i)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit l’affiche suivante, vue l’autre jour à l’Université de Montréal :

Publicité syndicales, Université de Montréal, 12 décembre 2016

Les habitués de l’Oreille tendue le savent : ce n’est pas elle qui va reculer devant un juron («criss»), bien au contraire.

En revanche, elle aimerait attirer l’attention des publicistes du Syndicat des étudiant-es salarié-es de l’Université de Montréal (SÉSUM) sur leur utilisation du pronom réfléchi.

Au lieu de «se doter», il aurait évidemment fallu «nous doter». Cela améliorerait sans aucun doute «la qualité de l’éducation».

Enfin, appeler à la mobilisation «dès 7 h 30», ça se défend. Mais quel jour ?

À votre service (syndical).