Rimes riches

Ils sont nombreux à vouloir tirer profit des victoires des Canadiens de Montréal dans les séries éliminatoires de la Ligue nationale de hockey.

La chaîne d’alimentation Metro (sans accent) a ainsi acheté une pleine page de publicité dans la Presse du 29 avril 2010 (p. A9), toute de bleu-blanc-rouge, les couleurs de l’équipe, sur fond de patinoire :

On en a mangé des émotions.

Assis, debout, couché sur le sofa. La pointe de pizza avant la mise au jeu. La bouche pleine en chialant contre l’arbitre. Le bol de maïs soufflé entre l’enthousiasme et l’inquiétude. La crème à glace quand notre gardien est touché par la grâce. Le ketchup à côté de l’assiette quand la rondelle frappe le poteau. Les yeux pleins d’eau, remplis de fierté pour nos Glorieux.

Metro

Fière partenaire des Canadiens de Montréal

Passons sur le titre, dont l’indigence n’a d’égale que celle du texte. Notons au passage l’absence de verbes conjugués : l’abus des phrases nominales est pourtant un crime grave, passible des pires violences. Attachons-nous toutefois un instant à la relation trouble du maïs soufflé et de la crème à glace.

Partons d’une évidence : qui dit crème à glace ne dit pas maïs soufflé — il dit pop-corn; qui dit maïs soufflé ne dit pas crème à glace — il dit crème glacée, voire, cas extrême — cas français de France — glace. Pourquoi cette rupture dans les niveaux de langue ? Pourquoi ne choisir ni glace ni crème glacée ?

Pour deux raisons. Glace n’aurait pas pu remplacer crème à glace : cela aurait créé une confusion avec la surface sur laquelle jouent les Canadiens. Crème à glace rime (à peu près) avec grâce.

La poésie n’est pas toujours où on l’attend.

Divergences transatlantiques 007

Quoi qu’en disent nombre de philosophes contemporains, la pensée binaire a du bon.

Ainsi, chacun sait que l’humanité, en toutes choses, se répartit en deux catégories : les uns vénèrent la Bible, les autres, le Coran; il y a les lecteurs de Diderot et les disciples de Rousseau; certains humains sont dionysiaques, leurs voisins, apolliniens; les universalistes moquent les régionalistes; les visuels n’écoutent pas les auditifs, et les olfactifs ne peuvent pas sentir les tactiles; on est bordeaux ou bourgogne; il y a ceux qui aiment le baseball et ceux qui ont tort de ne pas l’aimer.

On pourrait se livrer à la même partition en matière de langue : un vidéo, une job, une trampoline, la porno — ici; une vidéo, un job, un trampoline, le porno — là.

Ne reste qu’à croiser : Boire du bourgogne, c’est toute une job ! ou Le Coran ne recommande pas nécessairement le porno, par exemple.

Divergences transatlantiques 005

Jean-Philippe Toussaint, la Télévision, 1997, couverture

Un lecteur hexagonal ne tiquera pas en lisant la phrase suivante, tirée de la Télévision (1997) de l’excellent Jean-Philippe Toussaint : «Il n’y avait qu’un employé sur le quai absolument désert, qui regagna lentement sa cabine, son drapeau rouge et son talkie-walkie à la main» (p. 193).

L’Oreille tendue, elle, en bonne oreille québécoise nourrie d’anglais, s’étonne : elle aurait écrit walkie-talkie. (Aucun des dictionnaires anglo-saxons consultés ne connaît le talkie-walkie; ils ne connaissent que l’autre forme.)

Le passage d’un univers linguistique à l’autre est parfois renversant.

 

Référence

Toussaint, Jean-Philippe, la Télévision. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1997, 269 p.

Divergences transatlantiques 004

Un fidèle lecteur de (et à) l’Oreille tendue lui écrit ceci :

Une rosette me torture, qui n’est pas de Lyon mais du Québec. Elle se trouve sur la tête des humains, en ce lieu exact d’où les cheveux semblent commencer leur diffusion et prennent la forme d’une… rosette. Un ami traducteur me dit que le mot n’a pas cette acception en France. Il veut savoir comment les Français disent la chose.

Épi ? Ça s’approche, mais ce n’est pas tout à fait cela :

Par anal. (1835) Mèche de cheveux dont la direction est contraire à celle des autres. Avoir un épi. «cet épi sur la tempe gauche qui s’épanouit en toupet» (P. Guimard) (le Petit Robert, édition numérique de 2007).

Qui dit mieux ?

Illustration : Robert Lestourneau, 1er avril 2008, photo déposée sur Flickr

 

[Complément du 3 août 2022]

Exemple québécoromanesque : «La blessure qui laquait de carmin la rosette à Monti scintillait dans les ténèbres» (la Bête creuse, p. 288).

 

[Complément du 9 août 2022]

Dans son «Abécédaire du cuir chevelu», un centre de santé parisien propose tourbillon :

Zone au sommet du cuir chevelu au centre de laquelle les cheveux poussent dans des directions opposées. Les lignes d’implantation des cheveux sont alors incurvées ou spiralées. Le tourbillon peut tourner dans le sens des aiguilles d’une montre ou dans l’autre sens. Il est possible d’observer un ou 2 tourbillons selon les individus.

Dont acte.

 

Référence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.