Voyage avec une oreille

L’Oreille tendue s’est absentée de son pavillon quelques jours en juillet-août, d’abord au Québec, puis aux États-Unis, avant d’y revenir. Elle ne s’est pas détendue pour autant. Notes.

Elle peine elle-même à y croire : après une interruption de presque sept lustres, pendant ses vacances, elle a refait du camping. C’était au Parc national d’Oka. Le scrabble en plein air, particulièrement son coup d’ouverture, ça s’est bien passé. Le dos de l’Oreille ne saurait en dire autant.

Au scrabble, à Oka, «vergers»

Pour aller dans ce parc, quand on est montréalais, il faut quitter les «districts urbains», quoi que soient les «districts urbains».

Un «district urbain» en ville / à Montréal

À Oka, il y a un camping et une plage. Des sources conjugales proches de l’Oreille ont fréquenté la seconde. Au retour, elles avaient une question linguistique : quel est le féminin de douchebag ?

Posture; du coup : le livre que lisait l’Oreille — le plus loin possible de la plage — a évidemment été publié en 2017 par des universitaires francophones.

Comment sentir, dans son corps, que l’on est aux États-Unis ? Les routes sont moins cabossées que celles du Québec. Le sel est partout. Les portions n’ont rien à voir avec l’appétit d’un humain normalement constitué.

Taux de change oblige, l’Oreille s’est contentée, cette année, de 18 trous de minigolf. (Elle a gagné, comme au scrabble.)

S’agirait-il, à Stowe, au Vermont, d’un hommage déguisé à un ancien chef du Parti québécois ?

Parizo Trails, Stowe, Vermont

Un samedi soir, dans le jardin familial, le fils cadet de l’Oreille pratique ses longues remises — c’est du football — en se filmant sur son iPad. On n’arrête pas le progrès.

Les vacances, c’est fait pour lire — et pour pratiquer ses longue remises —, mais c’est aussi fait pour se remplir les oreilles. Au menu, cet été, il y a eu la série de baladodiffusions S•Town. Le premier épisode — pardon : le premier «chapitre» — est longuet, mais l’information inattendue livrée au deuxième accroche l’auditeur pour de bon.

Dans le quotidien belge le Soir, l’excellent Michel Francard a consacré quatre livraisons de sa chronique «Vous avez de ces mots» au français parlé au Québec : sur les amérindianismes (1er juillet), sur les québécismes (7 juillet), sur les anglicismes (15 juillet), sur les néologismes (22 juillet). Lecture recommandée, où que l’on soit.

En tournée montréalaise pour cause de 375e anniversaire, la Comédie-Française a présenté Lucrèce Borgia : décor magnifique, musique justement hollywoodienne, jeu soutenu, mise en scène cohérente. On notera toutefois que Victor Hugo ce n’est pas exactement Marivaux. Amateurs de subtilité (textuelle) s’abstenir.

Au Musée McCord, on propose une courte rétrospective des 50 ans de caricature d’Aislin. Le catalogue, à lui seul, vaut le détour — à cause de son regard sans complaisance sur la politique, certes, mais aussi sur le sport et sur Montréal, pour cause de 375e anniversaire, bis.

 

Référence

Mosher, Terry, From Trudeau to Trudeau. Aislin. Fifty Years of Cartooning, Aislin Inc. Publications, 2017, 280 p. Ill. Introduction de Bob Rae.

Une défaite de Voltaire à Westmount ?

Dans son «Discours aux Welches», paru en 1764 dans ses Contes de Guillaume Vadé, Voltaire écrivait :

On vous a déjà reproché de dire un bras de rivière, un bras de mer, un cul d’artichaut, un cul-de-lampe, un cul-de-sac. À peine vous permettez-vous de parler d’un vrai cul devant des matrones respectables; et cependant vous n’employez point d’autre expression pour signifier des choses auxquelles un cul n’a nul rapport. Jérôme Carré vous a proposé le mot d’impasse pour vos rues sans issue, ce mot est noble et significatif; cependant, à votre honte, votre Almanach royal imprime toujours que l’un de vous demeure dans le cul-de-sac de Menard, et l’autre dans le cul des blancs-manteaux. Fi ! n’avez-vous pas de honte ? Les Romains appelaient ces chemins sans issue Angiportus; ils n’imaginaient point qu’un cul pût ressembler à une rue (éd. de 2014, p. 323).

Impasse ou cul-de-sac ? Le narrateur a choisi son camp.

Jusqu’à tout récemment, la ville de Westmount, sur l’île de Montréal, refusait de trancher : avenue Willow, elle avait deux «cul[s]-de-sac» pour une «impasse».

Avenue Willow, Westmount, avant

Ce n’est plus vrai : trois «cul[s]-de-sac», insiste-t-on maintenant.

Avenue Willow, Westmount, après

Est-ce à dire que Voltaire aurait perdu son combat dans les rues de Westmount ?

 

[Complément du 24 septembre 2017]

Dans le quartier voisin, on se tâte encore.

Rue Dalou :

Impasse et cul-de-sac, rue Dalou, Montréal

Rue Snowdon :

Impasse et cul-de-sac, rue Snowdon, Montréal

 

Référence

Voltaire, «Discours aux Welches», édition critique par Diana Guiragossian-Carr, dans Contes de Guillaume Vadé, Oxford, Voltaire Foundation, coll. «Œuvres complètes de Voltaire», 57B, 2014, p. 297-337. Édition originale : 1764.

Des ans l’irréparable outrage

À compter de septembre, l’Oreille tendue donnera un cours sur le théâtre français du XVIIIe siècle. Elle est donc à (re)lire nombre de textes de et sur le théâtre des Lumières. Par la force de choses, elle tombe souvent, dans les comédies, sur le mot barbon : «Homme d’âge plus que mûr», explique le Petit Robert (édition numérique de 2014).

Quand elle était jeune, au Québec, on aurait parlé de croulant.

Ces deux mots, plus guère d’actualité, s’appliquent désormais à elle.