L’art du portrait : la continuation

Christian Gailly, les Évadés, 2010, couverture

«Le chauffeur Franck, un petit sournois, le type même de l’âme damnée, un vicieux, surtout le regard, des yeux bleus d’agité, toujours à ricaner, un malin, avec sa casquette de larbin en arrière et de biais bichonnait la Bentley.»

Christian Gailly, les Évadés, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 65, 2010, 234 p., p. 89-90. Édition originale : 1997.

L’art du portrait (de soi)

Éric Chevillard, Dino Egger, 2011, couverture

«Ma vie sentimentale est un cimetière sis dans un désert, au-delà de la mer de glace. Je n’ouvre plus un livre à l’exception des rébarbatifs registres de l’état civil. Les voyages que j’entreprends, tournés vers l’unique objet de mes recherches, ne me laissent aucun loisir pour le tourisme : je n’ai rien vu d’Amsterdam, de Lisbonne, de Chicago, d’Oulan-Bator. Je n’ai rien vu de Prague que les treize logements de Kafka auxquels me conduisit — donc — une fausse piste. On me dit qu’il y a des canaux à Venise, ah bon ? Mon toucher subtil m’attirait des compliments au tennis et au piano, j’ai dû renoncer à les pratiquer, aujourd’hui je les confonds un peu.»

Éric Chevillard, Dino Egger. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2011, 153 p., p. 90.

L’art du portrait, en sombre

Nicolas Ancion, Les ours n’ont pas de problème de parking, éd. de 2011, couverture

«Il tourna la tête pour scruter la rue, son visage ressemblait à une carapace de crabe, rouge et luisante, qu’on aurait fichée sur un vieux manteau usé et des épaules tombantes. Au milieu de l’animal, un nez crochu comme une pince de crustacé et deux yeux minuscules, retranchés au fond d’un entonnoir de rides.

[…]

Quel âge est-ce qu’il pouvait avoir ? Avec les cheveux blancs qui lui jaillissaient des oreilles et les pattes d’oie qui lui bouffaient la moitié du visage, je lui aurais donné cent ans ou presque. Quoique. Après le coup du crachat et à sentir son odeur de vieux fauve en fin de chasse, je ne lui aurais rien donné du tout. Pas même prêté, à vrai dire. Un bon bain chaud, à la limite, mais sans garantir l’état de la baignoire à la fin de l’opération. Il avait une véritable tête de crapule et des ongles d’oiseau de proie, aussi longs qu’ils étaient noirs et pointus. Le genre d’homme au long cours dont l’existence n’avait pas dû couler paisiblement.»

Nicolas Ancion, Les ours n’ont pas de problème de parking, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Fiction 17», 2011. Édition numérique. Édition originale : 2001.

L’art (chirurgical) du portrait

 Éric Chevillard, Dino Egger, 2011, couverture

«Dino Egger craint surtout de renaître sous les traits cireux et lisses de ces momies vivantes retouchées au scalpel que l’on dirait couvertes d’un film plastique et qui n’ont plus ni expression ni âge, puis autant de difficulté à sourire franchement que la paupiette ficelée.»

Éric Chevillard, Dino Egger. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2011, 153 p., p. 150-151.