De la mesure

La publicité aime jouer avec les mots.

«Aidez-nous à sortir la rue des sans-abri» : c’est la publicité actuelle de Mission Old Brewery, un organisme montréalais d’aide aux itinérants.

La forme attendue — Aidez-nous à sortir les sans-abri de la rue — aurait été trop banale, d’où cette formulation contournée, presque vide de sens.

Il arrive à la publicité de trop aimer jouer avec les mots.

Du leader

Le Québec se rêve en une position, celle de leader. En quoi ? Cela importe peu.

Pour les écolos, les occasions ne manquent pas : «Hydro-Québec se veut un leader en développement durable» (le Devoir, 15 septembre 2004, p. D2); «Le Québec sera le leader nord-américain en matière de développement durable» (le Devoir, 27-28 novembre 2004, p. B4); «Le Québec, leader de l’éolien» (le Devoir, 5 octobre 2004, p. A1).

La culture n’est pas en reste : «le Québec est le leader dans le dossier de la diversité culturelle» (la Presse, 2 décembre 2003, cahier Arts et spectacles); «Le Québec veut se poser comme un leader de la diversité culturelle» (le Devoir, 1er décembre 2003, p. B8); «Le Québec, leader des mondes virtuels» (le Devoir, 19 novembre 2008, p. B1).

On trouve encore des exemples en économie : «Le Québec figure parmi les leaders économiques» (la Presse, 25 novembre 2004, cahier Affaires, p. 3).

Le leader se décline aussi en chef de file : «Un nouveau chef de file du véhicule récréatif est né au Québec» (la Presse, 10 mars 2004, p. A19, publicité); «Le Québec, chef de file de la voiture électrique ?» (la Presse, 4 octobre 2004, cahier Auto, p. 3); «Montréal veut rester un chef de file de la création numérique» (la Presse, 13 novembre 2007, p. A7).

Tout cela est bel et bon : que du positif.

On s’étonne donc, en lisant la Presse, de constater qu’il existerait des «leaders négatifs» (26 décembre 2009, cahier Sports, p. 8). Il est vrai qu’ils ne sont pas québécois : il s’agit de deux joueurs de hockey anglophones, les deux endossant les couleurs des Flyers de Philadelphie. Ouf.

 

[Complément du 1er décembre 2015]

«Le Canada, ce faux leader», titre le Devoir du jour (p. B1). Un «faux leader», est-ce la même chose qu’un «leader négatif» ? Un «leader négatif», est-ce un «faux leader» ? Tant de questions, si peu d’heures.

Une bière capitale

La ville de Québec a sa bière, la Quatre-centième, brassée par Unibroue. Objectif, outre l’imbibition ? «Cette bière exclusive honore tous ceux et celles qui ont fait de cette ville extraordinaire la capitale de la joie de vivre !»

Mais, si elle est exclusive, qui exclut-elle ? Les non-Québecquois ?

Fil de presse 001

Logo, Charles Malo Melançon, mars 2021

The Economist (26 novembre 2009) propose quelques réflexions sur le tutoiement en allemand. Conclusion ? Le tutoiement, ce n’est plus ce que c’était («It used to be so simple»).

The New York Times (19 décembre 2009) dresse sa liste des catchphrases et buzzwords de 2009. Conclusion ? L’anglais, ce n’est plus ce que c’était («What is there to say about a period in which Tea Parties, swine flu parties and a beer summit became desirable social engagements in certain circles ?»).

Le Soleil (20 décembre 2009) recense les nouveaux tabous de la langue parlementaire québécoise, par exemple fainéants et incompétents. Conclusion ? La langue parlementaire, ce n’est plus ce que c’était («L’air du temps et la sensibilité exacerbée des uns et des autres feraient en sorte que des termes usuels se retrouvent du jour au lendemain au banc des accusés. Même s’ils avaient été utilisés des dizaines de fois sans jamais causer de problème»).

Le Devoir (22 décembre 2009) rapporte les résultats d’une enquête de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité et de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France sur l’utilisation de l’anglais dans la publicité hexagonale. Conclusion ? La langue de la publicité, ce n’est plus ce que c’était («Peu d’anglicismes, mais l’environnement tend à s’angliciser»).

La presse, elle, ne change guère.

P.-S. — L’Oreille tendue se promet bien de revenir sur les mots proscrits dans la Vieille Capitale.

 

[Complément du 15 janvier 2016]

C’est fait :

Melançon, Benoît, «Que dire et ne pas dire à l’Assemblée nationale», le Devoir, 23 septembre 2014, p. A7. Prépublication de «Vie et mort de l’éloquence parlementaire québécoise», Mœbius, 142, 2014, p. 75-78.