Projets de société

C’était le 25 avril 2011. L’Oreille tendue écrivait ceci : «What does Quebec want ? se demandait-on au Canada anglais dans les années 1960.» À partir de manchettes de journaux québécois, elle apportait douze éléments de réponse.

Rebelote aujourd’hui, en dix titres.

Les Québécois…

…«appuient le projet fédéral de pont, mais ils ne comprennent par la fixation d’Ottawa sur la reine» (le Devoir, 17 octobre 2011, p. A1).

…«ont adopté la télé sur le web» (la Presse, 31 octobre 2011, cahier Arts, p. 4).

…«aiment les Caraïbes, les États-Unis et… la Birmanie» (le Devoir, 29 décembre 2011, p. A4).

…«restent attachés à l’État et à la sécurité qu’il procure» (la Presse, 31 décembre 2011, p. A8).

…«dérogent à la norme qui fixe l’âge de la retraite à 65 ans» (le Devoir, 21-22 janvier 2012, p. G1).

…«prêts à payer pour lutter contre les changements climatiques» (la Presse, 8 février 2012, p. A19).

…«veulent plus pour la santé et les aînés» (le Devoir, 12 mars 2012, p. A8).

…«veulent que Québec agisse» (le Devoir, 27 mars 2012, p. 3).

mais surtout

…«veulent Patrick Roy comme directeur général et entraîneur du Canadien» (la Presse, 30 mars 2012, p. A1).

…«réclament Patrick Roy» (la Presse, 30 mars 2012, cahier Sports, p. 3).

Sacrer dans le poste

Le «câlice» de Megan (et de Mad Men)

Sur Twitter, le 25 mars, jour de diffusion du premier épisode de la cinquième saison de la série Mad Men, @richardhetu écrivait ceci : «La femme de Don Draper (J. Paré) vient de dire câlice. Une première à la télé américaine. #MadMen.» Le lendemain, même information, avec un commentaire («Misère») et la photo ci-dessous, chez @PasqualeHJ.

Jessica Paré, qui joue Megan Calvet, la nouvelle Mrs Don Draper, vient de Montréal. Qu’elle utilise câlice est facile à justifier. (Vu son nom de famille, elle aurait aussi pu se servir de calvette, forme euphémisée de calvaire.)

Est-ce la première fois que la télévision états-unienne fait entendre ce genre de langage ? Que nenni.

Dans le treizième épisode de la sixième saison des Sopranos, «Soprano Home Movies» (2007), Tony Soprano fait affaire avec deux Québécois francophones. L’un dit à l’autre : «Astie, j’ai oublié !».

La culture québécoise s’exporte au sud de la frontière.

P.-S. — Il y a aussi un «Saclebleu», pour «Sacrebleu», dans «Cold Cuts» (cinquième saison, neuvième épisode, 2004). La traduction française, visible sur YouTube, a remplacé ce juron par «Tabernâcle». La prononciation du personnage de Tony Soprano n’est au point ni dans l’original ni dans la traduction.

P.-P.-S. — L’Oreille a déjà dit un mot de Mad Men et des Sopranos. Le contexte n’était pas tout à fait le même.

 

[Complément du 27 mars 2012]

On peut (ré)entendre ce «câlice» bien senti ici.

 

[Complément du 28 mars 2012]

Pour une réflexion plus générale sur le rapport aux jurons de ceux qui apprennent le français familier parlé au Québec, voir le blogue d’Anne-Marie Beaudoin-Bégin, En tous cas.

 

[Complément du 31 mars 2012]

Dans la Presse d’aujourd’hui, sous le titre «L’homo tabarnacus», Patrick Lagacé consacre un article aux sacres québécois (p. A10). On y entend l’Oreille.

Si vous allez à la police, nous l’exécuterons

Il lit l’Oreille tendue. Appelons-le, entre nous, le Sartrien de choc.

Un jour, il se plaignait de l’utilisation excessive de l’expression prendre en otage. Il en proposait une définition : «Déranger dans leurs habitudes, même temporairement, les contribuables et leur progéniture.» Il avait son exemple : «Les grévistes ont pris les parents et leurs enfants en otage.»

Hier, des manifestants ont bloqué un des ponts qui mènent à Montréal, le pont Champlain. Le Sartrien de choc a dû être ravi devant la manchette de TVA nouvelles annonçant leur geste.

«Le pont Champlain pris en otage», manchette, 20 mars 2012

Le nono a la vie dure

Roy MacGregor, Complot sous le soleil, 2001, couverture

On grandit, et on s’imagine que les mots de son enfance disparaissent avec elle. On est convaincu que poche était sorti de l’usage, et on se trompe. On croyait nono désuet, et on se trompe encore.

Nono ? Le mot, substantif ou épithète, s’inscrit dans une série de termes désignant une forme, plus ou moins bénigne, de bêtise : deux de pique, épais, gnochon, gueurlo, insignifiant, moron, snôro, tarla, toton, twit — pour ne retenir que ceux-là. En 1980, Léandre Bergeron le définissait d’un synonyme : «Imbécile» (p. 337). C’est un brin trop fort.

Est nono qui est victime de sa nounounerie : «Tâchons de nous réjouir sans sombrer dans la nounounerie» (la Presse, 19 novembre 2003). La compagne du nono est généralement la nounoune, même si Gaston Dulong préfère la nonote (Dictionnaire des canadianismes, éd. de 1999, p. 352).

Où trouve-t-on le mot nono aujourd’hui ?

Dans les titres de presse : «Téléphone intelligent pour conducteur nono» (la Presse, 7 mars 2011, cahier L’auto, p. 18).

À la télévision : l’excellent blogue OffQc | Quebec French Guide en relevait récemment une occurrence dans la série les Parent.

Chez les traducteurs : «Pas le moustique, nono, dit Sim» (Terreur au camp de hockey, p. 27); «C’est pas les lunettes, nono !» (Complot sous le soleil, p. 68).

Sous la plume du chroniqueur de la Presse Pierre Foglia, qui est friand du mot. Un seul exemple, où il parle de son collègue Yves Boisvert : «il s’était fait offrir un repas par M. Accurso et [il] avait refusé, le nono» (la Presse, 20 décembre 2011, p. A8).

Bref, l’Oreille était nonote d’avoir cru à l’obsolescence du mot nono.

 

[Complément du 15 mars 2012]

Anne-Marie Beaudoin-Bégin, du blogue En tous cas…, signale à l’Oreille tendue l’entrée nono de la Base de données lexicographiques panfrancophone•Québec. On y découvre une nonotte (avec deux t). Merci.

 

[Complément du 31 janvier 2018]

Ces jours-ci, nono reprend du galon, si tant est qu’il en ait jamais perdu, grâce au premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Celui-ci a traité les membres d’un groupuscule québécois d’extrême droite, La Meute, de «nonos qui se promènent avec les pattes de chiens sur le t-shirt». Ce n’est pas la première fois que la langue de Justin Trudeau attire l’attention.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Dulong, Gaston, Dictionnaire des canadianismes, Sillery (Québec), Septentrion, 1999 (nouvelle édition revue et augmentée), xix/549 p.

MacGregor, Roy, Complot sous le soleil, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 6, 2001, 148 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1997.

MacGregor, Roy, Terreur au camp de hockey, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 4, 1999, 142 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 1997.

L’oreille des lecteurs de l’Oreille

Il est temps de l’avouer : l’Oreille tendue, comme on dit dans les officines politiques anglicisées, a plusieurs agendas cachés. En voici deux, parmi bien d’autres : elle souhaite avoir des lecteurs nombreux; elle rêve que ces lecteurs se mettent à voir partout des traces des tics langagiers qu’elle s’amuse à épingler.

Un tweet et un courriel, reçus au cours des derniers jours, la rassurent sur la qualité des visiteurs de son blogue. C’est cependant elle, et non l’inverse, qui se met aujourd’hui à repérer autour d’elle ce que ce tweet et ce courriel lui ont révélé.

Premier cas

Le 22 février, sur Twitter, @nicolasdickner écrivait ceci : «Question à @benoitmelancon : l’Oreille s’est-elle déjà intéressé au verbe oser ?» Suivait une liste de liens, où l’on pouvait mesurer le succès de ce verbe, surtout à l’impératif. L’Oreille n’avait jamais remarqué combien il était populaire. Depuis, elle ne voit que lui.

Dans le métro :

Se mettre en mode «osez»

Sur Twitter : «La chose la plus rigolote qu’on m’ait dit cette semaine : “Tu devrais oser le point-virgule, ça fait extravagant!”»

En titre dans le Devoir : «Il faut “oser” enseigner l’égalité» (3-4 mars 2012, p. G5).

Parmi des recommandations en matière de bibliographie : «Oser les bibliographies surprenantes ou séduisantes.»

Second cas

Le courriel provenait d’un fidèle lectrice; appelons-la, entre nous, La sociocriticienne postrudérale. Elle attirait l’attention de l’Oreille, nombreux exemples à l’appui, sur l’expression en mode, le plus souvent suivie d’un nom, plus rarement d’un adjectif.

«en mode élection» (le Devoir, 27 février 2012)

«se “mettre en mode pause”» (le Devoir, 24 février 2012)

«en mode persuasion et démarcation» (le Devoir, 20 février 2012)

«en mode séduction» (le Devoir, 18 février 2012)

«en mode électoral» (le Devoir, 13 février 2012)

«en mode achat» (la Presse, 27 février 2012)

«en mode confrontation» (la Presse, 19 février 2012)

«en mode éducation» (la Presse, 18 février 2012)

Comme il se doit, l’Oreille, maintenant alertée, ouvre son journal et tombe sur ceci : «Du ski de fond en mode contemplatif» (la Presse, 3 mars 2012, cahier Voyage, p. 15).

Le monde de l’Oreille ne sera jamais plus le même. Merci.

P.-S. — À quand un Osez le «en mode» ?

 

[Complément du 1er avril 2015]

Deux choses.

Le phénomène en mode n’est pas récent : Antoine Robitaille en parlait au micro de Marie-France Bazzo, à l’émission Indicatif présent de la Société Radio-Canada, le 9 mai 2006.

Et voici une nouvelle brassée d’exemples, pour montrer que en mode ne se démode pas.

«Improvisation en mode… pétoncle» (la Presse+, 1er avril 2015).

«“Une vidéo en mode solution”… c’est un nouveau format HD ?» (18 mars 2015, @PimpetteDunoyer)

«Une comédie musicale en mode yiddish pour Socalled» (le Devoir, 7 juin 2013, p. B1).

«Exceldor en mode solution poulet» (la Presse, 19 mars 2013, cahier Affaires, p. 8).

«Le ministre Pierre Duchesne en mode écoute» (le Devoir, 10 octobre 2012, p. A3).

«On était en mode électoral plus que financier» (le Devoir, 6-7 octobre 2012, p. A1).

«Nexen : la Chine en mode séduction» (le Devoir, 24 septembre 2012, p. A4).

«Joueurs et proprios en mode séduction» (la Presse, 17 septembre 2012, cahier Sports, p. 2).

«Les Biches pensives en mode intime et collectif» (le Devoir, 18-19 août 2012, p. E1).

«Huit camps pour de la poésie en mode extrême» (@Gehenne1, 23 juillet 2012).

Cristiano Ronaldo s’est mis «en mode madrilène» (la Presse, 18 juin 2012, cahier Sports, p. 4).

«Pique-nique en mode rural» (le Devoir, 26-27 mai 2012, p. G5).

«Il y a peut-être un signal à saisir pour le rédacteur de la loi quand ceux qui doivent l’appliquer sont en mode retenue…» (le Devoir, 23 mai 2012, p. A7).

«Shan en mode asiatique» (la Presse, 9 mai 2012, cahier Affaires, p. 3).

«Nissan en mode hybride» (la Presse, 12 mars 2012, cahier Auto, p. 6).