Chronique d’un moratoire annoncé

Gabriel García Márquez, Chronique d’une mort annoncée, 1981, couverture

Ceci, dans le Devoir du jour : «Chronique d’un fiasco annoncé.»

En voyant ce titre, l’Oreille tendue, qui aime assez les moratoires, même non suivis d’effets, s’est souvenue d’une suggestion d’un de ses lecteurs : «Pour un éventuel complément à votre entrée de L’oreille tendue, voici une autre formule toute faite souvent vue et lue dans les titres : “Chronique d’une [quelque chose] annoncée”, d’après García Márquez, cette fois. Celle-là, elle m’agace particulièrement…»

En effet.

«Chronique d’une invasion annoncée en Syrie» (le Devoir, 4 novembre 2019).

«Éducation. Chronique d’une crise annoncée» (le Devoir, 29 août 2019, p A1).

«Baleines. Chronique d’une mort annoncée» (la Presse+, 28 juillet 2019).

«Chronique d’un suicide annoncé» (le Devoir, 2 août 2017, p. B7).

Pitié pour Gabriel García Márquez, svp.

 

[Complément du 5 avril 2022]

Une autre louche ?

«Chronique d’une crise migratoire annoncée» (la Presse+, 4 avril 2022).

«Chronique d’une mort annoncée» (la Presse+, 3 septembre 2021).

«Chronique d’un départ annoncé. “Le party était terminé”» (la Presse+, 24 mai 2020).

«Reportage diffusé ce matin à Désautels le dimanche. Montréal-Nord, chronique d’une tragédie annoncée» (Twitter, 3 mai 2020).

«Covid-19 ou la chronique d’une émergence annoncée» (Collège de France).

 

[Complément du 15 mai 2023]

Avec ce romancier, une extension du domaine du moratoire est à envisager.

Il y a la chronique annoncée, certes.

«Chronique d’une mort annoncée pour une pionnière» (la Presse+, 1er mai 2023).

«Gironde, chronique d’un désastre annoncé» (Paris match, 31 juillet 2022).

«Chronique d’un drame annoncé» (la Presse+, 16 avril 2022).

Mais il y a aussi l’amour au(x) temps du x (comme dans l’Amour aux temps du choléra, 1985).

Anouar Benmalek, l’Amour au temps des scélérats (2023).

Sans oublier x ans de solitude (comme dans Cent ans de solitude, 1967).

«Cuba : soixante ans de solitude» (la Presse+, 15 mai 2023).

Ça commence à faire beaucoup pour un seul homme.

Mise en délibéré

Dans le Devoir des 8-9 février 2020 :

«D’ailleurs, au risque de dire quelque chose qui semblera peut-être incongru, ce film, c’est aussi une lettre d’amour à Montréal» (le D magazine, p. 5).

«Cette série est une lettre d’amour au pouvoir de la télévision» (le D magazine, p. 37).

Déjà en 2015 :

«une vibrante lettre d’amour au cinéma» (24 décembre 2015, p. E4).

Dans la Presse+ :

«Leur auteur les décrit comme une “lettre d’amour à Montréal”, mais c’est surtout l’œuvre d’un érudit qui nous livre une très belle réflexion philosophique» (6 novembre 2019).

«Cet album est une lettre d’amour à l’amour, dans tout ce qu’il a de plus irritant, passionné, excitant, ravissant, horrible, tragique, magnifique, glorieux» (26 août 2019).

«Lettre d’amour à» : moratoire ou pas ? L’Oreille tendue se tâte.

 

[Complément du 13 décembre 2021]

Brassée du jour. Ça ne va pas mieux.

«Une lettre d’amour à Naples» (la Presse+, 3 décembre 2021).

«Une lettre d’amour à l’Eurovision» (la Presse+, 27 juin 2020).

«À travers ses réflexions tissées de métaphores, elle offre aussi, et surtout, une magnifique lettre d’amour aux langues, le français en particulier, et à leur pouvoir transformateur» (la Presse+, 1er mars 2020).

«C’est dommage, parce qu’au fond, mon film est une lettre d’amour à Niagara Falls» (le Devoir, le D Magazine, 22-23 février 2020, p. 15).

«Lettre d’amour à l’Amérique noire» (la Presse+, 17 février 2021).

«Le roman peint aussi un tableau vivant de la Côte-Nord et est une lettre d’amour sentie aux produits de la mer, qui y occupent une place centrale» (la Presse+, 25 avril 2021).

 

[Complément du 3 novembre 2023]

Ça n’arrête pas de continuer.

«Lettre d’amour à une France récalcitrante» (la Presse+, 3 novembre 2023).

«Petite lettre d’amour à Montréal» (la Presse+, 19 août 2023).

Lettre d’amour à la ville (Télé-Québec, mars 2023).

«Une lettre d’amour à la France» (la Presse+, 26 mai 2023).

«Une lettre d’amour à la diversité culturelle» (la Presse+, 20 septembre 2022).

«Lettre d’amour à Montréal» (le Devoir, 2 septembre 2022, p. B3).

«La lettre d’amour de Michel Tremblay aux acteurs» (la Presse+, 10 mai 2022).

«Lettre d’amour à ceux qui n’ont plus de voix» (le Devoir, le D magazine, 19-20 février 2022, p. 32).

Accouplements 145

Portrait de Tennessee Williams à 54 ans, Wikipédia

 

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Pendant les matchs de hockey, le concessionnaire d’automobiles et de camions Paillé aime vanter la puissance de ses véhicules. Un camion, par exemple, tire plusieurs remorques. Sur l’une d’elles, on trouve une embarcation lacustre : «Un ponton nommé Désir.»

Dans le Devoir des 18 et 19 janvier, en titre : «Un sujet nommé désir» (le D Magazine, p. 4).

La postérité de Tennessee Williams est assurée.

 

[Complément du 25 février 2020]

France Culture frappe plus fort, sur Twitter :

 

[Complément du 25 août 2022]

Tous les Québecquois ne s’entendent pas sur la présence d’un tramway dans leur ville. Les préposés aux titres s’en donnent à cœur joie, note @ThomasOSP.

Titres de presse contenant des jeux de mots sur un titre de Tennessee Williams

Proposition de moratoire du lundi

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de parler de l’expression Révolution tranquille; c’était ici. Est-elle appréciée au Québec ? Beaucoup trop.

«Révolution tranquille en création musicale» (le Devoir, 3-4 juin 2017, p. E4).

«La révolution tranquille de Terry Riley» (le Devoir, 13-14 mai 2017, p. E3).

«Révolution tranquille dans le secteur de l’énergie» (la Presse+, 11 juin 2016).

«Cuba à l’aube d’une autre révolution, tranquille celle-là» (le Devoir, 7 janvier 2015, p. B1).

«Pour une Révolution tranquille de la rémunération globale du secteur municipal» (la Presse+, 18 novembre 2014).

«Révolution tranquille dans les valeurs mobilières» (la Presse, 5 juillet 2014, cahier Affaires, p. 6).

«Une “révolution tranquille” pour Montréal» (le Devoir, 16 septembre 2013, p. A3).

«La petite Révolution tranquille. Haïti tente de convaincre les donateurs de faire cadrer l’aide internationale dans son nouveau projet de société» (la Presse, 15 janvier 2013, p. A19).

«John Parisella veut provoquer une révolution tranquille de la #philanthropie… #UdeM» (@udemnouvelles).

«La “e-révolution tranquille”, cela vous dit quelque chose ?» (le Devoir, 30 avril 2012, p. A7).

«Macky Sall, candidat de l’opposition au Sénégal. Révolutionnaire tranquille» (la Presse, 3 mars 2012, p. A26).

«Un néocolonialisme à la québécoise ? La gestion de nos richesses naturelles attend encore sa révolution tranquille dans certains secteurs» (le Devoir, 2-3 avril 2011, p. B6).

«La “Révolution tranquille” du Rwanda» (la Presse, 8 mai 2010, p. A31).

«Ottawa prépare la “révolution tranquille” des autochtones» (la Presse, 27 septembre 2006, p. A11).

«Le théâtre et sa révolution tranquille» (le Devoir, 8-9 mai 2004, p. E1).

Le moment est peut-être venu d’avoir recours à ce syntagme figé avec plus de parcimonie. Merci.

Tic cinématojournalistique

Denys Arcand, le Confort et l’indifférence, film, 1981, affiche

Soit la phrase suivante, tirée d’un texte récent d’Yvon Rivard :

«J’espère que le pipeline Énergie Est — qui vise à blanchir le sable sale en l’exportant — ou que l’incroyable loi 106 sur la politique énergétique — qui traduit concrètement le déracinement politique du peuple — vont réveiller tous ceux que le confort a endormis dans l’indifférence sociale et spirituelle ou qui croient qu’il suffit de vouloir un pays et de définir ses valeurs pour échapper à la mondialisation de l’insignifiance.»

Soit celles-ci, dans le Devoir :

«Pourtant, il manque parfois un peu d’air de l’extérieur. Les motifs des uns et des autres, ce qui les amène à quitter leur emploi (le cas de Marcel Chaput, fonctionnaire fédéral, est bien connu), la sécurité et, tant qu’à y être, le confort et l’indifférence, comment s’expliquent-ils ?» (9-10 mai 2015, p. F4)

«À la fin, on reste avec l’impression que, épousant de trop près la logique de son sujet, Dimanche napalm nous rejoue la chanson du confort et de l’indifférence sans allumer de nouveaux feux» (15 novembre 2016, p. B7).

Soit les titres de presse suivants :

«L’inconfort de la différence», le Devoir, 16 novembre 2016, p. B9.

«L’inconfort et l’indifférence», la Presse+, 20 mars 2016.

«Le confort et la différence. La nouvelle pièce de Steve Gagnon dénonce cette “vie préfabriquée” imposée socialement», le Devoir 5-6 mars 2016, p. E3.

La conjonction, donc, des mots (in)confort et (in)différence. Pour quelqu’un d’étranger au Québec, sa fréquence pourrait étonner. Le mystère s’éclaircit facilement : en 1981, Denys Arcand tournait un film intitulé le Confort et l’indifférence.

Comme la paire hiver / force, (in)confort / (in)différence est un des lieux communs de la titrologie de souche.

 

[Complément du 3 juillet 2019]

En titre ?

«Le confort et l’indifférence» (le Devoir, 3 juillet 2019, p. A7).

«Au sud du confort et de l’indifférence» (la Presse+, 4 mars 2017).

«Le confort et l’indifférence» (le Code Québec, 2016, p. 95).

Dans le corps du texte ?

«“Nous n’avons jamais été aussi libres”, constate [Bernard] Émond, mais nous gaspillons cette liberté dans le confort et l’indifférence» (le Devoir, 21-22 janvier 2017, p. F6).

«Mais c’est un cercle vicieux, bien sûr. Plus nous nous engourdissons dans le confort et l’indifférence, plus ces plaisirs prennent la place des choses qui pourraient nous offrir un contentement véritable, et moins justement nous sommes satisfaits de notre existence. Alors nous retombons dans les obsessions, les addictions et la perte de sens généralisée» (Nouveau projet, 13, printemps-été 2018, p. 20).

«L’exploit sportif fait rêver. Il renvoie à l’amateur de sport, affalé dans le confort et l’indifférence de son sofa, une version sublimée de lui-même» (Dans mon livre à moi, p. 9).

«Les élèves de collèges qui ont réveillé la belle province endormie dans son “confort” et son “indifférence” forment les premières cohortes qui ont vécu la tant décriée réforme de l’éducation québécoise. La grève étudiante montre à quel point ces élèves ont intégré les fameuses compétences transversales : exploiter l’information; résoudre des problèmes; exercer son jugement critique; mettre en œuvre sa pensée créatrice; se donner des méthodes de travail efficaces; exploiter les technologies de l’information et de la communication; actualiser son potentiel; coopérer; communiquer de façon appropriée» (Martin Lépine, dans Carré rouge, p. 66).

Le temps serait-il venu d’envisager un (autre) moratoire ?

 

[Complément du 4 juillet 2019]

Ceci, dans la Presse+ du jour. Décidément…

«Le confort et l’indifférence», la Presse+, 4 juillet 2019

 

Références

Léger, Jean-Marc, Jacques Nantel et Pierre Duhamel, le Code Québec. Les sept différences qui font de nous un peuple unique au monde, Montréal, Éditions de L’Homme, 2016, 237 p. Ill.

Nadeau, Jacques, Carré rouge. Le ras-le-bol du Québec en 153 photos, Montréal, Fides, 2012, 175 p. Ill. Note de l’éditeur par Marie-Andrée Lamontagne. Préface de Jacques Parizeau. Postface de Marc-Yvan Poitras.

Niquet, Olivier, Dans mon livre à moi, Montréal, Duchesne et du Rêve, 2017, 295 p. Ill. Mot de l’éditeur (Patrice Duchesne). Préface de Jean-René Dufort.

Rivard, Yvon, «Le péril qui sauve», Nouveau projet, numéro hors série «RétroProjecteur 2016-2017», 2016, p. 19.