Le zeugme du dimanche matin et de Marcel Proust

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, éd. de 1976, couverture

«je remarquais pour la première fois avec irritation qu’elle avait un langage vulgaire, et hélas ! pas de plumet bleu à son chapeau».

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, édition de Pierre Clarac et André Ferré, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 821, 1976, 504 p., p. 466.

Merci à @fbon.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Relire Cherokee

Jean Echenoz, Cherokee, 1983, couverture

Relire Cherokee (1983) de Jean Echenoz (presque) trente ans après sa parution ?

C’est retrouver des zeugmes.

«La voyante posa sur lui un regard attendri, sur ses jambes un plaid […]» (p. 12).

Cela lui donnait «une allure confuse de souteneur et de petit déjeuner» (p. 32).

Marguerite-Elie Ferro était doté «de soixante-huit ans et d’un énorme capital» (p. 43).

Georges Chave, à la Bibliothèque nationale, rue de Richelieu, «consulta toutes sortes de fichiers, à la recherche d’ouvrages traitant de l’émigration française en général, bas-alpine au Mexique et au XIXe siècle en particulier […]» (p. 60).

C’est retrouver des chiens absents, même si, en apparence, dans l’intrigue, l’animal le plus important semble être un perroquet, en l’occurrence Morgan.

«Georges entra : cela sentait fort le chien, ou plutôt les chiens, dont au moins un mouillé. Mais il n’y avait pas de chien, pas plus que de volaille dans le poulailler ruiné qu’étayait un mur tout au fond du jardin» (p. 18).

(Jean Echenoz, qui n’aime pas les pigeons, ces «rats de l’espace» [p. 168], a un faible pour les chiens.)

C’est retrouver des antimétaboles (à distance).

«Il y avait des vents, des peaux, des cordes, des panoplies de saxophones rangés par ordre décroissant comme des outils, et puis un piano dans le fond, un crapaud coréen» (p. 26).

«Entre les deux courait un établi bardé d’étaux, d’outils, de tout ou partie de moteurs, de caissons gras contenant des pièces, de bidons bouchés par des chiffons noirs, de panoplies de clefs fixées au mur par ordre décroissant comme des saxophones parmi plusieurs calendriers de l’année en cours, qu’illustraient des photographies de femmes déshabillées dans des voitures décapotées» (p. 124).

C’est retrouver la perfection (circulaire) d’un paragraphe qui commence par «Entrons» et se clôt sur «sortons» (p. 243).

C’est retrouver d’étonnants portraits.

«La dame qui vint ouvrir n’avait plus sa jeunesse mais elle était bien belle, droite, ferme et fardée, avec un sourire émouvant. Elle avait un visage de bonne fée incestueuse, comme le portrait-robot établi par un homme qui voudrait décrire à la fois Michèle Morgan et Grace Kelly à cinquante-cinq ans, cet homme étant Walt Disney. Elle portait un tailleur Chanel couleur zinc, un corsage gris et léger comme une fumée et un énorme collier en or» (p. 27-28).

«Georges examina l’intrus, le trouva de carrure avantageuse et de peau très blanche, avec des cheveux blonds très clairs et des yeux bleus très pâles, comme si on l’avait longuement plongé dans l’eau de Javel. Il avait l’air d’un ange haltérophile trop précocement sevré, trop souvent reclus dans le cabinet noir, avec un sourire triste d’ancien enfant de troupe. Il portait au poignet une grosse gourmette en métal blanc avec son prénom dessus» (p. 89-90).

«L’inconnu pouvait avoir quelque quarante ans, malgré ses yeux de trop jeune taupe que grossissaient des verres épais, malgré des rides se croisant sur son front, autour de ses yeux, reliant profondément les coins de sa bouche aux ailes de son nez. À armes encore inégales, le blanc disputait au roux la majorité de ses cheveux courts parmi lesquels luttaient aussi nombre d’épis multidirectionnels, comme une herbe rase soumise aux vents continentaux. À première vue, son visage et tout son corps semblaient agités de tics incessants, et puis non : c’était l’arrangement presque dissymétrique de ses membres qui produisait cette impression — quoiqu’il eût aussi quelques tics réels, mais pas tant que ça. Il portait un pantalon blanc et une chemise hawaïenne à manches courtes imprimée de palmiers, de skieurs nautiques vert pomme et jaune citron sur plans de topaze. Son sourire n’était pas arrogant mais plutôt résigné, et découvrait un chevauchement de dents mal implantées, battues d’épis à l’instar de sa chevelure, penchées en tous sens comme de vieilles pierres tombales» (p. 112-113).

C’est ne pas s’y retrouver dans l’intrigue, cette parodie de roman noir.

Relire Cherokee, bref, c’est se retrouver chez soi.

P.-S. — Il était temps : là, à côté, il y a dorénavant une catégorie «Echenoz».

 

Référence

Echenoz, Jean, Cherokee. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 1983, 247 p.

 

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Les zeugmes du dimanche matin et de Clément de Gaulejac

Clément de Gaulejac, Grande école, 2012, couverture

De l’excellent Grande école, les deux zeugmes suivants :

il buvait «son vin en quantité, certes, mais en cachette» (p. 62);

le garçon de café avait dû abandonner «son poste et sa moustache» (p. 104).

Cément de Gaulejac, Grande école. Récits d’apprentissage, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 58, 2012, 237 p. Ill.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 2 janvier 2013.

 

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Le zeugme du dimanche matin et de Clémence DesRochers

Clémence DesRochers, Le monde sont drôles, 1966, couverture

«Nous faisions sécher les fleurs vivantes, nous arrosions les feuilles mortes, nous écrivions leurs noms, souvent féroces, en couleur, en grec, en vulgaire et en lettres carrées.»

Clémence DesRochers, Le monde sont drôles : nouvelles suivies de La ville depuis (lettres d’amour), Montréal, Parti pris, coll. «Paroles», 9, 1966, 131 p., p. 36.

 

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