Tout le monde l’est-il ?

Ouvrant son Devoir des 19-20 octobre, un fidèle lecteur de l’Oreille tendue, @profenhistoire, a eu l’œil attiré par un mot.

«Plateau Mont-Royal. Un quartier mythique au musée» (p. D4).

«Dès lors, on mesure mieux la dimension archétypale, mythique, de cette histoire d’une adolescente ostracisée relevant peut-être après tout non pas du conte, mais de la tragédie» (p. E3).

«La danse de la réalité d’Alejandro Jodorowsky. Le cinéaste mythique clôture ce samedi le 42e Festival du nouveau cinéma» (p. E9).

«Trevanian, ça vous dit quelque chose ? Un auteur mythique, semble-t-il, qui a publié à compter du début des années 1970 une bonne douzaine de romans — dont cinq vendus à plus d’un million d’exemplaires — sous trois ou quatre pseudonymes avant de s’éteindre en 2005 dans le Pays basque» (p. F2).

«Un nouveau western, dans les territoires mythiques de l’Ouest» (p. F5).

Pareille déferlante inspire deux réflexions à l’Oreille.

Tant de mythes, ça doit faire beaucoup de boulons, non ?

Pour le dire comme Diderot, «si tout ici-bas était mythique, il n’y aurait rien de mythique».

Le mépris de Bell

I.

Bell est un des géants des télécommunications au Canada. On ne s’étonnera pas que l’entreprise multiplie les campagnes publicitaires : la compétition est féroce dans ce secteur de l’économie.

Dans un de ses plus récents messages télévisés, une femme interroge une de ses amies au sujet d’un groupe d’hommes enfermés dans le garage de celle-ci : «Ça leur dérange pas […] ?»

La faute est grossière : déranger est un verbe transitif direct (Ça les dérange pas […] ?).

On pourrait penser qu’il s’agit d’une faute involontaire.

Quand on compare cette publicité à d’autres de Bell, certaines commentées par l’Oreille tendue, une autre par le chroniqueur Pierre Foglia dans la Presse, on est plutôt porté à penser qu’il s’agit d’un choix délibéré des concepteurs de ses publicités : mal parler pour vendre.

II.

Sur un plan différent, on notera que ce message télévisé peint, une fois de plus, les hommes québécois comme de joviales andouilles.

Ils s’enferment dans un garage pour regarder un match de hockey et tonitruer quand leur équipe marque un but. Leur décor ? Fauteuils, tête d’animal empaillée au mur, vélos, moto. La maîtresse de maison explique à son interlocutrice, celle qui dit «leur dérange», que ce lieu serait, selon ses occupants, le «temple de la testostérone».

Il y avait les hommes des cavernes. Il y a maintenant les Québécois des garages.

III.

La femme qui pose la question est Noire. Elle parle mal. Elle est donc parfaitement intégrée à la société québécoise.

IV.

Cela s’appelle du mépris.

 

[Complément du 26 octobre 2013]

Le commentateur Pierre Foglia, dans la Presse du jour, partage la position de l’Oreille tendue sur cette nouvelle publicité.

 

[Complément du 19 mai 2014]

On recommence à rediffuser cette publicité. Si les oreilles de l’Oreille ne la trompent pas, la faute a été corrigée. Merci.

Langues prêtes à porter

Jean-Philippe Toussaint, la Salle de bain, éd. de 2005, couverture

Langue de bois, langue de coton, langue de verveine, langue de margarine : les langues toutes faites, écholaliques, ne manquent pas.

Exemple, évidemment ironique, chez Jean-Philippe Toussaint, dans la Salle de bain (1985) :

Des débats ont été engagés, dirait l’ambassadeur, des suggestions émises, des conclusions tirées et des programmes adoptés. Ces projets, qui ont été élaborés dans le sens de l’harmonisation des textes, visent, à travers une définition précise des études préalables, à renforcer la mise en œuvre des dispositions établies lors de la précédente réunion. Les mêmes dispositions tendent, du reste, à inspirer aux participants une programmation plus rigoureuse de leurs activités d’étude pour une meilleure maîtrise des projets, de manière à mettre en œuvre les modalités d’une amélioration de l’efficacité pratique des capacités. Compte tenu des grands espoirs nourris par les participants, ils se sont entendus pour conjuguer leurs efforts dans les domaines de la responsabilité, de la fidélité et de la cohésion. Davantage. Ils attendent — et l’expression est de la bouche même du président de séance — une multiplication des efforts en vue de réaliser les principaux objectifs assignés. Vous avez un saladier ? demanda Kabrowinski. Pardon ? Un saladier, répéta-t-il en mimant approximativement un saladier (éd. de 2005, p. 34-35).

C’est ce qui s’appelle être sauvé par le saladier.

 

Référence

Toussaint, Jean-Philippe, la Salle de bain suivi de Le jour où j’ai rencontré Jérôme Lindon, Paris, Éditions de Minuit, coll. «Double», 32, 2005, 139 p. Édition originale : 1985.

C’est grave, docteur ?

Paraissait, il y a peu, la cinquième édition de l’ouvrage Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, DSM-5 pour les intimes.

Parmi les maladies mentales, y recense-t-on la bureaucratie ?

L’Oreille tendue s’est posé la question en retombant sur l’article «bureaucratique» de la cinquième édition du Multidictionnaire de la langue française de son amie Marie-Éva de Villers :

«adj. Atteint de bureaucratie. Une gestion bureaucratique

Il est vrai qu’il ne s’agit peut-être pas d’un trouble de l’esprit.

 

Référence

Villers, Marie-Éva de, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Québec Amérique, 2009 (cinquième édition), xxvi/1707 p.

Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française, cinquième édition, 2009, couverture