Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué

Jo Nesbø, le Sauveur, 2012, couverture

Soit les deux phrases suivantes, tirées du roman policier le Sauveur de Jo Nesbø.

«Elle avait ce visage bouffi et gonflé que provoquent de nombreuses années de boisson et d’usage de stupéfiants, était en surcharge pondérale et portait un T-shirt blanc crasseux sous son peignoir» (p. 36).

«Et comme il accusait une nette surcharge pondérale, qu’il souffrait de transpiration chronique et d’un naturel grincheux, c’était un souhait qu’il voyait le plus souvent exaucé» (p. 544).

«Surcharge pondérale» ? Peut mieux faire.

 

Référence

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, traduction d’Alex Fouillet, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Édition originale : 2005.

Croustillons

En septembre 2012, alors qu’il était procureur en chef de la Commission (québécoise) d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, Sylvain Lussier avait promis du «croustillant» (le Devoir, 15 septembre 2012).

De fait, l’«automne» à la Commission Charbonneau, du nom de la juge qui la préside, a été «croustillant» (la Presse, 17 septembre 2012). Exemple : «Le témoignage de l’ex-entrepreneur en construction, Lino Zambito, se poursuit à la Commission Charbonneau lundi et promet d’être croustillant» (Métro, 14 octobre 2012). On a même fini par s’en lasser : «Assez de croustillant, du concret S.V.P.» (la Presse, 1er décembre 2012, p. A39).

Comme c’est souvent le cas avec les mots à la mode, celui-là s’est retrouvé dans toutes sortes de contextes. Des sources conjugales proches de l’Oreille tendue l’ont même entendu dans une réunion de parents. Comment stimuler la lecture chez les élèves ? En leur donnant à lire des livres «croustillants».

La commission a repris ses travaux lundi dernier. Qu’en sera-t-il de son «degré de “croustillance”» (la Presse, 18 septembre 2012) ? Les paris sont ouverts.

Les treize néologismes du jeudi matin

Les gens s’intéressent vraiment à toutes sortes de choses. Ces choses, arrive un moment où il faut les (re)nommer.

Vous voulez «participer à la création d’une base de données scientifique à partir des millions de photos des plantes de l’herbier de Paris» ? Vous ferez partie des herbonautes.

Des gens de bon sens ont démontré depuis plusieurs années l’existence du sous-financement dans les universités québécoises, mais vous refusez de les croire ? «Pour les recteurs, il faut parler de sous-financement. Pour les étudiants, de “malfinancement”» (le Devoir, 17 janvier 2013, p. A8).

Vous pensez que l’opinion «littéraire» de Gildor Roy est de bien peu de poids ? Vous en aurez probablement contre la «gildorisation de la critique littéraire».

Vous trouvez que l’expression «Il n’y a pas de problème» est trop banale ? Préférez-lui «Ça n’existe même pas». Cela viendra de l’anglais : «OH [overheard] at Starbucks, new (to me) expression : “not even a thing” to mean “no problem”» (@foundhistory).

Vous aimez les séries télévisées et vous souhaitez bien les distinguer les unes des autres ? «Les épisodes de dramas durent en général une heure (publicité incluse); ceux des comedies, trente minutes. Le mot dramedy désigne les fictions hybrides, flirtant avec les deux genres. Ally McBeal (FOX, 1997-2002) et Sex and the City (HBO, 1998-2004) furent les premières associées à ce mot-valise que l’expression française “comédie dramatique”, une fois n’est pas coutume, traduit parfaitement» (Petit éloge des séries télé, p. 87).

Vous trouvez votre téléphone (phone) trop petit, mais votre tablette (tablet) trop grosse ? Optez pour la phablet.

Vous êtes un col bleu de la bonne ville de Québec et vous vous faites porter pâle au travail ? Attention ! Votre maire, Régis Labeaume, pourra se moquer de votre arénalose comme de votre zambonellose (le Devoir, 6 novembre 2012). La première maladie se terre dans les arénas; la seconde frapperait, du moins on peut le croire, les conducteurs de surfaceuses (Zamboni).

Vous regarderez le Super Bowl du 3 février, qui mettra un terme à la saison 2012-2013 de football américain ? Les frères Jim et John Harbaugh s’y affronteront. Ce sera donc le Super Baugh. (On voit aussi Har Bowl et Super Bro.)

Vous appelez l’être cher sweetheart ? Sur Twitter, pourquoi ne pas parler de tweetheart ? Cela fera plaisir à Oprah.

Amateur de Twitter, vous préférez ne plus parler de hashtag ? La Commission générale de terminologie et de néologie du gouvernement français vous propose (Journal officiel du 23 janvier 2013) de mettre mot-dièse à la place. (Au Québec, on a plutôt, et plus tôt, choisi mot-clic.) Si l’Oreille tendue se fie à ses abonnés sur Twitter, hashtag a encore de belles années devant lui.

 

Référence

Winckler, Martin, Petit éloge des séries télé, Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», 5471, 2012, 116 p.