Raconter le Printemps érable, bis

Collectif, Printemps spécial, 2012, couverture

[Sixième texte d’une série sur les livres du Printemps érable. Pour une liste de ces textes, voyez ici.]

Printemps spécial. Fictions a été achevé d’imprimer le 17 septembre 2012. Les douze collaborateurs de l’ouvrage, tous romanciers publiés aux éditions Héliotrope, ont donc écrit dans l’urgence sur ce qu’on a appelé le «printemps québécois» (p. 19, p. 24 et p. 66) ou le «printemps érable» (p. 31 et p. 38), les grèves étudiantes qui ont secoué le Québec tout au long de 2012 et qui n’étaient pas terminées au moment d’aller sous presse. «Leurs textes ici ne visent pas l’analyse, ils ne cherchent pas à convaincre non plus. Ils sont l’expression tour à tour lyrique, ironique, admirative ou mélancolique d’un printemps à nul autre pareil» (p. 4).

Cette proximité avec les événements pose au moins deux questions aux auteurs de fiction. Que peut la littérature devant une révolte comme celle-là ? Où se situer, dedans (avec les grévistes et manifestants) ou dehors (à distance) ?

Le réflexe d’un écrivain est de s’accrocher aux mots, et le Québec de 2012 en a fourni plusieurs aux auteurs de Printemps spécial : «rue» (p. 19, p. 67 et p. 68), «belle vie» (p. 32), «majorité silencieuse» (p. 32), «néolibéral» (p. 37, p. 52 et p. 58), «violence» (p. 40), «intimidation» (p. 40), «indignés» (p. 59-60, p. 68 et p. 111), «enfants-rois» (p. 78), «juste part» (p. 32). C’est ce «juste part» qui, à la toute fin de «La jeune fille et les porcs» de Nicolas Chalifour (p. 15), sauve un texte autrement englué dans le mépris. Photos et textes rappellent les slogans des manifestants : «La loi spéciale, on s’en câlisse !» (p. 67). La littérature est à l’écoute.

Plusieurs auteurs de Printemps spécial écrivent hors du «bourbier montréalais» (p. 90) : de Berlin (André Marois), de New York et de «Occupy Wall Street» (Gail Scott), de Paris (Patrice Lessard, Michèle Lesbre). Le texte de Gabriel Anctil, «La révolte», ne dit strictement rien de plus que les discours médiatiques, même s’il s’ouvre sur une mise à distance : «Le silence qui flotte sur l’étage est mortuaire, comme si cette révolte populaire se déroulait à l’autre bout du monde et non à quelques pas d’ici» (p. 64). Faut-il s’éloigner pour dire quelque chose de neuf ?

Comment situer ce qui se passe au Québec dans un cadre plus large ? Le personnage de Martine Delvaux («Autoportrait en militante») est prudent : «Tu sursautes quand on établit des parallèles entre le printemps érable et le printemps arabe, entre le Québec et la Russie, entre la brutalité policière et les crimes que l’État commet au même moment en Syrie» (p. 31). Ni André Marois («J’ai l’impression que je vais débarquer en terre étrangère, dans une Hongrie de 1956», p. 37) ni Gabriel Anctil (p. 69) n’ont sa retenue.

Chez Catherine Mavrikakis, Simon Paquet et Olga Duhamel-Noyer, l’extériorité est paradoxalement proche et ce choix esthétique fait entrer du trouble dans les discours tout faits. La première, dans «À la casserole», met en scène un personnage venu du passé de la narratrice, Hervé, un clochard sourd aux bruits de la contestation. Le deuxième montre par l’ironie combien il peut être difficile de s’intégrer aux manifestants quand on arrive d’ailleurs, géographiquement et socialement («L’inactiviste»). La dernière, dans le texte le plus fort du recueil, «La corde», imagine une femme victime de violence pendant que passe une manifestation à côté de l’appartement où elle est ligotée, yeux bandés, entourée de gens qu’elle ne peut qu’entendre («Ils commentent des images», p. 102). Ni l’agression ni la manifestation ne paraissent avoir de sens, sans que naisse pour autant l’inquiétude. La fiction sert à montrer cela aussi.

Saisir les mots de la grève est important. Réussir à la déranger est autrement plus difficile, et nécessaire.

 

Référence

Printemps spécial. Fictions, Montréal, Héliotrope, «série K», 2012, 113 p. Ill.

Moment solennel

L’Oreille tendue est heureuse de vous présenter sa mascotte officielle (et malheureusement éphémère).

La mascotte officielle de l’Oreille tendue

Plan et exécution : l’Oreille tendue et l’Oreille tendue cadette

 

[Mise à jour du 20 janvier 2013]

La mascotte tient la forme

La mascotte tient encore (à peu près) la forme.

 

[Mise à jour du 27 janvier 2013]

La mascotte de l’Oreille tendue, le 27 janvier 2013

Je gèle, et ne romps pas.

 

[Mise à jour du 3 février 2013]

Où sont mes oreilles ?

Sans oreille(s), puis-je encore être la mascotte de l’Oreille ?

 

[Mise à jour du 10 février 2103]

La mascotte retrouve ses oreilles

La mascotte est passée chez le chirurgien plastique.

 

[Mise à jour du 17 février 2103]

Oreilles (de mascotte) greffées sans succès

La greffe d’oreilles n’a pas été un succès. Que faire ?

 

[Mise à jour du 2 mars 2103]

La nouvelle tenue de la mascotte

La mascotte et son nouveau manteau d’hermine

 

[Mise à jour du 9 mars 2103]

Sale temps pour la mascotte

Sale temps pour la mascotte

 

[Mise à jour du 16 mars 2103]

Je fonds, et ne romps pas.

Je fonds, et ne romps pas.

Le zeugme du dimanche matin et de Marcel Proust

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, éd. de 1976, couverture

«je remarquais pour la première fois avec irritation qu’elle avait un langage vulgaire, et hélas ! pas de plumet bleu à son chapeau».

Marcel Proust, Du côté de chez Swann, édition de Pierre Clarac et André Ferré, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 821, 1976, 504 p., p. 466.

Merci à @fbon.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Une orientation non stratégique ?

Par nécessité professionnelle, l’Oreille tendue fréquente quotidiennement l’université : c’est son écosystème. Elle y entend des choses qui la troublent : on lui parle d’«avantages opérationnels», on lui explique comment «instrumenter [ses] processus», on lui recommande «une optique de gestion bottom-up», etc.

Ces derniers temps, elle assiste, assez chagrine, à la disparition de l’orientation, systématiquement remplacée par l’orientation stratégique, voire par l’orientationstratégique.

Cela lui rappelle — attention : autopromotion devant — l’hypothèse qu’elle a formulée le 14 octobre 2010 : «pour faire ressortir ce que les locutions figées ont, justement, de figé, rien de tel que d’imaginer leur antonyme».

Que serait une orientation non stratégique ?

P.-S. — L’Oreille n’est pas loin de croire qu’il en va de la planification comme de l’orientation : il vaut mieux qu’elle soit stratégique elle aussi.