Érotisme de l’accent

Jean-Philippe Bernié, Quand j’en aurai fini avec toi, 2012, couverture

Le roman universitairecampus novel dans la langue de Harvard — est un genre très largement pratiqué dans le monde anglo-saxon, de D.J.H. Jones (Murder at the MLA, 1993) à Philip Roth (The Human Stain, 2000; The Dying Animal, 2001), de Saul Bellow (Ravelstein, 2000) à David Lodge (Changing Places, 1975; Small World, 1984; etc.) et de Richard Russo (Straight Man, 1997; Empire Falls, 2001) à Zadie Smith (On Beauty, 2005).

Il existe aussi en France, sur une échelle plus modeste. Pensons au Problème avec Jane de Catherine Cusset (2001) ou à Septuor de Claude Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann (2002).

On en trouve itou des exemples au Québec : le Rendez-vous (François Hébert, 1980), Meurtre sur le campus (Ghislain Richer, 2001), la Souris et le rat (Jean-Pierre Charland, 2004), la Mère morte (Robert Gagnon, 2006), le Dilemme du prisonnier (François Lepage, 2008).

Dans la même veine vient de paraître Quand j’en aurai fini avec toi de Jean-Philippe Bernié (2012).

Le personnage principal de ce roman est la méchante Claire Lanriel, professeure au Département des matériaux de l’Université Richelieu, une université fictive de Montréal. Mère américaine, père français, elle parle avec un «accent français».

Or cela aurait un effet érotique : «Certains straights… ils étaient attirés par son côté dominatrice. Et avec son accent français, c’était encore mieux» (p. 22).

La vie universitaire réserve bien des surprises, au moins auditives.

 

[Complément du 4 mars 2012]

Après de nombreux mois d’attente, l’Oreille tendue vient de mettre dans le lecteur DVD la troisième saison de la série Damages. Pourquoi le dire ici ? Parce que Jean-Philippe Bernié ne cache pas son inspiration. La «Fiche d’information» de son éditeur annonce que son roman est le premier d’une série qui est «une petite sœur de Damages». Le titre Quand j’en aurai fini avec toi est la traduction d’un passage de la chanson d’ouverture de chaque épisode de la série. La relation entre les personnages romanesques de Claire Lanriel et de Monica Réault rappelle celle des personnages télévisuels de Patty Hewes et d’Ellen Parsons. On ne saurait être plus clair.

 

Référence

Bernié, Jean-Philippe, Quand j’en aurai fini avec toi, Montréal, La courte échelle, 2012, 199 p.

Les ploucs, bis

On l’a vu : «insomniaques», c’est pour les ploucs; pour les autres, c’est «insomniacs».

Même partition dans le cahier «Les grands constructeurs» inséré dans la Presse du 29 février.

Page 21 : «À l’image de votre style de vie…» (Boisé Notre-Dame, Laval).

Page 3 : «Sax invente le lifestyle durable» (Ville de Mont-Royal).

De là à dire que les ploucs habitent Laval, il n’y a qu’un pas.

P.-S. — Oui oui : «lifestyle durable», comme le développement.

À la vôtre !

Il y a les capitales autoproclamées : elles sont trop nombreuses pour être toutes recensées.

Il y a aussi les capitales désignées par des instances officielles. Ainsi, la société Radio-Canada est actuellement à la recherche de «la capitale santé» du Canada.

Annonce du site de Radio-Canada, 2012

Avis aux intéressés.

Complexité sacrée

L’Oreille tendue a déjà eu l’occasion de souligner l’existence d’un fort courant d’euphémisation dans l’usage des jurons au Québec. Ainsi, au lieu de dire tabarnak, on choisira tabarnan.

De même, les sacres sont souvent l’objet d’une proliférante relexicalisation. On peut, par exemple, utiliser tabarnak à plusieurs sauces : tabarnak !, mon tabarnak, tabarnak de x, tabarnaker quelque chose, s’en tabarnaker, s’en contre-tabarnaker, s’en contre-saint-tabarnaker, etc.

Démonstration conjointe de ces deux phénomènes dans un tweet récent de @mmegreenwood : «j’peux pas m’empêcher de vouloir encore que les Canadiens gagnent, même si on s’en contretabaslaque total, rendu là.»

Contre + tabarnaker => contre + tabaslaquer (euphémisme) => Contretabaslaquer.

CQFD.

P.-S. — La croyance dans le succès des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, même quand il est de plus en plus improbable, fait aussi partie de l’inconscient collectif québécois.

 

[Complément du 7 mai 2013]

 

 Radio-Canada, 7 mai 2013

Autre exemple, conjoignant hockey et euphémisation, tiré du site de Radio-Canada aujourd’hui.

Périple à ski, prise cinq

Vous avez faim ? Vous n’arrivez pas à dormir ? Vous souhaitez déménager ? Vous rêvez d’une croisière en anglais ? Vous trouverez — foi d’Oreille tendue itinérante — tout ce qu’il vous faut le long de l’autoroute 15.

Vous pouvez même faire un arrêt chez le dentiste, par exemple à Saint-Jérôme : c’est là qu’officie l’équipe du centre de santé dentaire Al Denté.

Après le spa dentaire, la dentisterie italoculinaire. Ça ne s’invente pas.