Les zeugmes des lecteurs et du dimanche matin

L’Oreille tendue a de fidèles lecteurs, qui sont aussi amateurs de zeugmes. Par Twitter, ils lui font des suggestions. Merci à…

@MlleAinee : «“Où ils sont accueillis avec l’enthousiasme et le banquet habituels” #AsterixCleopatre.»

@fbon : «“ça c’est très important”, dit le type de dos et de loin dans le brouhaha du café wifi.»

@desrosiers_j : «“il venait juste de se dépêcher de rentrer dans son manteau de cuir et en taxi”. Limonov J raté.»

@beloamig_ : «“À défaut du coupable, j’ai déjà arrêté certaines dispositions” (San-A.).»

@PimpetteDunoyer : «“Il faisait sa sauce avec beaucoup d’ail et une pointe d’inquiétude” R. Mosner, Papous http://t.co/yJDvaP1i»; «“Ses jouets sont engloutis, ses espoirs aussi” Faustine et le père Noël, I. Wilsdorf #ZeugmeDeNoel.»

…@ljodoin, sur Twitter et sur son blogue : «Il eut beau lui faire l’amour et des œufs au plat, elle le laissa pour approfondir la génétique et son mal d’être.»

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Le plaisir, c’est dans la tête

Soit, d’abord, les vers suivants, tirés d’une chanson de Loco Locass, «Hymne à Québec» (2010) :

Stadaconé, Kabak, Québec
Fortifiée depuis Frontenac
Assiégée, bombardée, détruite au mortier, mortifiée
Reconstruite, incendiée
Quatre mois par année dans les glaces prise et protégée
Pour l’historien ou le topographe
De pied en cap, Québec est toute sauf plate
Carnaval, festival, fête nationale
Hiver comme été les nuits sont malades mentales !

Soit, ensuite, ce tweet de @NieDesrochers :

Philippe Mollé a préparé de la pintade pour l’équipe. Mental. Je meurs ! #miam

Malade mental, ou simplement mental, donc, dans certains cas, au Québec, peut être un mélioratif. Qu’on se le dise.

P.-S. — Grammaticalement, il s’agit d’un cas compliqué : faut-il accorder malade mental en genre et en nombre, comme l’Oreille l’a fait (les nuits de Québec seraient «malades mentales») ? Ça se discute.

Quatorzième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Holorimes

Définition

«(gr. holos = entier) Les vers holorimes forment une suite de deux ou plusieurs vers homophones : la rime couvre donc les vers entiers, qui sont néanmoins composés de mots en majorité différents. C’est une forme virtuose du calembour : “Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime, // Galamment de la reine à la tour Magne, à Nîmes (vers souvent prêtés, mais à tort, à V. Hugo)» (Dictionnaire des termes littéraires, p. 238).

N.B. Le deuxième «de la reine» devrait se lire «de l’arène».

Synonymes

Rimes millionnaires (Gradus, éd. de 1980, p. 404).

Exemples

«Les dessous chics; les deux saouls chiquent» (@sophierandr).

«Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses.
Danse, aime, bleu laquais, ris d’oser des mots roses» (Gradus, éd. de 1980, p. 198).

Note

Pour d’autres exemples, voir Wikipédia.

 

[Complément du 31 décembre 2014]

Autre exemple, repéré sur Twitter :

«Étonnamment monotone et lasse
Est ton âme en mon automne, hélas !»
Louise Levêque de Vilmorin

 

Références

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Van Gorp, Hendrik, Dirk Delabastita, Lieven D’hulst, Rita Ghesquiere, Rainier Grutman et Georges Legros, Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, coll. «Dictionnaires & références», 6, 2001, 533 p.

Conseil vestimentaire du jour

Sandra Gordon, les Corpuscules de Krause, 2010, couverture

Soit la phrase suivante, tirée des Corpuscules de Krause de Sandra Gordon (2010) : «Du point de vue de l’automobiliste, ça devait être quelque chose de faire pleins feux sur une flâneuse livide fringuée comme la chienne à Jacques, pince-monseigneur à la main, à dix heures du soir» (p. 202).

Fringuée comme la chienne à Jacques ? On y peut voir un exemple d’alternance codique entre variétés du français, du plus hexagonal («fringuée») au moins hexagonal («la chienne à Jacques»). Il faut surtout y entendre un conseil : qui que soit Jacques, il ne faut pas s’habiller comme sa chienne. Qui s’habille comme elle n’est jamais à son avantage.

On ne l’oubliera pas.

 

[Complément du 24 novembre 2017]

Deux exemples théâtraux, tirés de J’aime Hydro de Christine Beaulieu (2017) :

«Il y avait à peu près juste 25 personnes, 90 % d’hommes, tous habillés chez Moores. Quand je suis entrée, ils m’ont tous regardée comme si j’étais la chienne à Jacques» (p. 62);

«je me suis dit “Moores, ç’a beau avoir un bon prix, une bonne coupe et une bonne réputation, c’est pas nécessairement imperméable, tandis que la chienne à Jacques, elle, au moins, elle est en phase avec la nature !”» (p. 67)

P.-S.—Oui : s’agissant de «Moores», l’auteure fait directement allusion à une publicité télévisée.

 

Références

Beaulieu, Christine, J’aime Hydro, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 13, 2017, 253 p. Illustrations de Mathilde Corbeil.

Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.

Citation violente du mercredi matin

Réjean Ducharme, Gros mots, 1999, couverture«Dérision ou vrai piège à la retenir, sinon près de lui, à l’intérieur de lui, je dois tout exhumer mot à mot, piocher au fond du gâchis, des pattes de mouche et de cancrelat enchevêtrées, où ça se complique encore, bourré de fautes corrigées par des plus grosses ou des plus belles, trahissant en autres efforts impuissants celui d’échapper à la contamination culturelle, aux façons de parler devenues des façons de vivre, aux mots qui vous servent moins à vous exprimer qu’on ne se sert de vous pour s’exprimer à travers eux.»

Réjean Ducharme, Gros mots. Roman, Paris, Gallimard, 1999, 310 p., p. 38.