«Eponym» ?

Dans son ouvrage Aftercrimes, Geoslavery, and Thermogeddon (2011), la lexicographe Erin McKean consacre une entrée au verbe «Breitbart», qu’elle définit ainsi : «diffuser volontairement une citation ou un extrait vidéo hors contexte à des fins politiques». Andrew Breitbart, un blogueur de droite aux États-Unis, donnant son nom à ce genre de comportement, on doit parler d’un «eponym», car il s’agit d’un mot «created from a person’s name».

L’Oreille tendue ne connaît pas l’équivalent français de ce «eponym» — ni l’adjectif «éponyme» ni le substantif «éponymie» ne renvoient au même phénomène —, mais, en revanche, elle pense à un exemple, où un nom propre est devenu un nom commun.

Au Québec, un «Séraphin» n’est pas un ange, mais un avare. Le Petit Robert (édition numérique de 2010) connaît ce sens du mot, date son apparition de 1941 (pourquoi ?) et en explique ainsi l’étymologie : «du n. d’un personnage de roman». Il est facile d’être plus précis : Séraphin Poudrier est le héros (noir) d’un roman célèbre de Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché (1933), roman qui a connu un retentissement considérable non seulement à cause de ses qualités littéraires propres, qu’elles soient réelles ou non, mais aussi grâce à ses nombreuses adaptations (radio, télévision, bande dessinée, cinéma). L’origine du synonyme québécois du mot avare n’a pas à être cherchée plus loin.

Cela ne règle cependant pas la question : que serait l’équivalent français du mot «eponym» en ce sens ?

 

Références

Grignon, Claude-Henri, Un homme et son péché, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. «Bibliothèque du Nouveau Monde», 1986, 256 p. Édition critique par Antoine Sirois et Yvette Francoli.

Grignon, Claude-Henri et Albert Chartier, Séraphin illustré, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p. Préface de Pierre Grignon. Dossier de Michel Viau.

McKean, Erin, Aftercrimes, Geoslavery, and Thermogeddon. Thought-Provoking Words from a Lexicographer’s Notebook, New York, TED Conferences, LLC, 2011. Édition numérique.

Une fois n’est pas coutume

Casquette «Ciboire»

 

Les voyageurs européens qui débarquent au Québec n’ont pas toujours l’oreille heureuse; c’est l’objet des textes de la rubrique «Ma cabane au Canada». Il arrive pourtant qu’un étranger ait meilleure oreille que les autochtones.

Soit les quatre citations suivantes.

Calice de ciboire d’hostie ! (Roch Carrier, la Guerre, yes sir !, p. 77)

maudit ciboire de Christ ! (Roch Carrier, la Guerre, yes sir !, p. 78)

Criss de tabarnak d’hostie de calice de ciboire d’étole de viarge, oussé kié le sacramant de calice de morceau de casse-tête du tabarnak ! (François Blais, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant, p. 124).

Cindy. — As-tu écouté l’estie de grande finale hier soir ? Sarah. — Crissement, ciboire. (Simon Boudreault, Sauce brune, p. 9)

Si l’on se fiait à Roch Carrier, à François Blais ou à Simon Boudreault, on pourrait croire que le juron québécois ciboire rime avec le verbe boire. Or il n’en est rien, comme l’ont bien vu (entendu) André-Paul Duchateau et Christian Denayer dans leur album les Casseurs (1988, p. 42).

André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs, page 42, caseCiboire ? Non. Cibouère ? Oui. (Merci.)

P.-S. — Cela dit, tout n’est pas également réussi dans cet album; voir ici.

 

[Complément du 8 août 2019]

Le dramaturge Jean-Claude Germain est du même avis dans Un pays dont la devise est je m’oublie (1976) : «sibouère» (p. 21), «SSI-BOU-WERRE» (p. 22), «cibouères» (p. 35) et «cibouère» (p. 51).

 

Références

Blais, François, Vie d’Anne-Sophie Bonenfant. Roman, Québec, L’instant même, 2009, 241 p.

Boudreault, Simon, Sauce brune, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2010, 137 p.

Carrier, Roch, la Guerre, yes sir ! Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du Jour», R-28, 1970, 124 p. Rééditions : Montréal, Stanké, coll. «10/10», 33, 1981, 137 p.; Montréal, Stanké, 1996, 141 p.; dans Presque tout Roch Carrier, Montréal, Stanké, 1996, 431 p.; Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2008, 112 p. Édition originale : 1968.

Duchateau, André-Paul et Christian Denayer, les Casseurs. Match-poursuite. Une histoire du journal Tintin, Bruxelles et Paris, Éditions du Lombard, coll. «Les casseurs», 15, 1988, 48 p. Repris dans Denayer & Dûchateau, les Casseurs. L’intégrale, Bruxelles, Le Lombard, 2010, vol. 5.

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Conjugaison autogénéalogique

Lisant un article de Jean Morency (2006) sur les tensions entre «l’Acadie territoriale» et l’«Acadie généalogique», dite aussi «Acadie diasporale», l’Oreille tendue tombe (p. 504) sur ce passage d’un roman de Jean Babineau intitulé Gîte (1998) :

Dimanche dernier, on a été à Melanson Settlement pour les Retrouvailles des Melanson. Là, on a chanté l’Hymne des Melanson : Je me melansonne, Tu te melansonnes / Il/Elle se melansonne / Nous nous melansonnons / Vous vous melansonnez / Ils/Elles se melansonnent (p. 36).

À une cédille près, cet «hymne» aurait pu être celui de l’Oreille.

 

Références

Babineau, Jean, Gîte, Moncton, Perce-Neige, coll. «Prose», 1998, 124 p.

Morency, Jean, «Perdus dans l’espace-temps : figures spatio-temporelles et inconscient diasporal dans les romans de France Daigle, Jean Babineau, Daniel Poliquin et Nicolas Dickner», dans Martin Pâquet et Stéphane Savard (édit.), Balises et références. Acadies, francophonies, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, coll. «Culture française d’Amérique», 2006, p. 487-509.