Lexique musico-sportif

[Non-amateur de sport ou de chanson, passe ton chemin.]

Exercice du jour : définir un terme du vocabulaire du hockey et l’illustrer d’un exemple tiré d’une chanson en français.

Aréna : patinoire intérieure; «Pour tous les p’tits matins passés à l’aréna d’quartier» (Vilain Pingouin, «Les Habitants (GO Habs GO !)», 2009). N.B. : le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française est formel : le mot est masculin.

Arrêt : intervention heureuse du gardien de but; «L’arrêt de Roy» (Loco Locass, «Le but», 2009).

Banc (réchauffer le ~) : quand on est joueur, être laissé de côté par son entraîneur; «Mais j’jouais pas souvent, j’réchauffais le banc» (Pierre Bertrand, «Hockey», 1978).

Bâton : outil essentiel à tous les joueurs pour tirer, passer ou arrêter la rondelle (voir ce mot), voire pour frapper les joueurs adverses; «Vous auriez dû voir les fameux coups d’bâton» (Oscar Thiffault, «Le Rocket Richard», 1955). N.B. : ne jamais dire gouret.

Blancs : sièges coûteux d’une section de l’ancien Forum de Montréal; «Pour tous ceux dans les blancs qui ont fois deux payé / Les billets travaillant deux jours pour les acheter» (Vilain Pingouin, «Les Habitants (GO Habs GO !)», 2009).

Bleu blanc rouge : surnom des Canadiens de Montréal; «Bleu, blanc, rouge», chanson de Michel Como, avec la participation de Tierry Dubé-Bédard et Éric Dubrofsky (1981).

Body check : voir mise en échec; «Des quinze mille spectateurs deboutte au moind’ body check de ta part» (Pierre Létourneau, «Maurice Richard», 1970).

Bottine (hockey ~) : hockey pratiqué en bottes («bottines»), plutôt qu’en patins; «Hockey bottine», chanson de Réal Béland (2007).

Bottine (patiner sur la ~) : patiner avec les pieds incorrectement pliés vers l’intérieur; «Patinez-vous sur la bottine / Comme madame Églantine ?» (Commission des écoles catholiques de Montréal, École Saint-François d’Assise, 4e année, «Le hockey, c’est la santé», 1979).

Bras meurtris : reprise d’un texte affiché dans le vestiaire des Canadiens de Montréal, «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau, à vous toujours de le porter bien haut» (John McCrae, «In Flanders Field»); «Mes bras meurtris par l’usure / Combattront encore pour toi demain» (Marie-Chantal Toupin, «J’irai au sommet pour toi», 2005).

Casque : protection crânienne; «Howie ! Un vrai de vrai d’l’époque pas d’casque» (Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», 2008).

Cerbère : gardien de but; «S’élancer comme une flèche devant ses adversaires / Et comme toujours déjouer le cerbère» (Les Baladins, «Gordie Howe», 1960).

Chambre des joueurs : vestiaire; «Branle-bas d’combat dans la chambre des joueurs» (Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», 2008).

Chaudron : joueur de peu de talent; «Ça drop le puck dans l’fond pis ça joue comme des chaudrons» (Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», 2002).

Coins (travailler fort dans les ~) : même sur une surface sans angle droit, il est bon de ne pas ménager ses efforts dans les coins; «Mais j’travaillais fort dans les coins» (Pierre Bertrand, «Hockey», 1978).

Coup de patin (avoir un bon coup de ~) : être rapide; «J’avais pas l’meilleur coup d’patin» (Pierre Bertrand, «Hockey», 1978).

Deuxième effort : signe d’investissement maximal d’un joueur dans le match; «I reste pus beaucoup d’joueurs francophones / Qui nous donnent le deuxième effort» (Réal Béland, «Hockey bottine», 2007).

Deuxième étage : là où se prennent les décisions administratives, en souvenir du deuxième étage du Forum de Montréal; «Le deuxième étage tramait des plans» (Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», 2008).

Disque : rondelle; «Lafleur derrière son filet / Prend bien son temps / Cède le disque à Boucher» (Daniel Boucher, «Boules à mites», 1999). N.B. : ne jamais dire palet.

Droper la / le puck : se débarrasser de la rondelle avant d’entrer dans la zone adverse en la tirant dans le fond de celle-ci; «Ça drop le puck dans l’fond pis ça joue comme des chaudrons» (Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», 2002).

Finales : séries éliminatoires, séries d’après-saison; «Y a des finales jusqu’au mois d’mai» (Dominique Michel, «Hiver maudit : j’hais l’hiver», 1979).

Flambeau : reprise d’un texte affiché dans le vestiaire des Canadiens de Montréal, «Nos bras meurtris vous tendent le flambeau, à vous toujours de le porter bien haut» (John McCrae, «In Flanders Field»); «Je rejoins les fantômes / Je leur passe le flambeau» (Annakin Slayd, «La 25ième», 2009).

Forum (fantômes du ~) : esprit des anciens joueurs des Canadiens de Montréal qui aideraient ceux du présent à réussir des faits d’armes quasi surnaturels; «Avec les fantômes du Forum / On n’a pas peur de personne» (Loco Locass, «Le but», 2009).

Garnotte : tir puissant; «Howie ! Tout le monde a peur de sa méchante garnotte» (Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», 2008). N.B. : existe aussi pour le baseball.

Glorieux : surnom des Canadiens de Montréal; «Le blues des Glorieux», chanson de Normand Baron (2009).

Goals : filet, but; «Les goals seront bien gardés» (Denise Émond, «La chanson des étoiles du hockey», 1956).

Goon : joueur plus reconnu pour ses poings que pour ses points; «La gang de goons à Perron v’nez on vous attend» (Le Zoo, «Let’s Go Nordiques», 1987).

Habitants : surnom des Canadiens de Montréal; «Ça fait longtemps qu’on pousse les Habitants» (Annakin Slayd, «La 25ième», 2009).

Habs : surnom des Canadiens de Montréal; «Les Habitants (GO Habs GO !)», chanson de Vilain Pingouin (2009).

Hockey : le mot désigne aussi bien le sport que le bâton utilisé par les joueurs; «Ces merveilleux joueurs / Glissant sur leurs patins / Le hockey à la main» (Les jeunes du Mont Saint-Antoine, «Nos Canadiens», années 1960).

Jackstrap : coquille; «Ben j’ai des p’tits frissons quand j’pense au jackstrap de Dale Hunter» (Les Mecs comiques, «Le hockey est malade», 2001).

Ligne : trio de joueurs d’attaque; «I change ses lignes trop souvent» (Jean Lapointe, «Scotty Blues», 1976).

Ligue de garage : ligue d’amateurs, parfois vieillissants; «On a tous écrit une page / Du grand livre d’histoire / D’une ligue de garage» (Éric Lapointe, «Rocket (On est tous des Maurice Richard)», 1998).

Loge des millionnaires : par antiphrase, section de l’ancien Forum de Montréal où les billets étaient peu chers; «Dans la loge des millionnaires / Vous pourrez la voir» (Léo LeSieur, «Ah ! le hockey», 1930).

Mineures : circuit inférieur à la Ligue nationale de hockey, où celle-ci puise parfois ses joueurs; «Des mineures à la Nationale / Emmenez-en des baveux» (Éric Lapointe, «Rocket (On est tous des Maurice Richard)», 1998).

Mise au jeu : début d’une séquence de jeu, quand la rondelle est déposée sur la glace; «La terre est mise au jeu au milieu de la Voie lactée» (Diane Dufresne, «La joute des étoiles», 1973). N.B. : on voit aussi mise en jeu, mais pas dans la chanson francophone.

Mise en échec : le fait de frapper un joueur, généralement de l’équipe adverse, contre la bande; «On s’prend pour des athlètes / À grands coups de mises en échec» (Éric Lapointe, «Rocket (On est tous des Maurice Richard)», 1998). Voir body check.

Net : filet du gardien — par extension, le but; «Pis i s’en va t’la t’la crisser dans’l net» (Vincent Vallières, «1986», 2003).

Pads : jambières; «J’étais l’plus p’tit d’la gang mais quand j’avais mes gants / Mes pads, mes épaulettes, j’étais deux fois plus gros» (Sylvain Lelièvre, «La partie de hockey», 1971).

Palette (sur la ~) : passe bien réussie; «Osti qu’c’est beau passe su’a palette» (Les Dales Hawerchuk, «Dale Hawerchuk», 2005).

Patins (accrocher ses ~) : prendre sa retraite; «J’ai débarqué, j’les ai accrochés» (Pierre Bertrand, «Hockey», 1978).

Playoffs : séries éliminatoires, séries d’après-saison; «En fin d’saison c’est l’désespoir / Pour éviter la catastrophe pis faire les playoffs» (Alain-François, «C’est pour quand la coupe Stanley ?», 2007).

Puck : rondelle. «Passe-moé la puck», chanson des Colocs (1993). N.B. : toujours au féminin, malgré des rumeurs en sens contraire; ne jamais dire palet.

Puck (manger la ~) : conserver la rondelle alors qu’on devrait la passer à un coéquipier; «Serguei, c’t’un gars d’la Russie / Qui passe son temps sur la galerie / Qui mange la puck, qui vire en rond» (Alain-François, «C’est pour quand la coupe Stanley ?», 2007).

Puck (la ~ roule / ne roule pas pour quelqu’un) : qui a la puck qui roule pour lui est favorisé du sort; qui ne l’a pas s’en plaint; «Quand la puck roulait pour nous autres» (Mes Aïeux, «Le fantôme du Forum», 2008).

Rondelle : objet de toutes les convoitises, qu’il faut faire pénétrer dans le filet de l’adversaire; «La p’tite rondelle noire est une étoile filante» (Robert Charlebois, «Champion», 1987). Voir disque et puck. N.B. : ne jamais dire palet.

Sainte flanelle : surnom des Canadiens de Montréal; «Mais le tissu social de Montréal / C’est de la sainte flanelle» (Loco Locass, «Le but», 2009).

Slap shot : tir frappé; «On entendait les slap shots su’é portes de garages» (Les Cowboys fringants, «Banlieue», 1998).

Scorer : marquer un but; «Y’a qu’à sauter sur la glace / Et pis scorer cinq aut’points» (Jeanne d’Arc Charlebois, «Maurice Richard», 1951).

Taper : recouvrir des parties de son bâton de ruban gommé; se prononce téper; «Les bâtons ben tépés quat’ briques pour faire les buts» (Sylvain Lelièvre, «La partie de hockey», 1971).

Tour du chapeau : le fait de marquer trois buts dans un même match; «En troisième Maurice Richard / A fait le tour du chapeau» (Georges Langford, «L’hiver en personne», 2003).

Tricolores : surnom des Canadiens de Montréal; «Ils sont en or, ils sont en or / Nos Canadiens, les tricolores» (Oscar Thiffault, «Ils sont en or», 1957).

Tricoter : contrôler habilement la rondelle, en mouvement; «On a saisi la rondelle / Tricotant tous deux / Comme de vrais professionnels / On se dirigeait vers les buts adversaires» (Les Jérolas, «Le sport», 1967).

Trois étoiles : sélection des trois meilleurs joueurs du match, d’abord proposée par des journalistes, puis par le public; «La première étoile, the first star : Gaston Gingras» (Les Mecs comiques, «Le hockey est malade», 2001).

Veuve du hockey : compagne délaissée par l’amateur de hockey, voire par un joueur; «T’allais dev’nir veuve du hockey» (Pierre Bertrand, «Hockey», 1978).

Zamboni : surfaceuse; «La glace est grafignée / Quand il se met à rouler / Les traces sont effacées / Mon père, il conduit une Zamboni» (Les Petites Tounes, «La surfaceuse», 2006).

 

N.B. Que les compositeurs se le disent : plusieurs mots et expressions manquent d’illustration(s) en chanson. Liste non exhaustive : biscuit (pièce de l’équipement du gardien); couper son banc (mettre des joueurs de côté pendant un match); donner son 110 % (fournir tous les efforts attendus, et même plus); perdre son vestiaire (ne plus avoir l’appui de ses joueurs); périple (voyage destiné à jouer des matchs chez les adversaires); plombier (joueur dont le talent est limité, mais pas les efforts); sentir la coupe (croire que son équipe peut remporter la coupe Stanley).

 

N.B., bis : pour une liste de chansons en français sur le hockey (format PDF), il suffit de cliquer ici (version du 27 juin 2019).

 

[Complément du 22 août 2013]

L’Oreille tendue a publié un article sur ce sujet :

Melançon, Benoît, «Chanter les Canadiens de Montréal», dans Jean-François Diana (édit.), Spectacles sportifs, dispositifs d’écriture, Nancy, Questions de communication, série «Actes», 19, 2013, p. 81-92. https://doi.org/1866/28751

 

[Complément du 12 juin 2014]

Amy J. Ransom vient de faire paraître un livre sur le hockey et la culture populaire au Québec. Le dernier chapitre est consacré à la musique.

Ransom, Amy J., «Rock and Roll, Skate and Slide : Hockey Music as an Expression of National Identity in Quebec», dans Hockey, P.Q. Canada’s Game in Quebec’s Popular Culture, Toronto, University of Toronto Press, 2014, p. 158-188.

Chanson sur le hockey, montage

Interrogation cantologique

C’était dans le Devoir du 15 février : «À travers la Travers. Montréal en lumière et Radio-Canada célèbrent La Bolduc» (p. B8).

Un festival et une société d’État s’unissent pour rendre hommage, le 20 février, à la chanteuse Mary Travers, dite La Bolduc (1894-1941).

Boucar Diouf, Sénégalais d’origine établi au Québec, sera à l’animation d’un documentaire sur cette «immigrante de souche».

Est-ce à lui qu’on demandera de chanter «L’ouvrage aux Canadiens», un texte de 1931, qu’on peut (ré)entendre sur le site de Bibliothèque et Archives Canada ?

C’est à Montréal qu’y a des sans-travail
C’t’effrayant d’voir ça les gensses qui travaillent pas
C’est pas raisonnable quand il y a de l’ouvrage
Qu’ça soit les étrangers mais qui soient engagés
Un bon Canadien ça vaut trois immigrés
Et pis ça s’adonne qui ont pas peur d’travailler
Au pic pis à la pelle ça les dérange pas
Pour peupler l’Canada j’vous dis qu’sont un peu là
[…]
On s’occupe de l’hygiène et du bureau d’santé
On s’couche pas une dizaine dans une chambre à coucher
On s’nourrit pas à l’ail et au baloney
C’est pour ça qu’ces gensses-là se donnent meilleur marché

Ça ne manquerait pas de piquant.

Prolégomènes à une encyclopédie inutile du périfécal en hockey

Crottin de cheval

Un esprit non averti pourrait être étonné d’entendre tel vers de la chanson «Le but» de Loco Locass (2009) : «À une époque où les pucks étaient faites de crottin.» Pucks ? Crottin ?

La puck — toujours au féminin, malgré des rumeurs en sens contraire — est la rondelle, élément indispensable au hockey. Exemple : «Passe-moé la puck», chanson des Colocs (1993).

Le crottin — dont il n’est peut-être pas indispensable de donner une définition — était (est ?) la matière utilisée, par grand froid, pour façonner des rondelles. C’est un des lieux communs de la langue du hockey, avec, notamment, fantôme et flambeau. Comme les autres, il a un fort parfum de nostalgie.

Certains évaluent le recours à ce moyen de fortune par des propos techniques. C’est le cas de Frank Selke, l’ancien directeur-gérant des Canadiens de Montréal, dans ses Mémoires, Behind the Cheering (1962), qui évalue au plus près la longévité du crottin gelé : «A well-frozen horse bun would often last a whole period» (p. 8). Trent Frayne, dans ses Mad Men of Hockey (1974), devient presque lyrique quand il se remémore le bon vieux temps de ces rondelles «idéales» :

People who regard the word horseshit merely as an uncouth expletive have led sheltered lives; horses drop round balls when they raise their tails for their morning smile. Frozen, these horse balls serve ideally as pucks (p. 129-130).

C’est par le crottin de cheval que sa grandeur serait venue à Howie Morenz, une des étoiles des années 1920-1930. C’est du moins ce qu’avance un personnage de la courte pièce Life After Hockey de Kenneth Brown (1985) lorsqu’il fait revivre le passé :

‘Course before that, they’d play on any kind of an old slough, piece of horseshit for a puck. Don’t mind I missed it. Mind you, Howie Morenz grew up playing like that, and he was the greatest hockey player ever lived (p. 11).

Roch Carrier, dans sa biographie de Maurice Richard parue en 2000, parle lui aussi de «crotte de cheval gelée» (p. 23).

Selke, Frayne, Brown et Carrier préfèrent les excréments des équidés. Dessin à l’appui (!), Helaine Becker, l’auteure de Drôles d’histoires de hockey (2010), est œcuménique : les premiers joueurs de hockey «ne s’inquiétaient pas trop de savoir ce qu’ils frappaient : des pierres, des morceaux de bois, des vieux fruits tout rabougris, des morceaux de charbon et même des bouses de vache ou du crottin de cheval gelés !» (p. 19) Jason Blake, dans son ouvrage panoramique Canadian Hockey Literature, évoque lui aussi les déjections des bovidés (p. 36). Cela peut paraître contradictoire avec un passage plus tardif de son livre, quand il parle des «road apples» (p. 57), ces «pommes de route» qui sont bien le propre du cheval.

Quoi qu’il en soit, crottin il y eut : preuve de débrouillardise et signe d’amour (du jeu).

Le crottin ne sert pas qu’à la fabrique de rondelles. Selon Jeanot Donfut, dans un documentaire télévisé intitulé Hockey Lessons (2000), il serait aussi possible de mettre cette matière à contribution pour ériger les poteaux des buts. C’est plus rare, et plus hasardeux architecturalement.

Inversement, en quelque sorte, il arrive que des objets divers puissent tenir lieu de rondelle, sans qu’il s’agisse de crottin. Selon Roy MacGregor, dans The Home Team (1995), l’un des joueurs les plus célèbres de tous les temps, Gordie Howe, aurait déjà joué avec un rat mort à l’aréna Joe-Louis de Détroit (p. 147). Diane Dufresne (1973), elle, fait dans le cosmique, dans la chanson «La joute des étoiles», paroles de Luc Plamondon, musique de François Cousineau :

La terre est mise au jeu au milieu de la Voie lactée
Les dieux de l’univers sont venus se la disputer

L’incipit de la Guerre, yes sir ! (1968) de Roch Carrier, qui n’est pas encore le biographe de Maurice Richard, raconte l’automutilation du personnage de Joseph (p. 9-10). Par refus d’aller à la guerre, celui-ci se coupe la main gauche à la hache (de la droite, donc). Quelques pages plus loin, sa femme croise des enfants qui jouent au hockey dans la rue. Elle imagine qu’ils se servent d’un crottin chevalin (p. 30). Erreur :

Elle s’agenouilla et ramassa l’objet que se disputaient les gamins avec leurs bâtons, la main coupée de son mari. Les doigts étaient refermés et durs comme la pierre. Les coups de bâtons avaient laissé des marques noires. Madame Joseph la mit dans la poche de son manteau de fourrure et elle rentra chez elle en annonçant aux gamins étouffés de rire que le diable les punirait de l’enfer (p. 32).

De façon moins spectaculaire, plusieurs se contentent de charbon, par exemple chez le Mordecai Richler de Dispatches from the Sporting Life (p. 250) ou chez le Jeanot Donfut déjà cité.

La réalité et l’imagination sportives n’ont guère de limites.

P.-S. — Au Québec, on parle aussi de disque, d’objet, de caoutchouc, voire de «la noire» (dixit Pat Burns). En certaines contrées, on voit, au lieu de rondelle, palet, comme dans la bande dessinée Palet dégueulasse (2004). Non, trois fois non.

 

[Complément du 29 juin 2018]

Dans un livre de souvenirs, De l’avantage d’être né (2018), Jacques Godbout évoque l’Office national du film du Canada : «on trouve parfois une atmosphère ludique créée par les monteurs épuisés, transformés en grands adolescents après une longue journée de travail, cigarette au bec et tasse de café à la main, qui jouent en criant et en riant au hockey bottine avec un noyau de bobine en guise de rondelle».

 

[Complément du 20 août 2018]

Pourquoi pas avec un boîte de conserve ? Voyez la Bête creuse (2017), de Christian Bernard :

Ça allait pas bien chez eux, et il était sorti traîner, pour finir les mains dans les poches au bord d’une patinoire de fond de cour à observer, le vague à l’âme, les Canadiens français chaussés de patins de cuir qui poussaient une canne de conserve avec des bâtons comme t’en retrouves pas en forêt (p. 16).

 

[Complément du 26 décembre 2022]

Il n’y a pas que le hockey dans la vie, comme l’atteste cette citation d’un recueil de chroniques et de monologues de Fabien Cloutier : «Son ballon [de soccer] / c’est de la fiente d’éléphant / qu’y ont sculptée pis faite sécher en boule» (2022, p. 124).

 

[Complément du 2 janvier 2023]

Plus récente occurrence dans le Meilleur de La vie est une puck (2022) : «Guyle Fielder est né en 1930 à Potlach en Idaho. Il n’a pas encore deux ans quand sa famille déménage en Saskatchewan. Comme tout bon jeune Canadien de l’époque, il apprit très tôt à jouer au hockey. Et question de renforcer le mythe du jeune hockeyeur des Prairies, il aurait appris à jouer au hockey avec des crottes de cheval gelées en guise de rondelles» (p. 188-189).

 

[Complément du 3 janvier 2024]

Dans Indian Horse (2012), de Richard Wagamese, le personnage qui donne son titre au roman, Saul Indian Horse, évoque plusieurs rondelles de substitution : des balles (éd. de 2013, p. 112), des boîtes de conserve découpées et remplies de terre (p. 122), une boulette de ruban (p. 220).

Sa préférence — façon de parler — va toutefois au crottin de cheval glacé (la pomme de route au Québec, horse turd dans le roman). Enfant, dans un pensionnat autochtone, il s’entraîne avec ce succédané, ce «substitute puck» (p. 61). Le crottin est précieux et il faut le protéger : «I moved it carefully so I wouldn’t break the turd» (p. 61); «The turds were precious and I worked at not breaking them» (p. 66).

Quand il se met à jouer dans des équipes organisées, la matière fécale devient une des nombreuses formes de racisme dont il est victime. On en lance sur la glace devant lui et ses coéquipiers : «once someone threw horse turds on the ice in front of our bench» (p. 164).

Pourquoi ? Parce que l’entraînement d’Indian Horse a porté fruit. Il est le meilleur sur la glace. À cause de ses origines, on ne le lui pardonne pas.

 

Illustration : «Horse feces of free-roaming basque mountain horses. Sierra de Badaia, Los Goros Canyon. Álava, Basque Country, Spain», 2016, photo déposée sur Wikimedia Commons

 

Références

Becker, Helaine, Drôles d’histoires de hockey, Toronto, Éditions Scholastic, 2010, 148 p. Illustrations de Bill Dickson. Texte français de Dominique Chichera-Mangione.

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Blake, Jason, Canadian Hockey Literature. A Thematic Study, Toronto, University of Toronto Press, 2010, x/265 p.

Brown, Kenneth, Life After Hockey, Toronto, Playwrights Union of Canada, 1985, 36 p. Texte polycopié.

Carrier, Roch, la Guerre, yes sir ! Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du Jour», R-28, 1970 124 p. Rééditions : Montréal, Stanké, coll. «10/10», 33, 1981, 137 p.; Montréal, Stanké, 1996, 141 p.; dans Presque tout Roch Carrier, Montréal, Stanké, 1996, 431 p.; Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2008, 112 p. Édition originale : 1968.

Carrier, Roch, le Rocket, Montréal, Stanké, 2000, 271 p. Réédition : le Rocket. Biographie, Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2009, 425 p. Version anglaise : Our Life with the Rocket. The Maurice Richard Story, Toronto, Penguin / Viking, 2001, viii/304 p. Traduction de Sheila Fischman.

Cloutier, Fabien, l’Allégorie du tiroir à ustensiles. Chroniques et monologues pour se replonger dans les années 2018-2022, Montréal, Lux éditeur, 2022, 224 p. Dessins de Samuel Cantin.

Les colocs, «Passe-moé la puck», les Colocs, 1993, 3 minutes 27 secondes, disque audionumérique, étiquette Disques ITI et Éditions Solodarmo.

Dolbec, Michel et Leif Tande, le Poulpe. Palet dégueulasse, Montpellier, 6 pieds sous terre Éditions, coll. «Céphalopode», 12, 2004, 89 p. Bande dessinée.

Dufresne, Diane, «La joute des étoiles», À part de d’ça j’me sens ben. Opéra cirque, 1973, 1 minute 39 secondes, disque 33 tours, étiquette Barclay 80172.

Frayne, Trent, The Mad Men of Hockey, Toronto, McClelland & Stewart Limited, 1974, 191 p. Ill.

Godbout, Jacques, De l’avantage d’être né, Montréal, Boréal, 2018, 288 p. Édition numérique.

Gravel, Mathieu, Étienne Hallé, Benoit Harbec et Martin Sasseville, le Meilleur de La vie est une puck. Une collection de quelques-uns des meilleurs textes, billets, articles ou niaiseries parus sur le blogue La Vie Est Une Puck depuis sa création en 2009, (s.l.), La vie est une puck, 2022, 284 p. Ill.

Hockey Lessons, émission de télévision de 25 minutes, 2000. Réalisation : John Hudecki. Production : Paul Hunt et Five Corners Communications, en association avec Vision TV. Série «Living Memories».

Loco Locass, «Le but», 2009, 5 minutes 8 secondes, fichier audionumérique.

MacGregor, Roy, The Home Team. Fathers, Sons and Hockey, Toronto, Viking, 1995, 325 p. Ill.

Richler, Mordecai, Dispatches from the Sporting Life, Toronto, Vintage Canada, 2003, xxii/295 p. Foreword by Noah Richler. Édition originale : 2002.

Selke, Frank J., with H. Gordon Green, Behind the Cheering, Toronto, McClelland and Stewart, 1962, 191 p. Ill.

Wagamese, Richard, Indian Horse. A Novel, Madeira Park, Douglas & McIntyre, 2013, 220 p. Édition originale : 2012.

S’instruire par les oreilles

L’Oreille tendue aime apprendre. Dès qu’elle en a découvert l’existence, elle est donc allée lire l’article que vient de faire paraître Amy J. Ransom sur l’alternance codique («code-switching») dans la chanson québécoise contemporaine. Elle a appris plein de choses.

(Rappel, emprunté à Wikipédia : «L’alternance de code linguistique, ou code-switching, est une alternance de deux ou plusieurs codes linguistiques [langues, dialectes, ou registres linguistiques].»)

Elle ne savait pas qu’un groupe de chercheurs de l’Université McGill à Montréal, autour de Mela Sarkar, avait déjà étudié la question, mais s’agissant uniquement du rap québécois.

Elle ne connaissait pas l’existence — la liste est très loin d’être exhaustive — des groupes Standing Waltz, Frogaboum et Sens, tous chantant en français, au Québec, aujourd’hui. (L’Oreille tendue se sent parfois bien vieille.)

Elle a pu constater que le contact des langues chez les chanteurs québécois est une question récurrente, à laquelle les réponses sont fort variées. Les combinaisons du «français international standard» («Standard International French»), du «français québécois standard» («Standard Québec French») et du «français québécois vernaculaire» («Vernacular Québec French») sont nombreuses, et parfois étonnantes. En termes techniques, cela s’appelle des «heteroglossic practices» (p. 118).

Amy J. Ransom a une bibliographie pleine de trouvailles, du moins pour le non-spécialiste; elle est attentive aux inflexions de l’accent et de la prononciation; elle n’hésite pas à opposer les transcriptions des paroles des chansons à leur interprétation réelle; elle distingue les choix linguistiques des hommes de ceux des femmes. Il est même question de «pea soup» (p. 128). Bref, il y a à boire, à manger et à entendre.

Comme toujours quand on traite l’oral, il y a des choses discutables. L’Oreille tendue ne connaît personne qui dise «tabernacle», elle n’a jamais ouï qui que ce soit demander «Que se passe-tu ?», «game» est toujours employé au féminin chez les francophones, pas au masculin (p. 117). Sur un plan légèrement différent, il lui paraît difficile d’affirmer que le «français international standard» est libre de tout accent régional (p. 117); il n’y a que les muets qui n’ont pas d’accent (régional).

L’Oreille pinaillerait encore de-ci de-là, mais elle ne tient pas absolument à bouder son plaisir.

P.-S. — D’autres exemples d’«Alternance codique» ? Il y a dorénavant une catégorie pour ça, en bas, à droite.

 

Références

Low, Bronwen, Mela Sarkar et Lise Winer, «“Ch’us mon propre Bescherelle” : Challenges from the Hip-Hop Nation to the Québec Nation», Journal of Sociolinguistics, 13, 1, 2009, p. 59-82.

Ransom, Amy J., «Language Choice and Code Switching in Current Popular Music from Québec», article numérique, Glottopol. Revue de sociolinguistique en ligne, 17, janvier 2011, p. 115-131.

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