Agression de l’oreille de l’Oreille

Dans Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle, Charles Péguy écrit : «Il n’y a qu’un aventurier au monde, et cela se voit très notamment dans le monde moderne : c’est le père de famille.» C’est donc armé de tout son instinct aventureux que l’Oreille tendue a accompagné hier son fils cadet à l’entraînement public que tiennent annuellement les Canadiens de Montréal — c’est du hockey.

Elle y a risqué sa santé auditive — elle aime bien se plaindre du niveau sonore dans les lieux sportifs —, mais elle n’a pas pu ne pas y tendre l’oreille. Exemples.

À une certaine époque, on se plaignait de l’absence de musique francophone au domicile des Canadiens. Depuis, la situation a été un peu corrigée. Ainsi, hier, on a pu entendre la chanson «Le but» de Loco Locass, le groupe hip-hop québécois engagé, au Centre Bell pendant l’entraînement Provigo.

Alors que le flambeau est le symbole qu’affectionne le plus l’équipe de marketing de l’équipe de Montréal, il était absent de cet entraînement. Commencerait-il, façon de parler, à s’émousser ?

À un moment, on a demandé à Michel Therrien, l’entraîneur de l’équipe, ce qu’il pensait du fait que près de 20 000 personnes s’étaient déplacées tôt un dimanche matin pour assister à un de ses entraînements. Il a répondu en soulignant que cet événement faisait vibrer les partisans. (L’Oreille ne sait pas si tout leur être vibrait, mais leurs tympans, eux, sans aucun doute.)

L’ex-gardien Marc Denis jouait le rôle de maître de cérémonie. À plusieurs reprises, il a associé «le monde» et l’adjectif démonstratif «leur». Il rappelait par là que le mot monde, au Québec, a valeur de pluriel (Le monde, on risque de leur faire perdre l’ouïe).

Ce sera tout, pour l’instant, en matière d’aventures dominicales de l’Oreille. Qu’on se rassure : elle n’est pas devenue complètement sourde.

R.I.P. ?

Il y a des jours où l’on s’inquiète, par exemple quand l’université où travaille l’Oreille tendue annonce ceci :

Ou quand un projet de règlement gouvernemental a l’objectif suivant : «Enfin, il vise à bonifier les prestations spéciales versées pour subvenir au coût d’accessoires reliés au système d’élimination pour les prestataires d’aide inancière qui ont une problématique de santé significative à ce niveau.» (Merci à Antoine Robitaille pour la citation.)

On est alors en droit de s’inquiéter de la prolifération de la problématique.

Puis on tombe sur ceci, sur le site du Réseau des sports :

«L’autopsie de la problématique» (RDS, 12 janvier 2015)

Pour qu’il y ait «autopsie», il faut bien qu’il y ait un cadavre. Est-ce à dire que la problématique serait enfin morte ?

On peut toujours rêver.

Juliette Lalonde (1916-2014)

Juliette Lalonde-Rémillard et Lionel Groulx, 1964
Juliette Lalonde-Rémillard et Lionel Groulx, 1964 (source : Fondation Lionel-Groulx)

Juliette Lalonde est morte le 24 décembre 2014. Elle a été la collaboratrice de l’historien nationaliste québécois Lionel Groulx de 1937 à la mort de celui-ci en 1967. Elle a également été secrétaire de l’Institut d’histoire de l’Amérique française et de la Revue d’histoire de l’Amérique française, secrétaire administrative de la fondation Lionel-Groulx et directrice du Centre de recherche Lionel-Groulx.

C’est par elle, dans un article de 1968, que l’on apprend que Lionel Groulx «se passionnait» pour le hockey et qu’il était présent au Forum de Montréal le 17 mars 1955 (p. 869). Il a donc assisté à ce que la vulgate historique québécoise appelle l’émeute Maurice-Richard.

Avait-il une opinion sur d’autres joueurs des Canadiens de Montréal ?

Et je rapporte ici cette boutade du chanoine qui, assis sur la toute première rangée, a pu voir les joueurs de très près : «Je comprends le “faible” des femmes pour [Jean] Béliveau.» Son joueur préféré cependant restait le petit [Yvan] Cournoyer qui, dans le temps, réchauffait trop le banc à son gré… (p. 869)

L’Oreille tendue en sait, des choses inutiles.

 

Référence

Lalonde-Rémillard, Juliette, «Lionel Groulx intime», l’Action nationale, 57, 10, juin 1968, p. 857-875.

À valider en 2016

Depuis 1976, Lake Superior State University publie une liste de «Banished Words» : ces mots, en anglais, que l’on utilise mal («Mis-used»), trop («Over-used») ou pour rien («General Uselessness»). Dans la 40e liste, qui vient de paraître, on trouve BAE (before anyone else), polar vortex, hack, skill set, swag, foodie, curate / curated, friend-raising, cra-cra (pour crazy), enhanced interrogation, takeaway et –nation.

En matière de veille lexicale, l’Oreille tendue ne dressera de liste ni pour 2014 ni pour 2015, mais elle voudrait attirer l’attention de ses bénéficiaires sur un mot de plus en plus populaire («over-used») au Québec : valider.

En entreprise et dans les organisations, grandes ou petites, on valide à tous les vents, et cela n’est pas très neuf. L’usage du mot prend cependant de l’extension. Exemple ?

Jean Béliveau, l’ancien joueur des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, vient de mourir. Ses petites-filles ont publié leurs remerciements sur les médias dits «sociaux» : «Nous pouvons valider que l’intégrité qu’on lui concède n’est pas un leurre.»

Confirmer n’aurait-il pas fait l’affaire ?

Quoi qu’il en soit, tendons l’oreille.

Un mot de remerciements des petites-filles de Jean Béliveau

 

Je ne veux pas pinailler, mais…

L’Oreille tendue a déjà lu, avec plaisir, des textes de Catherine Bertho Lavenir, par exemple «L’échappée belle» (1998) ou «La découverte des interstices» (2001). Il lui est même arrivé de participer, avec profit, à un séminaire avec elle, «Questions d’histoire culturelle : rencontre avec Pascal Ory» (Université de Montréal, 23 février 2007).

La même Oreille a écrit un livre sur Maurice Richard, le plus célèbre joueur de la plus célèbre équipe de hockey, les Canadiens de Montréal : les Yeux de Maurice Richard (2006).

Dans un article de 2012, «La biographie en histoire culturelle», Catherine Bertho Lavenir mentionne, deux fois, ce livre. Les deux fois, elle se trompe dans le sous-titre : elle écrit Une biographie culturelle au lieu d’Une histoire culturelle (p. 188). C’est ennuyeux, surtout pour un livre dont la première phrase est «Ceci n’est ni un livre de fan, ni un livre d’amateur de hockey, ni une biographie de Maurice Richard».

Il y a des jours où on pourrait se fâcher.

 

Références

Bertho Lavenir, Catherine, «L’échappée belle», Cahiers de médiologie, 5, 1998, p. 117-129. https://doi.org/10.3917/cdm.005.0115

Bertho Lavenir, Catherine, «La découverte des interstices», Cahiers de médiologie, 12, 2001, p. 129-140. https://doi.org/10.3917/cdm.012.0128

Bertho Lavenir, Catherine, «La biographie en histoire culturelle», Globe. Revue internationale d’études québécoises, 15, 1-2, 2012, p. 183-199. https://doi.org/10.7202/1014631ar

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture