Détails sur le détail

Logo du journal le Trifluvien, 1904

Interrogations hier soir sur Twitter autour du mot détail.

Rappelons d’abord qu’il désigne, au Québec, les séries éliminatoires.

Le mot est ancien. Il est utilisé en 1904 dans le Trifluvien : «Ceux ci auront ainsi l’occasion de se faire la main pour la grande joûte de détail où se disputera le titre de champion de la Ligue Intermédiaire» (l’accent circonflexe à «joûte» est certifié d’origine).

Le mot est beaucoup utilisé pour le hockey, mais pas seulement. On le trouve associé au football américain (le Messager, Lewiston, 12 septembre 1940) ou au baseball (le Devoir : 18 octobre 1997, 10 février 2001, 7 octobre 2003).

Certains journalistes sportifs ont beaucoup œuvré à son maintien dans la langue de puck, notamment Jean Dion (30 occurrences dans le Devoir entre 1994 et 2015) et, surtout, Ronald King (52 occurrences dans la Presse entre 1995 et 2015).

Reste la question épineuse de son origine.

Le 15 avril 2014, Ronald King se posait la question : «À propos, est-ce que quelqu’un d’entre vous connaît l’origine de ce terme ? Mon père ne disait que le “détail” lorsqu’il parlait des séries éliminatoires. Les vieux commentateurs sportifs de la télé aussi. On les entend, dans les films d’archives, parler du fameux “détail”.»

Trois jours plus tard, il citait la réponse d’un lecteur, Yves Jean, de L’Épiphanie, à son interrogation : « J’ai trouvé dans le Glossaire de la langue française au Canada français de 1930 : “détailler”. / Jeter de nouveau les dés quand on est but à but, quand on a amené le même nombre de points. Jouer de nouveau quand on est but à but, manche à manche. / Étymologie : en anglais, faire un tie, c’est être manche à manche, but à but. Il faut alors briser le tie, dé-tie-er.»

Vous avez d’autres propositions étymologiques ? L’Oreille reste tendue.

 

[Complément du 28 juin 2022]

Dans une chronique de langue du 15 mai 1958, René de Chantal va dans le même sens que le Glossaire :

Les expressions «une partie de détail» et «détailler» posent un problème d’étymologie, le sens traditionnel du nom et du verbe n’offrant aucun rapprochement avec le vocabulaire sportif. Pour «détailler», j’ai déjà entendu une explication si savoureuse qu’elle méritait d’être juste ! On sait qu’en anglais, un «tie», c’est un match qui se termine à égalité de points. Les Canadiens français, gens bilingues, ont formé depuis longtemps le verbe «tie-er», qui se prononce comme «tailler». Or, dans une éliminatoire, il s’agit de briser une égalité entre les équipes qui se sont qualifiées, d’où «dé-tie-er» (détailler). Du verbe, on aurait formé le nom «partie de détail».

 

Références

Chantal, René de, «Défense et illustration de la langue française. Termes de hockey. En France, on shoote», le Droit, 15 mai 1958, p. 2.

King, Ronald, «Place au détail…», la Presse, 15 avril 2014.

King, Ronald, «La fête a bien commencé», la Presse, 18 avril 2014.

Divergences transatlantiques 060

Image de la série télévisée le Bureau des légendes, 1re saison, 4e épisode

Il y a quelques années, l’Oreille tendue citait cette phrase : «La marde va frapper la fan tantôt, Monsieur le Premier Ministre» (le Devoir, 30 janvier 2014, p. A1).

Elle rappelait alors que La marde va frapper la fan est un calque de l’anglais The shit will hit the fan.

Regardant récemment le quatrième épisode de la première saison de la série le Bureau des légendes, elle a découvert un équivalent hexagonal : «Ça chie dans l’ventilo» (article du Wiktionnaire ici).

En ces temps de pandémie, ne pourrait-on pas aussi dire que la merde est aéroportée ?

 

[Complément du 13 mai 2021]

En images :

La langue de Sainte-Foy, circa 1974

C’est comme ça que je t’aime, affiche, 2020

 

C’est comme ça que je t’aime est une série télévisée scato-policière écrite par François Létourneau et réalisée par Jean-François Rivard, diffusée au Québec en 2020.

Divertissante à souhait, la série, dont l’intrigue se déroule à Sainte-Foy en 1974, se caractérise, entre autres réussites, par un grand soin apporté au réalisme des décors, des costumes, de l’environnement sonore, du contexte politique et sportif. Tout cela a été traité, sans aucun doute, avec la plus grande attention.

Sur le plan linguistique, c’est également vrai, encore que l’Oreille tendue se soit interrogée à deux reprises sur la justesse du vocabulaire.

Dans le quatrième épisode («Un tapis pour glisser»), trois personnages discutent sur la scène d’un crime. Huguette, interprétée par Marilyn Castonguay, imagine ce que pourrait être son procès (elle vient de commettre son premier meurtre). Elle s’imagine en train de faire porter le chapeau à son mari, Gaétan (François Létourneau). Pourquoi aurait-il tué un collègue ? «Puis le soir de la fête pour le p’tit Simard, les fils se sont touchés, comme on pourrait dire.» Disait-on, dans la banlieue de Québec, en 1974, que «les fils se sont touchés» ? C’est une vraie question.

Durant l’épisode suivant («Je mange comme le coucou»), Gaétan emploie le mot «maltraitance». Or, selon le Petit Robert (édition numérique de 2018), ce mot daterait de… 1976. Une rapide recherche sur Google Books Ngram Viewer permet de voir qu’en fait le mot existait auparavant, mais qu’il était rarissime.

Occurrences du mot «maltraitance» selon Google Books Ngram Viewer

Comment a-t-il fait pour se retrouver si rapidement dans la bouche de personnages de la classe moyenne d’une banlieue québecquoise ?

Tant de questions, si peu d’heures.

P.-S.—Pendant que nous y sommes : l’apocope confess’ (pour confession), dans le contexte temporel de la série, a aussi étonné un brin l’Oreille.

Plus dure sera la chute

Jean-Claude Barey, l’Héritage d’un chûton, 2010, couverture

Soit ce bout de phrase, dans le Devoir du 31 mars dernier : «un régionalisme comme “chuton”, propre à Lanaudière».

Chuton, donc.

L’Oreille tendue a beaucoup entendu le mot dans la bouche de ses parents, dont une moitié provient, en effet, de Lanaudière.

Son sens est péjoratif, à la manière du jigon. Le Wiktionnaire offre comme définition «Personne mal élevée, rustre, peu soucieuse de son apparence». Le bien peu fiable Léandre Bergeron avance que le mot désigne un voyou (1981, p. 81); on peut ne pas partager son avis.

Au féminin, il donne chutonne.

Jean-Claude Barey, en 2010, penche pour l’accent circonflexe : chûton. Il donne les synonymes suivants : colons, bs, bougons, paumés, miséreux, itinérants.

Sur 4 ans de Festi-grunge, en 2005, Bouffons du roi chantait «Chuton», à Joliette — ce qui nous ramène à Lanaudière et au caractère bien peu reluisant du personnage.

 

Références

Barey, Jean-Claude, l’Héritage d’un chûton. Les tribulations d’une jeune démuni. Roman, Québec, Marcel Broquet éditeur, 2010, 288 p.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.

Le jubé et le balcon

Au Québec, terre longtemps catholique, on peut entendre l’expression monde à (la) messe. Elle désigne une grande quantité de personnes.

Exemple tiré du Devoir du jour : «C’est du monde à la messe, en bout de piste.»

Comme nous le faisions remarquer dans le Dictionnaire québécois instantané (2004, p. 136), on ne confondra pas monde à (la) messe et monde au balcon, même si les deux marquent une forte présence : le balcon n’est pas un jubé.

P.S.—Un show de chaises du cru s’intitule Y a du monde à messe.

 

Référence

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2019, couverture