Questions (de féminisation) du jour

Imaginez que vous travaillez dans le domaine des lettres et sciences humaines.

Imaginez que vous soumettez une proposition de communication à un colloque dans votre discipline.

Imaginez que vous recevez l’accusé de réception suivant : «Seul[e]s les personnes retenues seront contactées.»

Suggérez-vous à votre interlocuteur de corriger sa phrase de la façon suivante : «Seul[e]s les person[ne]s retenu[e]s seront contacté[e]s» ?

Avez-vous une autre réponse à lui adresser ?

Acceptez-vous malgré de tout de participer au colloque ?

À vous.

Les mots de la rentrée

Fin août-début septembre : la rentrée scolaire au Québec. Comme d’habitude : achats, préparation, nouvel emploi du temps. Et vocabulaire idoine : la langue de l’école.

Vous confiez vos enfants à une équipe-école. Ils joueront dans le parc-école et ils étudieront dans l’escalier. On leur fera faire des dictées métacognitives. Ils seront encadrés par des ressources, qu’ils auront parfois (rarement) à vouvoyer. On s’intéressera à leur cheminement et à son balisage; c’est peut-être cela l’instrumentation des processus. On sera sensible au sort des dérangeures et des enfants sporadiques, à qui on distribuera, comme à tout le monde, privilèges et conséquences. C’est normal : l’école est citoyenne et elle est en mode éducation.

Deux nouveautés, cette année.

Le collège du fils aîné de l’Oreille tendue organise des activités orientantes. Saura-t-il s’y retrouver ? (Elle, non.)

À Longueuil, près de Montréal, une équipe-école est «très enchantée» de créer «encore plus d’impact au niveau de la couleur musique» avec un nouveau programme. C’est la directrice qui le disait à la radio de Radio-Canada le 12 septembre (c’est ici, autour de la 21e minute). Pourquoi ne la croirions-nous pas ?

(Merci à @PimpetteDunoyer de la mélodieuse découverte de la «couleur musique».)

No problemo

Le problème irrite. Or personne n’aime être irrité. Solution : à défaut de faire disparaître le problème (la chose), masquer le mot.

En France, cela a donné souci, comme dans Y a pas de souci ou sur Twitter.

Du problème et du souci

Au Québec, problème a été éradiqué depuis longtemps. Problématique a pris sa place. On y trouve les problématiques «des punaises de lit», «de handicap», «du poids» (le Devoir, 25 janvier 2007, p. A7), «des commotions cérébrales» (la Presse, 22 octobre 2009, cahier Sports, p. 1).

L’école de la Belle Province raffole de la problématique.

«Cette rencontre de parents s’adresse principalement aux parents dont les enfants éprouvent des difficultés académiques ou une quelconque problématique» (Commission scolaire de Montréal, 4 février 2004).

«La création de ce nouveau cours vise à introduire l’intervenant à la problématique de l’évaluation des besoins de l’individu visé par l’intervention afin d’adopter les approches permettant de bien répondre aux besoins identifiés par l’évaluation. Également l’intervenant est fréquemment mis en contact avec des rapports d’évaluation. Il importe qu’il soit outillé pour qu’il puisse s’approprier leur contenu» (Université de Montréal, mars 2004).

Le mot a même envahi le vocabulaire de la plomberie. En 2010, l’Oreille tendue avait chez elle un plombier ennuyé par un conduit («Ma problématique, c’est ce tuyau-là»). Le 30 août de la même année, sur Twitter, @Ant_Robitaille rapportait une phrase entendue dans la salle d’audience de la commission Bastarache : «On a une problématique de toilette. Ça prendrait un débouche.»

Jusqu’à hier, l’Oreille ignorait qu’on pût «ressentir une problématique». Pourtant, c’était écrit dans le journal : «Dix problématiques ressenties par les nouveaux entrepreneurs» (la Presse, 30 avril 2012, cahier Affaires, p. 2).

Dont acte.

P.-S. — Problématique sévit aussi dans l’Hexagone. Autant qu’au Québec ? L’Oreille ne le croit pas, mais elle peut se tromper.

 

[Complément du 11 décembre 2022]

Souci est aussi usité au Québec. Exemple récent et assez spectaculaire, tiré d’un tweet de Pierre-Yves Lord :

https://twitter.com/PYLord/status/1601779913300004864

Scènes de la vie linguistique universitaire

I.

Si l’on en croit l’émission radiophonique les Années lumière, les étudiants peuvent être des thermomètres. En effet, il y aurait des «étudiants gradués».

II.

«Les apprentis vétérinaires présentent leur “côté animal”» (Forum, Université de Montréal, 15 mars 2010, p. 1). Faut-il avoir peur ?

III.

«Le Plan d’action sur le développement durable, qui comporte un volet “opérationnel” et un “volet académique”, pour lesquels la direction prévoit s’appuyer sur les “forces vives” de l’université, à l’échelle des programmes de formation et des initiatives de recherche, dans une optique de gestion bottom-up» (Syndicat général des professeurs et professeures de l’Université de Montréal, avril 2006). «Bottom-up» ? Heureusement. L’inverse aurait fait mal. Peut-être.

IV.

Vos études vous inquiètent ? Rassurez-vous : on vous offre du «support extrême» (Université de Montréal, 2004).

V.

«Attirer et retenir les meilleures ressources» (Université Laval, mars 2005). Une ressource, donc, c’est une personne ?

P.-S. — Ce n’est pas la première fois que l’Oreille tendue se penche sur la langue universitaire. Voir, par exemple, les entrées du 26 juin, du 27 juin et du 10 septembre 2009.

Leçon familiale

Le fils cadet de l’Oreille tendue rentre à la maison l’autre jour tout fier de ses résultats : aucune faute dans sa dictée «métacognitive» !

En bon père, l’Oreille se réjouit du «Bravo !» mis par la maîtresse, mais une question la taraude cependant : «métacognitive» ? Doit-elle s’inquiéter ?

Son fils, lui, ne paraît pas troublé. Peut-être, du haut de ses huit ans, a-t-il raison.