Chargé (de sens)

Pierre Szalowski, Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?, 2012, couverture

La mère de l’Oreille tendue n’est pas très souvent présente en ces lieux. Elle n’a guère été évoquée que pour l’expression «rare comme de la marde de pape».

Corrigeons cela.

Elle aime le mot barda. Pas «L’équipement du soldat» dont parle le Petit Robert, mais plutôt un «Chargement encombrant, [un] bagage» (édition numérique de 2010), les choses, en assez grand nombre, que quelqu’un porte.

Et Sim, pourquoi ne courait-il pas ? Peut-être parce qu’il ne pouvait tout simplement pas aller plus vite, avec tout son barda sur le dos ? (l’Enfant du cimetière, p. 133)

L’Oreille a pensé à elle en lisant l’étude que vient de consacrer Jonathan Livernois à l’essayiste Pierre Vadeboncoeur (2012). L’auteur y utilise le mot barda de façon inattendue :

Il reste à savoir si Vadeboncoeur est conscient du poids de son barda moderne dans son périple au cœur du passé […] (p. 130).

Parce qu’ils sont des explorateurs qui transportent un barda nécessaire, […] Miron et Lévesque sont plus grands qu’eux-mêmes; c’est en ce sens qu’ils sont extraordinaires (p. 206).

Chose certaine, quoi qu’il fasse, il traînera toujours avec lui son barda moderne, même en jouant avec son fils (p. 257).

Ni l’Oreille ni sa mère ne connaissaient cet usage métaphorique de barda. C’est chose faite.

P.-S. — Dans Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?, Pierre Szalowski fait dire ceci à un de ses personnages : «Je vous laisse tout seul dans mon hôtel et je reviens, pis c’est le barda» (p. 316). On se demande si ce personnage n’a pas confondu barda et bordel, ou euphémisé le second en ayant recours au premier.

 

Références

Livernois, Jonathan, Un moderne à rebours. Biographie intellectuelle et artistique de Pierre Vadeboncoeur, Québec, Presses de l’Université Laval, coll. «Cultures québécoises», 2012, x/355 p. Ill.

MacGregor, Roy, l’Enfant du cimetière, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 13, 2009, 164 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.

Szalowski, Pierre, Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?, Montréal, Hurtubise, 2012, 360 p.

Dictionnaire des séries 26

Quand sonne l’heure de la retraite, que fait un joueur de hockey ? Il n’accroche ni son bâton ni ses gants, mais ses patins.

les dieux sont rentrés dans leur temple
au clou de la renommée
ils ont accroché leurs patins
et le peuple fidèle vient admirer les reliques suspendues
(Bernard Pozier, «Postérité», p. 70)

J’ai débarqué, j’les ai accrochés
(Pierre Bertrand, «Hockey», chanson, 1978)

Accrocher ses patins pour n’être plus rien
Qu’un vendeur de bière ou un vendeur de char
(Robert Charlebois, «Champion», chanson, 1987)

C’pas à matin non qu’on accroche nos patins
(Loco Locass, «Le but», chanson, 2009)

Bon, c’est le temps de le rendre officiel ! On passe à la prochaine carrière. http://t.co/I2ox9Evc (@matdarche52)

Il y a un équivalent au football :

Brian Urlacher accroche ses crampons (le Devoir, 23 mai 2013, p. B6).

P.-S. — Dans un registre plus cru, John Burdett, parlant de prostituées «retraitées», écrit : «They hung up their tits […]

 

[Complément du 2 juin 2013]

Cela se pratique aussi en politique :

La députée libérale Lucienne Robillard a annoncé hier qu’elle accrochait ses patins politiques (le Devoir, 5 avril 2007).

Après Bill Graham, c’était au tour de l’ex-ministre libéral ontarien Jim Peterson d’accrocher ses patins politiques hier après-midi (le Devoir, 21 juin 2007).

 

[Complément du 6 décembre 2014]

Le ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette, propose de modifier en profondeur les conditions de travail des médecins de la province. Réaction d’un de ceux-ci, dans le Devoir du 3 décembre : «Je songe à accrocher mes patins.»

 

[Complément du 12 mars 2018]

Selon Serge Bouchard, que fait un camionneur qui prend sa retraite ? «Le routier arrive un jour ou l’autre à ses derniers kilomètres, il doit “accrocher ses clés”, le pouvoir de la route lui échappe, l’envergure des voyages aussi» (les Yeux tristes de mon camion, p. 10).

 

[Complément du 31 octobre 2018]

Dans le cadre du concours Délie ta langue ! du Bureau de valorisation de la langue française et de la Francophonie de l’Université de Montréal, l’Oreille tendue dit quelques mots de cette expression.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Bouchard, Serge, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p. Édition originale : 2016.

Burdett, John, Vulture Peak. A Bangkok Novel, New York, Alfred A. Knopf, 2012. Édition numérique.

Pozier, Bernard, Les poètes chanteront ce but, Trois-Rivières, Écrits des Forges, coll. «Radar», 60, 1991, 84 p. Ill. Réédition : Trois-Rivières, Écrits des Forges, 2004, 102 p.

Dictionnaire des séries 25

Le Devoir, 23 mai 2013

«She knows ev’ry blooming sub that plays on the bench»
(Eugene Platzman, «Hockey», chanson, 1929)

«They rioted in the streets of Montreal
when they benched Rocket Richard»
(Jane Siberry, «Hockey», chanson, 1989)

 

Quand l’entraîneur, celui qui officie derrière le banc, décide, en plein match, de ne plus utiliser certains joueurs, on dit qu’il coupe son banc (voir ici).

Les joueurs alors laissés de côté sont réputés jouer sur le banc ou réchauffer le banc. Pire : ils sont cloués au banc. (Qui s’inspire de la langue de Don Cherry préférera le verbe, du 1er groupe, bencher.)

Tu v’nais m’voir jouer presque tout l’temps
Mais j’jouais pas souvent, j’réchauffais le banc
(Pierre Bertrand, «Hockey», chanson, dans Beau dommage, Passagers, 1978)

Quand, inversement, il y a trop de joueurs en même temps sur la glace, l’équipe fautive reçoit une punition de banc. (Ce n’est pas le seul cas où une punition de banc peut être décernée. Passons.)

L’entraîneur de l’équipe punie désigne alors un joueur qui ira s’asseoir au banc des punitions, même s’il n’a rien fait de répréhensible.

Tout joueur puni est d’ailleurs envoyé au cachot pour au moins deux minutes. Dans ce cachot, il y a donc un banc.

Quand j’entends parler de salaires de joueurs professionnels,
je me souviens que je n’ai jamais compris comment Maurice Richard avait pu marcher dans la publicité de Gracian Formula où, lui-même arbitre, il se fait donner un «deux minutes au banc» par un autre arbitre […] (Je suis né en 53…, p. 121).

On aura compris qu’il ne faut pas confondre banc et banc.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Référence

Lefebvre, Michel, Je suis né en 53… Je me souviens, Montréal, Hurtubise HMH, coll. «amÉrica», 2005, 132 p.

L’École de la tchén’ssâ a un an

La mienne

C’était le 19 mai 2012. L’Oreille tendue voulait célébrer la publication de son millième billet. L’idée lui vint alors de consacrer un texte à des romans qu’elle avait lus récemment. L’École de la tchén’ssâ était née.

Son succès, elle l’avoue sans fausse modestie, fut instantané. Deux mois plus tard, le 18 juillet, elle résumait la «Fortune de la tchén’ssâ» et il lui est arrivé de mettre ce texte à jour.

Où en sommes-nous un an plus tard ?

La critique universitaire n’hésite pas à employer l’expression. Elle est dans la bouche de Francis Langevin en introduction à une conférence intitulée «La régionalité dans les fictions contemporaines au Québec» et sous sa plume dans l’article «La régionalité dans les fictions québécoises d’aujourd’hui. L’exemple de Sur la 132 de Gabriel Anctil». Un cours donné au trimestre d’hiver 2013 à l’Université de Sherbrooke (ELC 105, Littérature québécoise : de 1940 à nos jours) comportait (au moins) une allusion à l’École de la tchén’ssâ. En tournée en Inde, le professeur et romancier Samuel Archibald, lui-même membre de l’École, tient un blogue (conjugal). Ce que ça donne ?

La littérature québécoise en IndeSur Facebook, le 7 février 2013, les Éditions Nota bene félicitent l’Oreille tendue pour sa création. (Elle n’en demandait pas tant.)

Chez les Éditions Nota bene

William S. Messier, dans son texte destiné à l’abécédaire «Contre le bavardage» du site Poème sale, passe aux aveux : «j’suis de l’École de la tchén’ssâ». Le même Messier fera un grand plaisir à l’Oreille quand, sur Twitter, il écrira : «Pour un rasage de près, optez pour la chainsaw de @benoitmelancon ! https://oreilletendue.com/2013/04/03/le-vocabulaire-de-lecole-de-la-tchenssa/

On peut le dire : l’École de la tchén’ssâ doit désormais être considérée, en elle-même, comme un objet d’étude pour l’histoire de la littérature. Ce n’était pas prévu.

P.-S. — La tchén’ssâ qui se trouve au début de ce billet est celle de l’Oreille tendue : elle sort du placard.

Autopromotion 066 — Dictionnaire des séries 01

Le cube Rubik et la hockey

Les séries éliminatoires — il fut un temps où on disait «le détail» — de la Ligue nationale de hockey commencent ce soir. D’ici à la victoire finale, l’Oreille tendue définira un mot par jour du lexique hockeyistique; ce sera son Dictionnaire des séries. Cela devrait s’ajouter à son entrée quotidienne, pas s’y substituer. On verra bien.

***

À tout seigneur tout honneur : faut-il dire hockey ou hockey sur glace ?

Pour David Adams Richards, dans Hockey Dreams. Memories of a Man who Couldn’t Play (1996), c’est clair : vous dites ice hockey, au lieu de hockey, et c’est le signe incontestable que vous êtes un péquenaud (en matière de sport).

Selon Simon Grondin, dont l’érudition en ce domaine force l’admiration, on peut décrire le Hockey vu du divan (2012) et parler, sans rougir, de hockey sur glace.

Que choisir ?

Il est légitime de penser que ceux qui disent hockey sur glace utilisent cette expression pour éviter la confusion entre ce sport et le hockey sur gazon.

Pour simplifier les choses, l’Oreille tendue propose de réserver le mot hockey pour le sport qui se pratique au froid et d’appeler hockey avec pas d’glace toute autre activité (plus ou moins) vaguement apparentée.

Voilà une bonne chose de faite. Passons aux autres.

 

[Complément du 5 février 2014]

Les 57 textes du «Dictionnaire des séries» — repris et réorganisés —, auxquels s’ajoutent des inédits et quelques autres textes tirés de l’Oreille tendue, ont été rassemblés dans le livre Langue de puck. Abécédaire du hockey (Montréal, Del Busso éditeur, 2014, 128 p., illustrations de Julien Del Busso, préface de Jean Dion, 978-2-923792-42-2, 16,95 $).

En librairie le 5 mars 2014.

Langue de puck. Abécédaire du hockey (Del Busso éditeur, 2014)

 

Références

Grondin, Simon, le Hockey vu du divan, Sainte-Foy (Québec), Presses de l’Université Laval, 2012, xvi/214 p. Ill.

Richards, David Adams, Hockey Dreams. Memories of a Man who Couldn’t Play, Toronto, Doubleday Canada, 1997, 238 p. Édition originale : 1996.