Avons-nous besoin d’un nouveau pronom personnel ?

Ceci, tiré de la Vie provisoire (1995) d’André Major, au moment où le narrateur évoque sa grand-mère et son ex-femme :

À cela sa grand-mère avait déjà répondu à sa façon : “Parce que je t’ai adopté avant que tu sois baptisé.” […] Elle n’avait pas dit : “Parce que ton grand-père et moi t’avons adopté”, parlant comme toujours à la première personne du couple, une manie d’impératrice que Denise avait, elle aussi, et à laquelle elles ne dérogeaient qu’en cas de malheur (p. 186).

Ni tout à fait première personne du singulier, ni première personne du pluriel : «première personne du couple».

 

Référence

Major, André, la Vie provisoire, Montréal, Boréal, 1995, 234 p.

Érotisme de l’accent

Jean-Philippe Bernié, Quand j’en aurai fini avec toi, 2012, couverture

Le roman universitairecampus novel dans la langue de Harvard — est un genre très largement pratiqué dans le monde anglo-saxon, de D.J.H. Jones (Murder at the MLA, 1993) à Philip Roth (The Human Stain, 2000; The Dying Animal, 2001), de Saul Bellow (Ravelstein, 2000) à David Lodge (Changing Places, 1975; Small World, 1984; etc.) et de Richard Russo (Straight Man, 1997; Empire Falls, 2001) à Zadie Smith (On Beauty, 2005).

Il existe aussi en France, sur une échelle plus modeste. Pensons au Problème avec Jane de Catherine Cusset (2001) ou à Septuor de Claude Pujade-Renaud et Daniel Zimmermann (2002).

On en trouve itou des exemples au Québec : le Rendez-vous (François Hébert, 1980), Meurtre sur le campus (Ghislain Richer, 2001), la Souris et le rat (Jean-Pierre Charland, 2004), la Mère morte (Robert Gagnon, 2006), le Dilemme du prisonnier (François Lepage, 2008).

Dans la même veine vient de paraître Quand j’en aurai fini avec toi de Jean-Philippe Bernié (2012).

Le personnage principal de ce roman est la méchante Claire Lanriel, professeure au Département des matériaux de l’Université Richelieu, une université fictive de Montréal. Mère américaine, père français, elle parle avec un «accent français».

Or cela aurait un effet érotique : «Certains straights… ils étaient attirés par son côté dominatrice. Et avec son accent français, c’était encore mieux» (p. 22).

La vie universitaire réserve bien des surprises, au moins auditives.

 

[Complément du 4 mars 2012]

Après de nombreux mois d’attente, l’Oreille tendue vient de mettre dans le lecteur DVD la troisième saison de la série Damages. Pourquoi le dire ici ? Parce que Jean-Philippe Bernié ne cache pas son inspiration. La «Fiche d’information» de son éditeur annonce que son roman est le premier d’une série qui est «une petite sœur de Damages». Le titre Quand j’en aurai fini avec toi est la traduction d’un passage de la chanson d’ouverture de chaque épisode de la série. La relation entre les personnages romanesques de Claire Lanriel et de Monica Réault rappelle celle des personnages télévisuels de Patty Hewes et d’Ellen Parsons. On ne saurait être plus clair.

 

Référence

Bernié, Jean-Philippe, Quand j’en aurai fini avec toi, Montréal, La courte échelle, 2012, 199 p.

Les zeugmes de Raymond Bock et du dimanche matin

Raymond Bock, Atavismes. Histoires, 2011, couverture

«La césure s’était faite d’elle-même : les chercheurs d’or bien portants barricadés dans le pavillon du bas, près de la grande rivière; ceux qui restaient, dans le pavillon du sommet, errant de-ci de-là dans les bois adjacents, attrapant des lièvres et des poissons les jours de chance, la crève et la diarrhée le reste du calendrier» (p. 78).

«Si l’homme repasse comme il l’a promis, ils pourront revenir à la maison et peut-être à la normale» (p. 109).

Raymond Bock, Atavismes. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 03, 2011, 230 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Soupir de soulagement de l’Oreille

François Blais, Document 1, 2012, couverture

Au moment de la rédaction du Dictionnaire québécois instantané (2004), l’Oreille tendue avait tenu à y faire figurer le verbe torcher.

Mélioratif. «“Wow ! Y torche, ton coat !” Traduction : il est beau ton manteau» (la Presse, 3 novembre 2000). «La torchère ne torche plus, dommage» (la Presse, 7 avril 2003). Voir capoter, débile, extrême, full, hyper, masse (en ~), max, méchant, méga, moyen, os (à l’~), pas à peu près, phat, planche (à ~), super et über (p. 219).

Depuis, il lui est arrivé de se demander si cette utilisation du mot existait toujours. N’avait-elle pas disparu ? Que nenni.

Deux exemples récents :

MT @MeveTaillefer: @Silvitourigny a.k.a. Carole, @sofecteau et Caroline Allard à @plusonlit Nos #websériesqc torchent !! J’en veux plus (Twitter).

Ouais, c’est vrai que Je suis un écrivain japonais et Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, ça torche (Document 1, p. 99).

L’Oreille est rassurée.

 

Références

Blais, François, Document 1. Roman, Québec, L’instant même, 2012, 179 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture