Variation sur l’écœurement

L’Oreille tendue l’a souligné : au Québec, ce qui est écœurant est très très bien — ou pas du tout. Un gâteau écœurant est excellent — ou infect. Tout est affaire de contexte. Voir les entrées du 9 septembre 2011 et du 11 mai 2012.

Exemples (pour rappel)

«Une paire de patins était réellement écœurante […]» (Hockey de rue, p. 20).

«La rondelle a heurté le poteau. Le bruit le plus écœurant du monde ! C’est parfois plus amusant de frapper le poteau que de marquer un but» (Hockey de rue, p. 27).

En revanche, qui souffre d’écœurantite n’apprécie pas sa situation. Cet écœurant-là n’est jamais mélioratif.

Exemples

«Il y a l’écœurantite aiguë face à ce gouvernement qui n’est pas en mesure de mettre fin à cette crise sociale» (Léa Clermont-Dion, Je me souviendrai, p. 122).

«C’est tout le monde qui sort désormais pour crier son écœurantite» (Antoine Corriveau, Je me souviendrai, p. 147).

«il n’y a pas d’écœurantite aiguë comme à la fin de l’ère Dutoit» (le Devoir, 13-14 avril 2013, p. E9).

Synonymes

Souffrir de découragement. En avoir marre. Être tanné.

Remarque

On l’aura remarqué : il y a des degrés dans l’écœurantite, puisqu’elle peut être aiguë.

 

 

[Complément du 20 août 2018]

Lisant la Bête creuse (2017), de Christian Bernard, l’Oreille tendue découvre un autre synonyme : «Elle était revenue derrière son comptoir, l’œil biffé, subitement affligée d’une écœurite aiguë» (p. 86).

 

[Complément du 1er novembre 2020]

Exemple romanesque, tiré de Bermudes (2020), de Claire Legendre : «On avait vraiment une écœurantite aiguë du système» (p. 188).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Collectif, Je me souviendrai. 2012. Mouvement social au Québec, Antony, La boîte à bulles, coll. «Contrecœur», 2012, 246 p. Ill.

Legendre, Claire, Bermudes. Roman, Montréal, Leméac, 2020, 214 p.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Récolte à saveur printanière

Roy MacGregor, l’Enfant du cimetière, 2009, couverture

En 2009, en 2010 et en 2011, l’Oreille tendue a fait un peu de tri sélectif dans son panier à à saveur. Rebelote aujourd’hui.

Le à saveur sévit dans tous les domaines, de la politique — «une campagne électorale à saveur de rentrée scolaire» (radio de Radio-Canada, 8 août 2012) — à l’économie — «Une rentrée à saveur économique» (la Presse, 3 juin 2011, p. A14). On le trouve dans des formulations bien étranges : «Un dossier à saveur raciste» (la Presse, 2 mars 2012, p. A20).

Contentons-nous pour l’heure de deux domaines.

Le sport :

«Combat à saveur locale» (rds.ca, 5 février 2013).

«Pour un dimanche rétro ! RT @MuseeMcCord “Des sports d’hiver à saveur rétro: http://ow.ly/gqTaC” #sports #hiver #nostalgie» (@macarignan).

«Gain à saveur japonaise» (site mobile de RDS, 20 août 2012).

Victoire à saveur canadienne

La culture :

«fictions à saveur historique» (le Devoir, 6 mars 2012, p. B7).

«roman à saveur historique» (le Devoir, 27-28 août 2011, p. F3).

«roman à saveur familiale» (le Devoir, 25-26 août 2012, p. F3).

«roman à saveur politique» (le Devoir, 25-26 août 2012, p. F3).

«romans à saveur scout» (Fides. 75 ans, p. 30).

Les Anciens Canadiens est un «roman historique à saveur autobiographique» (le Roman québécois, p. 23).

«histoire à saveur locale» (l’Enfant du cimetière, p. 88).

«chansons à saveur religieuse et patriotique» (le Diable en ville, p. 146).

«chansons à saveur éditoriale» (le Diable en ville, p. 185).

«Philippe Fehmiu vous invite à danser au son de ses cocktails musicaux à saveur internationale» (publicité de Radio-Canada, la Presse, 2 septembre 2011, cahier Arts et spectacles, p. 1).

«Une rentrée à saveur techno» (la Presse, 9 juin 2011, cahier Arts et spectacles, p. 7).

«divertissements à saveur visuelle» (le Devoir, 9 novembre 2012, p. B2).

«tournées estivales à saveur nostalgique» (la Presse, 5 novembre 2012, cahier Arts, p. 2).

«cette série à saveur nostalgique» (le Devoir, 6 juillet 2011, p. B7).

«documentaire à saveur autobiographique» (le Devoir, 11 décembre 2012, p. B7).

«cette comédie à saveur rétro» (la Presse, 26 janvier 2013, cahier Cinéma, p. 1).

«http://Tou.tv propose trois webséries à saveur fantastique ce printemps http://www.radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2012/03/20/002-tou-tv-webseries-mars.shtml Cool» (@CCAuteur).

 

Références

Biron, Michel, le Roman québécois, Montréal, Boréal, coll. «Boréal express», 2012, 126 p.

Lacasse, Germain, Johanne Massé et Bethsabée Poirier, le Diable en ville. Alexandre Silvio et l’émergence de la modernité populaire au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2012, 299 p. Ill.

Lamontagne, Marie-Andrée (édit.), Fides. 75 ans, Montréal, Fides, 2012, 79 p. Ill. Hors commerce.

MacGregor, Roy, l’Enfant du cimetière, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 13, 2009, 164 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.

Divergences transatlantiques 026

Soit le tweet suivant, de @Lazaret1981 : «@franceculture Merci pour l’invite faite à JC #Michéa, enfin quelqu’un d’épais intellectuellement pour la #gauche.» Être «épais intellectuellement» a donc une valeur positive.

Ce n’est pas du tout le cas au Québec. On peut y être épais (l’adjectif) ou un épais (le substantif) et ce n’est positif ni dans un cas ni dans l’autre : personne n’aime se faire dire qu’il est bête.

Exemples : «Pourquoi es-tu si épaisse ?» (Hockey de rue, p. 56); «J’étais tellement épais, parfois» (Hockey de rue, p. 103).

Dans le glossaire de son livre Un Québec si lointain (2009), Richard Dubois propose une longue et utile définition d’un des types de l’épais :

Comme le suggère le terme, quelqu’un qualifié d’«épais» n’est ni mince ni fin ni quoi que ce soit faisant penser à un mille-feuilles. Un «épais», c’est un mal dégrossi, un rustre, un ours, mais on ne parle pas ici que de manières. Il existe même des épais très civils, polis, sachant vivre et tout et tout, mais qui au niveau de la tournure d’esprit, portant sur tout des conclusions simples, rapides, terminales, font preuve d’une ignorance à vrai dire… foudroyante. Pire que l’ignorance, une certaine joie de l’ignorance, perçue par l’épais comme normale, très répandue, donc normale… L’épais ne doute de rien, jamais, et parle sur le ton de l’évidence («ben wèyons…»). Puisant à pleines mains dans la «sagesse populaire», et notamment les proverbes, il est bardé de certitudes. «L’épais» trouve beaucoup de monde «épais». Les autres, ceux d’en haut, car il reconnaît que l’on peut avoir un intellect plus développé que le sien, il s’en fout («pas le temps de m’occuper de ces niaiseries-là»), il n’irait pas jusqu’à parler des «intellectuels», il y a là trop de syllabes, il préfère, pour tous ceux qui s’imaginent le dépasser, le terme de «frais-chié» (p. 208-209).

Remarques

On voit parfois être épais dans le plus mince. Ce n’est pas mieux, bien au contraire.

Il va de soi que l’épais n’est ni un gnochon / niochon ni un nono.

 

[Complément du 26 janvier 2018]

Autre exemple, lui aussi venu de Twitter :

https://twitter.com/quitusais/status/956632065369411584

 

Références

Dubois, Richard, Un Québec si lointain. Histoire d’un désamour, Montréal, Fides, 2009, 213 p.

Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.

Grave erreur anthume

David Turgeon, les Bases secrètes, 2012, couverture

Vous avez merdé grave ? Au Québec, vous n’êtes pas mieux que mort.

Exemples

«Si Max t’attrape, t’es pas mieux que morte, dit Sim» (Meurtres sur la côte, p. 106).

«On est pas mieux que morts ! siffla Sim» (l’Enfant du cimetière, p. 103).

«Il y avait ce cauchemar qu’il faisait, petit : poursuivi par je ne sais quelle menace, il voulait fuir, courir à toute vitesse mais ses jambes refusaient de le suivre, elles se traînaient sous lui, pas mieux que mortes» (les Bases secrètes, p. 10).

On ne souhaite cela à personne.

 

[Complément du 29 décembre 2012]

L’expression n’est pas récente. On la trouve dans la bande dessinée Onésime d’Albert Chartier dès 1955 (p. 37; voir aussi p. 8).

 

Références

Chartier, Albert, Onésime. Les meilleures pages, Montréal, Les 400 coups, 2011, 262 p. Publié sous la direction de Michel Viau. Préface de Rosaire Fontaine.

MacGregor, Roy, l’Enfant du cimetière, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 13, 2009, 164 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.

MacGregor, Roy, Meurtres sur la côte, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 12, 2008, 162 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2000.

Turgeon, David, les Bases secrètes. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 59, 2012, 189 p.

Que dire ?

Roy MacGregor, Épreuve de force à Washington, 2011, couverture

L’Oreille tendue ne s’en cache pas : sa façon de répondre au téléphone peut laisser perplexes quelques-uns de ses interlocuteurs.

Il y a pourtant des façons de faire plus troublantes encore quand «grelotte» le téléphone (le Ravissement de Britney Spears, p. 118).

Prenez Harry Hole, le héros du Sauveur de Jo Nesbø, qui multiplie les ordres :

Videz votre sac (p. 297).

Parlez. Pas trop fort (p. 299).

Ou bien Philippe Didion, le Notulographe :

Le deuxième épisode [de la série The Shield] se termine sur un rebondissement en forme de véritable coup de poing à l’estomac pour le téléspectateur. Mais ce n’est pas ce qui me préoccupe au sujet de cette série. Depuis un moment j’essaie d’imiter le cri, la vocifération, l’espèce d’aboiement jaculatoire que pousse Vick Mackey quand il décroche son téléphone de poche. Ce n’est pas «Yes», trop doux, c’est à mi-chemin entre le Yeah et le Yep avec un iiiiiii très long, un glissando vers une deuxième syllabe très courte qui s’interrompt comme si elle s’écrasait contre un mur. C’est propre à dissuader quiconque d’essayer de l’appeler à nouveau et à le faire regretter de l’avoir fait en cette occasion. Je me promets de tester ce cri au prochain appel que je reçois sur mon téléphone de poche. Je n’ai pas droit à l’erreur : je reçois environ trois appels par an (Notules dominicales de culture domestique, numéro 145, 1er février 2004).

Ou enfin Roy MacGregor :

Lars dégagea l’appareil et répondit.

— Johanssen.

Stéphane secoua la tête. Il n’avait jamais entendu personne d’autre répondre ainsi au téléphone. Lars disait que c’était ce qui se faisait en Suède et qu’il ne comprenait pas comment les gens, en Amérique du Nord, pouvaient se contenter de répondre «Allô». Et il refusait de changer sa façon de faire (Épreuve de force à Washington, p. 100).

En regard de ces réponses, le «oui» usuel de l’Oreille est bien timide.

 

Références

Didion, Philippe, Notules dominicales de culture domestique, Saint-Cyr sur Loire, publie.net, coll. «Temps réel», 2008, 355 p. Édition numérique.

MacGregor, Roy, Épreuve de force à Washington, Montréal, Boréal, coll. «Carcajous», 15, 2011, 178 p. Traduction de Marie-Josée Brière. Édition originale : 2001.

Nesbø, Jo, le Sauveur. Une enquête de l’inspecteur Harry Hole, traduction d’Alex Fouillet, Paris, Gallimard, coll. «Folio policier», 552, 2012, 669 p. Édition originale : 2005.

Rolin, Jean, le Ravissement de Britney Spears. Roman, Paris, P.O.L, 2011, 284 p.