Citation (en quelque sorte) religieuse du jour

Marcel Rioux, les Québécois, 1974, couverture

«Les Québécois doivent détenir une espèce de prix international dans le domaine du jurement. Certains anthropologues y verraient probablement une illustration de l’ambivalence du sacré. Depuis toujours, ce spécimen d’humanité a appris à nommer les choses sacrées et à les considérer comme les plus importantes de sa vie terrestre et éternelle. Elles représentent une espèce de summum indépassable. Quand il est à l’Église ou qu’il récite ses prières, ces mots sacrés qu’il entend ou prononce sont revêtus d’une aura religieuse. Quand, dans sa vie profane, il voudra exprimer une émotion forte, les mots sacrés se présenteront presque naturellement à lui. Son vocabulaire étant souvent limité, le mot sacré exprimera un superlatif. “C’est beau en Christ”, «Baptême que cette fille-là est bien faite”. Parlant de quelqu’un qui est en colère, il dira qu’“il est en hostie”. Ce n’est que lorsqu’il se fâchera lui-même, que tout ira mal, que le Québécois injuriera le ciel et qu’il “sortira tout ce qu’il y a dans l’église et dans les cieux”. Sa faculté d’invention ne connaît alors plus de bornes. Commençant par les “hosties carreautées” et passant par les “tabernacles de tôle” il ira jusqu’à “chier sur les quatre poteaux du ciel”. Tous les saints du ciel — il en invente au besoin — et la Sainte Vierge en particulier, en prendront pour leur grade.»

Marcel Rioux, les Québécois, Paris, Seuil, coll. «Microcosme. Le temps qui court», 1974, 188 p., p. 46.

Contribution électorale

L’Oreille tendue, à ses heures, aime à se considérer comme un service public. Voilà pourquoi, à la demande générale (n=0), elle a décidé de contribuer à la campagne électorale québécoise. Elle offre ci-dessous son aide aux électeurs (et aux autres) qui auraient pu être troublés par le vocabulaire des chefs des quatre principaux partis politiques en lice.

Philippe Couillard : coupures

François Legault : ayoye

Jean-François Lisée : câlicer

Manon Massé : viarge

Jurons gazeux

Francis Desharnais et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, 2012, p. 65, détail

Soit les phrases suivantes :

«Ça peut sembler onirique en soda, mais le fait est que le musicien y trouve la matière de compositions à la fois riches et apaisantes» (le Devoir, 22-23 septembre 2018).

«Tout ça règle pas mon soda de problème de spatio-jet de marde» (Motel Galactic, p. 12).

«Soda ! C’est compliqué !» (Motel Galactic. 2, p. 65)

Ce soda n’est évidemment ni la «Boisson gazeuse contenant des arômes, des sirops de fruits et des édulcorants», ni l’«Eau traitée à laquelle on a ajouté du gaz carbonique pour la rendre artificiellement gazeuse» dont parle le dictionnaire numérique Usito.

C’est un de ces mots employés, au Québec, au lieu de jurons d’un meilleur cru.

Faites l’exercice : remplacez ces soda par crisse. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

P.-S.—En effet, ce n’est pas la première fois que nous croisons pareil sacre inoffensif (voir ici, ou encore là).

 

Références

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic, Montréal, Éditions Pow Pow, 2011, 107 p.

Desharnais, Francis et Pierre Bouchard, Motel Galactic. 2. Le folklore contre-attaque, Montréal, Éditions Pow Pow, 2012, 101 p.

Moïse en Québec

Soit la phrase suivante, tirée de la 91e entrée de l’excellente série «Passé simple», de @machinaecrire, «Mots de mon enfance» :

Quand j’étais petit, j’utilisais le juron mozusse, mais c’est bien plus tard dans ma vie que j’ai compris que ce mot est en fait Moses, c’est-à-dire Moïse en anglais.

Mozusse, donc : un autre sacre mou.

On lui connaît plusieurs autres graphies.

Mosusse : «mosusse qu’ils vont nous manquer» (la Presse, 31 janvier 2012, cahier Sports, p. 5).

Maususse : «Une maususse de bonne idée de s’intéresser à la précarité des travailleurs autonomes» (Twitter, 3 septembre 2018).

Mosus : «Oh, la mosus, elle va mieux, vous voyez, elle se berce !» (l’Angle mort, p. 189)

Môsus : «Robert est un môsus de téteux» (le Village québécois d’aujourd’hui, p. 133).

Moses : «(pron. mauzusse) interj. — Juron inoffensif. Être en moses — Être en colère» (Dictionnaire de la langue québécoise, p. 327).

Ça fait désordre.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Chassay, Jean-François, l’Angle mort. Roman, Montréal, Boréal, 2002, 326 p.

Melançon, Benoît et Pierre Popovic, le Village québécois d’aujourd’hui. Glossaire, Montréal, Fides, 2001, 147 p.

Benoît Melançon et Pierre Popovic, le Village québécois d’aujourd’hui, 2001, couverture