(Double) Autopromotion 160

Cet après-midi, à 14 h, l’Oreille tendue présentera une conférence intitulée «Quelques idées reçues sur la langue (au Québec)» à la bibliothèque de Cartierville. Renseignements ici.

Ce soir, à 19 h, elle sera au micro de Serge Bouchard et de Jean-Philippe Pleau à l’émission C’est fou… de la radio de Radio-Canada. Elle causera décaleurs, communauté, indépendance, conversation, jaser, parler de, ego.com, décéder — et de quelques autres mots du jour. Thème de l’émission ? La société. Rien de moins.

 

[Complément du 8 février 2015]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

 

[Complément du 22 juillet 2015]

L’émission est en rediffusion ce soir à 20 h .

Accouplements 12

Couverture du premier album de la série «Bine» (2015)

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux textes d’horizons éloignés.)

Voici comment, en 1974, G.-André Vachon décrivait l’imaginaire des «habiles gendelettres québécois» des années 1930 :

Les campagnes se vidaient, la religion nationale était battue en brèche : ils donnèrent dans le roman régionaliste. Habitants, prélarts, bines, poudreries, croix de chemin, bénédiction du Jour de l’an, rebines, l’image était bien figée, l’illusion parfaitement réussie d’une société à jamais catholique, et paysanne (p. 67).

Bines et rebines : l’Oreille tendue a déjà parlé de celles-là.

Bine est aussi le surnom du personnage principal d’une nouvelle bande dessinée :

Benoit-Olivier est le plus vieux, le plus grand et le plus niaiseux de son école. Il est aussi le jeune au surnom le plus original. Il mène la vie dure à Mme Béliveau, son enseignante de 6e année, spécialiste de la mauvaise humeur, des copies et des retenues (source).

La bine, au Québec, n’a pas dit son dernier mot.

P.-S. — Le sous-titre du premier album de cette série (le seul paru à ce jour) est L’affaire est pet shop. On doit évidemment y entendre une (fine) allusion à l’expression l’affaire est ketchup.

 

Références

Brouillette, Daniel, Steven Dupré et Alcante, Bine 1. L’affaire est pet shop, Montréal, Les Malins, coll. «Bine», 1, 2015, 48 p.

Vachon, G.-André, «Le colonisé parle», Études françaises, 10, 1, février 1974, p. 61-78. https://doi.org/10.7202/036567ar

Divergences transatlantiques 035

Publicité pour la station CIBL (le Devoir, 5 avril 2011, p. B8)

Ni le Petit Robert (édition numérique de 2014) ni le Petit Larousse (édition de 2003) ne connaissent le verbe poigner / pogner.

Le Trésor de la langue française informatisé, en revanche, le présente ainsi :

Pogner, poigner, verbe trans. a) Empoigner, prendre, saisir. […] Là, on se met à l’abri, tard, l’automne, quand les gros vents vous poignent pendant qu’on chasse ou ben donc qu’on pêche sur les battures (Guèvremont, Marie-Didace, 1945 ds Rogers 1977). Pogner les nerfs. «S’emporter, se fâcher» (Fichier TLFQ). Empl. pronom. réciproque. «En venir aux coups; se battre, s’engueuler» (Fichier TLFQ). b) Arg., empl. pronom. réfl. «Se masturber». […] 1res attest. a) 1582 poigner «toucher avec le poing, empoigner» (Ch. et privil. des .XXXII. mét. de la cité de Liège, p. 81 ds GDF.) — XVIIe s. dans le domaine wallon, v. GDF. et a survécu dans certains parlers région. au sens de «prendre à pleines mains, prendre violemment», v. FEW t. 9, p. 515, b) 1935 arg. se pogner «se masturber» […]; de pogne arg. «main», v. poigne.

Comme ce passage l’indique, le verbe pogner / poigner, s’il ne pogne pas en France, pogne beaucoup au Québec. Les vents peuvent y pogner. On peut y pogner les nerfs. On peut se pogner avec un joueur de l’équipe adverse; au hockey, c’est le rôle des goons.

On a déjà vu ici même qu’il est possible, dans la Belle Province, de se poigner le moine, quand ce n’est pas le beigne, ou de pogner les gros poissons.

D’autres sens existent.

Qui saisit le sens d’une blague (d’une djoke) la pogne. Pour s’en assurer, on lui demandera la pognes-tu ?

Qui est coincé ou pris est pogné : «Pognés entre un boss crosseur, un syndicat menteur et un gouvernement…» (le Poulpe, p. 18).

Qui a du succès pogne. Voilà qui explique l’existence de la publicité suivante, récemment repérée par @revi_redac.

Publicité pour les voitures Mini

L’Oreille tendue ne prétend pas avoir repéré tous les sens de pogner. On pourra facilement la pogner en flagrant délit d’oubli.

P.-S. — On l’aura noté : sauf par volonté de dérision, on prononce bien plus volontiers pogner que poigner.

 

[Complément du 31 janvier 2015]

Comme le fait remarquer la même @revi_redac, il y a aussi «ce grand classique de la chanson québécoise» :

 

[Complément du 1er février 2015]

Oups ! Le Petit Robert (édition numérique de 2014) ne connaît pas poigner, mais pogner, si — et il en donne plusieurs excellentes définitions et illustrations. L’Oreille s’en mord les lobes, d’avoir parlé trop vite.

 

[Complément du 26 janvier 2016]

Et en Belgique, demandez-vous ? Oui, aussi, mais en usage intransitif.

Poigner […]

Poigner (dans qqch.) loc. verb. intr.

1. Fam. Prendre (qqch.) à pleine main. […]

2. Fam. Puiser (dans un contenant) pour remplir sa main. […]

Remarque

Ce verbe a pu également se construire transitivement (poigner qqch. «saisir qqch.; empoigner qqch.»), mais ce type de construction est aujourd’hui sorti de l’usage.

Vitalité peu élevée et décroissante en Wallonie, où ces constructions restent toutefois plus usuelles dans les provinces de Namur, de Liège et de Luxembourg. Quasi inusité à Bruxelles. — Également employé au Québec et en Louisiane (surtout dans la variante pogner) (Dictionnaire des belgicismes, p. 284).

 

[Complément du 29 avril 2018]

Sur le site Correspondance du Centre collégial de développement de matériel didactique, Louise Desforges propose plusieurs autres sens de po(i)gner. C’est ici.

 

Références

Dolbec, Michel et Leif Tande, le Poulpe. Palet dégueulasse, Montpellier, 6 pieds sous terre Éditions, coll. «Céphalopode», 12, 2004, 89 p. Bande dessinée.

Francard, Michel, Geneviève Geron, Régine Wilmet et Aude Wirth, Dictionnaire des belgicismes, Louvain-la-Neuve et Paris, De Boeck et Duculot, coll. «Langue française – Ouvrages de référence», 2010. Ill. Préface de Bruno Coppens.