Vocabulaire non agricole

Titre dans le Devoir de la semaine dernière : «Émissions des vaches et des puits de gaz. La ministre serait dans le champ» (19 janvier 2011, p. A4).

Si elle est dans le champ, ce n’est pas que la ministre des Richesses naturelles et de la Faune du Québec, Nathalie Normandeau, se promène à la campagne. Qui est dans le champ se trompe, et complètement.

Quand elle affirme ceci : «Écoutez, une vache émet plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un puits. Je veux dire que c’est factuellement prouvé», donc, elle se trompe.

Elle, son associée

L’historien québécois Marcel Trudel vient de mourir. Un de ses anciens élèves, Jacques Mathieu, lui rend hommage dans le Devoir du 13 janvier (p. A9).

À la fin du texte, on lit ceci :

Je tiens d’ailleurs à signaler une anecdote à cet égard. Le jour de son 90e anniversaire de naissance, j’ai eu un contact téléphonique à sa résidence. Son associée m’a signalé que, ce matin-là, Marcel Trudel dérogeait à son habitude; il bêchait son jardin.

Associée ? L’Oreille tendue connaissait le commis déguisé en associé et le partenaire en affaires, et elle savait que ce mot désigne un statut particulier dans les cabinets d’avocats. De toute évidence, l’«associée» de Marcel Trudel ne relève d’aucune de ces catégories.

S’il n’est pas possible, à la lecture du panégyrique de Jacques Mathieu, de savoir ce que faisait cette «associée», outre répondre au téléphone, on notera cependant qu’il ne manque pas de piquant qu’un historien de la Nouvelle-France, intéressé par définition aux activités de la Compagnie des Cent-Associés, ait été proche d’une personne portant ce titre.

On relèvera, pour finir, que l’auteur de l’Influence de Voltaire au Canada (1945), le jour de ses 90 ans, bêchait encore son jardin, tel Candide cultivant le sien.

 

Référence

Trudel, Marcel, l’Influence de Voltaire au Canada, Montréal, Fides, 1945, 2 tomes. Tome I : de 1760 à 1850, 221 p.; tome II : de 1850 à 1900, 315 p.

Mot indispensable du jour

Parmi les québécismes, une place spéciale devrait être faite au mot cute, à prononcer à l’anglaise, comme chez Achdé, dans le deuxième volume de la série les Canayens de Monroyal, en 2010 (p. 23) :

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 2. Hockey corral, p. 23, case

Léandre Bergeron, en 1980, propose la définition suivante : «Cute (pron. kioute) adj. — Mignon. Gentil. Ex. : I est-i pas cute, c’t’enfant-là» (p. 163).

En revanche, ni Marie-Pierre Gazaille et Marie-Lou Guévin (2009), ni Ephrem Desjadins (2002) ne retiennent le mot. Mea maxima culpa : cute n’est pas non plus dans le Dictionnaire québécois instantané (2004).

Cute pourrait pourtant être emblématique du français parlé au Québec : emprunté à l’anglais, courant à l’oral et plus rare à l’écrit, désignant du moyen, mais sans plus (le cute n’est pas le beau). Le portrait paraît assez juste.

 

Références

Achdé, les Canayens de Monroyal. Saison 2. Hockey corral, Boomerang éditeur jeunesse, 2010, 46 p. Couleur : Mel.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch.

Melançon, Benoît, avec la collaboration de Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Les experts

Qu’ont en commun Benoît Brunet, Mario Tremblay et Joël Bouchard ? Ce sont d’anciens joueurs de hockey reconvertis dans le commentaire sportif.

Au Québec, on dit parfois que ce sont des joueurnalistes. En France, on les appelle consultants. Ce n’est guère mieux dans un cas que dans l’autre.

Les joueurnalistes ne sont pas journalistes (ils ne font aucun travail journalistique) et tous ceux qu’on nomme joueurnalistes ne sont pas d’anciens joueurs (pensons aux ex-entraîneurs Michel Bergeron et Jacques Demers ou à l’ex-arbitre Ron Fournier).

Les consultants, eux, ont mauvaise réputation partout dans le monde. On les considère assez généralement comme des créatures improductives.

On devrait pouvoir trouver mieux.

 

[Complément du 15 février 2017]

Dans la Presse+ du jour, le journaliste Patrick Lagacé, à la suite du congédiement de Michel Therrien par les Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, propose un terme spécifique pour les entraîneurs recyclés : «À moins qu’il ne redevienne coachnaliste à RDS, comme il l’était avant de revenir diriger le CH.» C’est noté.

 

[Complément du 19 décembre 2017]

L’Oreille tendue ne connaissait que la graphie joueurnaliste. En lisant «2018 avant 2018» de Jean-Philippe Martel dans la plus récente livraison du magazine Lettres québécoises (168, hiver 2017), elle découvre que l’ancien joueur de foot Patrick Leduc serait joueurnalyste (p. 70). Une recherche rapide sur Google semble indiquer que Leduc, qui se définit lui-même par ce terme, est (presque) le seul à ainsi faire entrer l’analyste dans le joueur.

 

[Complément du 1er novembre 2020]

Exemple romanesque, chez Hugo Beauchemin-Lachapelle (2020) : «Et soudain, une phrase tombe de la bouche d’un des joueurnalistes. Elle est aussitôt retransmise à plus d’un million de téléspectateurs» (p. 32).

 

Référence

Beauchemin-Lachapelle, Hugo, la Surface de jeu. Roman, Montréal, La Mèche, 2020, 276 p.