Six remarques sur le Petit Larousse illustré 2022

Petit Larousse illustré 2022, publicité

C’est un marronnier : une fois l’an, les médias discutent les mots nouvellement adoubés par les dictionnaires. Ces jours-ci, c’est le Petit Larousse illustré qui annonce ses couleurs; l’Oreille tendue en parle d’ailleurs dans le Devoir du jour.

Que dire de cette cuvée ?

1. Il fallait s’y attendre : les mots de la crise sanitaire sont nombreux à entrer dans les colonnes du PLI 2022 (pour les intimes). Il a fallu trier parmi les centaines de mots nés depuis le début de la pandémie et l’équipe de Larousse y est allée d’une sélection généreuse. (À un moment, l’Oreille a essayé de tenir le rythme; elle n’est y pas parvenue.)

2. Même en faisant vite — et les concepteurs du PLI ont fait vite (merci) —, on n’arrive pas à tout couvrir. Sauf erreur, vaccinodrome n’est pas encore répertorié, mais il est dans le Wiktionnaire. Le dictionnaire n’est qu’un état de la langue saisi à un moment de l’histoire.

3. Les Français et les Québécois parlent la même langue, mais ils n’emploient pas exactement les mêmes mots. Ils ont en commun le confinement, l’écouvillon, la comorbidité, le couvre-feu, la jauge. En revanche, les Québécois n’ont guère recours à continuité pédagogique ou à déplacement dérogatoire. Ils parlent eux aussi de plateau et de pic, mais ils tentent plus souvent d’aplatir la courbe. Ils portent un couvre-visage ou un masque (le mot existait dans le PLI; il est redéfini dans l’édition la plus récente).

4. On parle plus volontiers en France du covid que de la covid. Les deux genres sont indiqués dans le PLI2022, avec le féminin en première place.

5. Les Québécois aiment reprocher aux Français leur passion pour les mots anglais. Dans un prospectus, Bernard Cerquiglini, le conseiller scientifique de Larousse, se réjouit de ne pas avoir cédé sur ce plan :

Cette appropriation collective de la langue se marque aussi par la négative. On pouvait craindre que l’arrivée dans l’usage de termes médicaux, ou relevant du nouveau commerce à distance, s’accompagnât de nombreux anglicismes; force est de constater qu’il n’en est rien : le français, en la circonstance, fait preuve d’une singulière résistance. Dans l’usage, le cluster infectieux cède du terrain devant le foyer de contagion, locution nouvelle; le tracking recule face au traçage, qui rejoint au dictionnaire traçable et traçabilité. Notons que distanciation sociale, calque fâcheux de social distancing (car l’adjectif français social, au rebours de son homologue anglais, évoque un rapport de classes), s’efface devant distanciation physique. Épousant cette tendance, le Petit Larousse 2022 observe que cliqué-retiré vaut bien click and collect, qu’un retrait rapide (que l’on peut d’ailleurs effectuer à pied) se comprend mieux qu’un drive.

Tout cela est bel et bon. Puis, quelques pages plus loin, on tombe sur d’autres nouveautés du PLI 2022 : alumni, batch cooking, krump, mocktail. Ça fait désordre.

6. Comme chaque année, des mots de la francophonie sont retenus. Pour 2022, il y en a quatorze, dont quatre du Québec : bien-cuit, échouerie, nounounerie, vigile. (Parmi les noms propres, il y a aussi Guy Delisle.) Pourquoi ceux-là ? On peut se le demander : les règles d’inclusion des mots de la francophonie dans les dictionnaires hexagonaux ne sont pas de la plus grande transparence. Faut-il déplorer les choix du PLI 2022 ? Si ce dictionnaire était le seul à s’intéresser à la description du français du Québec, on pourrait regretter l’inclusion d’un mot comme nounounerie; il y a probablement des mots à officialiser plus rapidement que celui-là. Or il existe des outils plus utiles pour cette description, le dictionnaire numérique Usito notamment (qui ne connaît ni bien-cuit ni nounounerie). N’exigeons pas trop, sur ce plan, du Petit Larousse. Le plus beau dictionnaire du monde ne peut donner que ce qu’il a.

P.-S.—Oui, ce texte est un marronnier.

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Le tu ou le vous ? Un schéma

Aujourd’hui, vers 17 h 45, l’Oreille tendue sera au micro d’Annie Desrochers, à l’émission le 15-18 de la radio de Radio-Canada, pour parler de tutoiement, à l’occasion de la parution de l’ouvrage suivant :

Kern, Étienne, le Tu et le vous. L’art français de compliquer les choses, Paris, Flammarion, 2020, 204 p. Ill.

L’Oreille pourra aussi prendre des exemples dans sa rubrique «À tu & à toi»; elle est bien fournie.

 

Source de l’illustration : Quora

 

[Complément du jour]

On peut (ré)entendre l’entretien ici.

Le zeugme du dimanche matin et de Chantal Thomas

Chantal Thomas, Cafés de la mémoire, éd. de 2017, couverture

«Son audace architecturale impressionnait. Moi aussi j’avais envie d’apprécier sa beauté, mais j’étais mal placée. À travers la transparence de ses baies vitrées se profilait, en même temps que les chênes et le pin du jardin, l’incertitude de l’avenir.»

Chantal Thomas, Cafés de la mémoire. Récit, Paris, Seuil, coll. «Points», P4657, 2017, 344 p., p. 107. Édition originale : 2008.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Les zeugmes du dimanche matin et de Fanny Britt

Fanny Britt, Faire les sucres, 2020, couverture

«Claude, son associé à la clinique de Pierrefonds, avait la cinquantaine allègre, une nouvelle épouse de vingt ans sa cadette avec qui il s’adonnait au saut en parachute, et une envie de profiter à fond de cette vie avant que des troubles érectiles ne l’assaillent […]» (p. 35).

«Ils ignoraient que les nuits d’été pouvaient être collantes et lourdes dans les appartements vieillis d’Oak Bluffs ou de Vineyard Haven, aux façades écaillées par l’air salin et le manque de revenus» (p. 229).

Fanny Britt, Faire les sucres. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2020, 256 p.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

La clinique des phrases (aaaa)

La clinique des phrases, logo, 2020, Charles Malo Melançon

(À l’occasion, tout à fait bénévolement, l’Oreille tendue essaie de soigner des phrases malades. C’est cela, la «Clinique des phrases».)

Soit les deux phrases suivantes :

Pour dire les choses en une formule que je sais un peu boiteuse, la laïcité, si elle ne devait s’appliquer qu’à une institution, ce serait à l’école. Elle a pour but, par elle, de préserver la liberté de conscience des enfants en créant un espace qui préfigure celui, politique, dans lequel ils exerceront plus tard leur citoyenneté.

Si elle le pouvait encore, l’Oreille tendue s’arracherait volontiers les cheveux devant cet obscur «Elle a pour but, par elle».

Le premier «Elle» devrait renvoyer, normalement, au sujet (grammatical) de la phrase précédente, «la laïcité». Nous aurions donc :

La laïcité a pour but, par elle […].

Logiquement, dès lors, le deuxième «elle» devrait renvoyer à «l’école» :

La laïcité a pour but, par l’école […].

On pourrait cependant sans aucun mal, et avec profit, imaginer la phrase inverse :

L’école a pour but, par la laïcité […].

Que faire devant pareil embrouillamini ? Essayons ceci :

Pour dire les choses en une formule que je sais un peu boiteuse, la laïcité, si elle ne devait s’appliquer qu’à une institution, ce serait à l’école. Celle-ci a pour but, par la laïcité, de préserver la liberté de conscience des enfants en créant un espace qui préfigure celui, politique, dans lequel ils exerceront plus tard leur citoyenneté.

À votre service (mais non sans mal et hésitations).