Le zeugme du dimanche matin et de Sorj Chalandon

Sorj Chalandon, l’Enragé, 2023, couverture

«Un jour, Alain avait tenté de m’expliquer la phrase imprimée sous le titre du journal : “L’émancipation des travailleurs ne sera l’œuvre que des travailleurs eux-mêmes.” Il roulait des yeux et des mots. Je n’avais pas tout compris. Et puis je préférais l’autre maxime, imprimée juste à côté. Je la trouvais drôle : “Prolétaires, l’aumône est une honte !”»

Sorj Chalandon, l’Enragé. Roman, Paris, Grasset, 2023, 416 p. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

L’oreille tendue de… Simenon

Georges Simenon, l’Ombre chinoise, couverture

«Maigret tendit l’oreille : la concierge était toujours dehors, à l’attendre, et M. de Saint-Marc continuait à arpenter la cour. De temps en temps, un autobus passait sur la place et son vacarme rendait plus absolu le silence qui suivait.»

Georges Simenon, l’Ombre chinoise, dans Maigret et l’au-delà, Paris, Presses de la Cité, coll. «Le livre de poche», 33372, 2014, p. 7-158, p. 13. Édition originale : 1932.

Accouplements 219

Naissance d'un pont et Madame Bovary, couvertures, collage

(Accouplements : une rubriquel’Oreille tendue s’amuse à mettre en vis-à-vis deux œuvres, ou plus, d’horizons éloignés.)

Flaubert, Gustave, Madame Bovary, Paris, Garnier-Flammarion, coll. «GF», 86, 1966, 441 p. Chronologie et préface par Jacques Suffel. Édition originale : 1857.

«Une fois, au milieu du jour, en pleine campagne, au moment où le soleil dardait le plus fort contre les vieilles lanternes argentées, une main nue passa sous les petits rideaux de toile jaune et jeta des déchirures de papier, qui se dispersèrent au vent et s’abattirent plus loin, comme des papillons blancs, sur un champ de trèfles rouges tout en fleur» (p. 270).

Kerangal, Mailys de, Naissance d’un pont, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 5339, 2020, 336 p. Édition numérique. Édition originale : 2010.

«Avant de redémarrer la voiture, Shakira avait pris soin d’essuyer le sable collé sur ses pieds à l’aide de mouchoirs en papier glissés entre ses doigts de pied, puis froissés d’une pression sèche et jetés par la vitre, un par un, la boîte entière bientôt dilapidée. Sanche avait suivi du regard les kleenex blancs qui flottaient en l’air, voletaient doucement, déformés au moindre souffle, se redéposaient enfin au sol, maculant peu à peu tout le paysage.»

 

P.-S.—Toujours dans Naissance d’un pont : «un mouflon blanc aux grosses cornes ambrées recourbées en arceaux comme la coiffure à rouleaux de Mme Bovary».

P.-P.-S.—En sa jeunesse, l’Oreille tendue a consacré quelques lignes à la scène flaubertienne dite «du fiacre» : Melançon, Benoît, «Faire catleya au XVIIIe siècle», Études françaises, 32, 2, automne 1996, p. 65-81. https://doi.org/1866/28660

L’oreille tendue de… Benjamin Hoffmann

Benjamin Hoffmann, «Évaporée», 2023, titre

«Sans me regarder ni répondre à mes questions, elle s’est installée aussitôt au comptoir, elle a commandé deux whiskys à une serveuse vêtue d’un T-Shirt Nirvana alors que dans les haut-parleurs de la petite salle bondée, c’étaient les Pixies qui passaient un peu trop fort, et Namiko a dû forcer sa voix pour se faire entendre au téléphone qu’elle a sorti de sa poche, parlant en japonais avec un débit continu et, m’a-t-il semblé, un ton plaintif, presque implorant, tandis que la jeune femme apportait nos verres avec une expression trop absente pour ne pas révéler qu’elle tendait l’oreille à ce que disait Namiko et qu’incapable de rien comprendre à son propos, à ce qui se passait, je m’accrochais à la seule parole qu’il m’était possible d’identifier dans le flot continu de son discours où elle revenait régulièrement, une parole qu’elle a fini par répéter une dernière fois comme si elle était le point culminant de ce qui ressemblait fort à une plaidoirie : nikagetsu, “deux mois”.»

Benjamin Hoffmann, «Évaporée», article électronique, AOC, 7 mai 2023.