«Mais demeure, dans cette présentation éclairante du monde “à la fois ordinaire et anomique” de Marie NDiaye, une démarche critique vitale : entendre l’érection décisive d’une langue. À condition de bien vouloir, comme le rappelle Dominique Rabaté, “tendre l’oreille”» (Nonfiction, septembre 2008).
Mais
Elle s’appelle Hélène, mais elle a choisi le prénom de Lili, comme dans un des romans pour enfants écrits par sa mère, la Petite Lili.
Elle a été actrice, mais elle est devenue réalisatrice — dans la pornographie, son film le plus populaire s’intitulant Corps célestes (p. 207).
Elle n’a pas vu sa sœur, Flo, depuis quinze ans, mais les circonstances familiales forcent leur rencontre.
Elle a manifestement de mauvaises relations avec sa mère, Anita, mais elle doit en prendre soin («il arrive ce moment où nous devons laver le sexe de nos mères», p. 223) et elles finiront par enfin se parler.
Elle a couché une fois, il y a longtemps, avec James, le compagnon de sa sœur, mais ces deux-là forment dorénavant un couple.
Elle est la tante d’Isaac, le fils de James et Flo, mais leur rapprochement n’aura pas les effets escomptés.
Isaac est né avant le 11-septembre, mais pas ses parents.
James est revenu de la guerre, mais ce ranger n’est pas intact.
Flo, James, Isaac et Anita vivent dans la nature, mais une nature dont certains animaux avaient disparu, par exemple les orignaux.
Ils se croyaient seuls, mais ils ne le sont pas («il arrivera ce moment où les gens sortiront de la forêt, James / il faudra un fusil», p. 219).
James et Hélène / Lili prépareront le café, mais cela vaudra pour autre chose.
Ça se déroule au Canada, mais dans un Canada dystopique, en guerre («le nord du Canada / demeure le théâtre des affrontements / front sino-russe», p. 34).
C’est du théâtre, mais l’univers du cinéma est partout présent, notamment dans les apartés d’Hélène / Lili («de concombres / gros plan mains sales / terre sous les ongles», p. 148).
C’est en français, mais il y a plusieurs répliques, parfois longues, en anglais, dites par James (et traduites en fin d’ouvrage).
C’est une histoire de famille, donc ça va mal se finir.
Référence
Boudreault, Dany, Corps célestes. Théâtre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 140, 2020, 264 p.
Les zeugmes du dimanche matin et de Marie-Jeanne Riccoboni
«Cet intérêt qu’elle reprenait à M. de Cressy lui fit chercher à pénétrer l’état de sa maison; comme avec des soins, de l’argent, et des valets, on découvre aisément ce que l’on veut apprendre, quand on se permet de pénétrer par des moyens si bas dans les secrets des autres, Mme d’Elmont sut bientôt l’intrigue d’Hortense avec lui, le lieu de leurs rendez-vous, et la froideur qui était actuellement entre eux.»
Marie-Jeanne Riccoboni, Histoire de M. le marquis de Cressy, Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», série «Femmes de lettres», 4877, 2009, 129 p., p. 102-103. Édition établie et présentée par Martine Reid. Édition originale : 1758.
(Une définition du zeugme ? Par là.)
Portrait en jouisseur
«Chasseur paresseux, indolent joueur de whist, dormeur inéveillable, amateur de longs repas et de plaisirs commodes, volontiers loin de sa femme dont l’esprit vif et piquant fatiguait son flegme, [le prince Louis de La Trémoïlle] était attiré chez nous par les petits bois giboyeux, par la partie de whist établie en permanence au salon dans les jours de pluie, par les talents d’Adelheid [la cuisinière viennoise], et peut-être aussi par le mien qu’il mettait à contribution chaque soir après dîner en me demandant de lui jouer sur le piano ce qu’il appelait un joli petit air qui l’empêchait de s’endormir avant l’heure d’aller se coucher.»
Marie d’Agoult, Premières années (1806-1827), Paris, Gallimard, coll. «Folio 2 €», série «Femmes de lettres», 4875, 2009, 140 p., p. 57. Édition établie et présentée par Martine Reid.
Le zeugme du dimanche matin et de Victoria Mas
«Elle qui a grandi dans des lieux feutrés où la seule familiarité parfois autorisée était un éclat de rire, à l’abri de la misère et de tout un Paris qu’elle ne lisait que dans les journaux ou chez Zola, elle se retrouve désormais à côtoyer l’autre versant de la capitale — celui du nord, du maquis de Montmartre aux pentes de Belleville, là où la crasse, l’argot et les rats courent les caniveaux.»
Victoria Mas, le Bal des folles. Roman, Paris, Albin Michel, 2019, 256 p. Édition numérique.
(Une définition du zeugme ? Par là.)


