Parlons cheval

Soit le tweet suivant, de Yan Saint-Onge :

Dans ce cas-ci, l’expression en joual vert signifie beaucouptrès. Voici un autre exemple, qui va dans le même sens, tiré du roman C’t’à ton tour, Laura Cadieux, de Michel Tremblay (1973) :

Ah, okay, ça nous fait rêver pis toute, pis j’ai rien contre le rêve de temps en temps, mais moé j’sais ben que si Pit se mettrait à me dire le quart d’la moitié de ce que les hommes disent aux femmes dans les vues, j’me tordrais de rire en joual vert ! (p. 106)

Par ailleurs, on peut être en joual vert, voire en beau joual vert : fâché, mécontent, courroucé. Ce serait plus présentable que de se dire en crisse, en tabarnak, en câlisse, en estie, en sacrament, en ciboire, etc.

Cela étant, des mélanges sont possibles, histoire de bien marquer le coup, comme chez le Maxime Raymond Bock des Noyades solitaires (2017) :

Il atteignait la fin de la quarantaine, pétri d’une toute-puissance professionnelle, intellectuelle et morale, mais il ne pouvait que constater, et ça le mettait en hostie de beau joual vert, que ses enfants étaient des mécréants (p. 21).

On aura reconnu ce joual; c’est un cheval. Mais pourquoi diantre est-il vert ?

P.-S.—Pierre Corbeil propose une graphie en un seul mot, joualvert (2011, p. 44). À première vue, cela étonne, mais est alors plus visible le lien possible entre joualvert et calvaire.

P.-P.-S.—Usito offre l’étymologie suivante : «Depuis 1930 […]; déformation de (parler) cheval “baragouiner, s’exprimer d’une manière inintelligible”; locution relevée dans la langue populaire en France au 19e s.»

 

Références

Corbeil, Pierre, Canadian French for Better Travel, Montréal, Ulysse, 2011, 186 p. Ill. Troisième édition.

Raymond Bock, Maxime, les Noyades secondaires. Histoires, Montréal, Le Cheval d’août, 2017, 369 p.

Tremblay, Michel, C’t’à ton tour, Laura Cadieux. Roman, Montréal, Éditions du Jour, coll. «Les romanciers du jour», R-94, 1973, 131 p.

Parlons cochon

Soit le tweet suivant, de Les Perreaux :

 

Les deux derniers mots de la dernière phrase paraîtront sibyllins à certains : qu’est-ce que ce «gros jambon» ?

Dans le domaine sportif, le jambon alimente souvent la discussion.

Le mot désigne le boxeur strictement appelé à faire de la figuration devant un adversaire bien plus fort : il arrive donc que des boxeurs aient «une belle fiche contre des jambons» (la Presse, 7 août 2012, cahier Sports, p. 7). Ce n’est pas parce qu’ils ont essayé de les manger.

Au hockey, ce n’est guère plus glorieux. Dans Panache. 1. Léthargie (2009), de Sylvain Hotte, le héros se réjouit à l’idée d’affronter une équipe du Saguenay composée de «quelques jambons à la défensive» (p. 99 et p. 105). On ne confondra pas le jigon et le jambon.

Dans son tweet, Perreaux critique la décision de l’entraîneur Gerard Gallant, des Golden Knights de Las Vegas, d’avoir envoyé un de ses joueurs se battre contre un adversaire des Jets de Winnipeg. C’est, en effet, digne d’un jambon, voire d’un gros jambon.

Le mot n’est pas utilisé que dans le domaine sportif.

Selon Pierre DesRuisseaux, on peut être assis sur son jambon : «Ne rien faire, ne pas réagir» (2015, p. 182). Ce jambon-là est, donc, un steak.

Léandre Bergeron reste dans le registre anatomique : les jambons pourraient être les «Grosses cuisses (d’une femme)» (1980, p. 280) — pourquoi seulement d’une femme ?

Bref, le jambon, dans le français populaire du Québec n’a pas bonne presse. Il vaut mieux ne pas être un gros jambon. Que Gerard Gallant se le tienne pour dit.

P.-S.—Exception qui confirme la règle : les plus vieux se souviendront que «Gros jambon» est une chanson interprétée par Réal Giguère dans laquelle le terme n’est pas connoté négativement.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

DesRuisseaux, Pierre, Trésor des expressions populaires. Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature et les écrits québécois, Montréal, Fides, coll. «Biblio • Fides», 2015, 380 p. Nouvelle édition revue et augmentée.

Hotte, Sylvain, Panache. 1. Léthargie, Montréal, Les Intouchables, coll. «Aréna», 1, 2009, 230 p.

Ken et Scotty

Ken Dryde, Scotty, 2019, couverture

«He was a rink rat […], only with nine Stanley Cup rings.»

En 1983, un jeune retraité du hockey, Ken Dryden, l’ancien gardien de but des Canadiens de Montréal, publie ses souvenirs de joueur sous le titre The Game. Il y décrit ses relations avec son entraîneur, Scotty Bowman. Le portrait (p. 35-46, p. 166-169) est sans concession :

If you ask the players who have played for Bowman if they like him, most will stand shocked, as if the thought never occurred to them, as if the question is somewhat inappropriate, as if the answer is entirely self-evident. No, they will say, Scotty Bowman may be a lot of things, but he is not someone you like. A few, usually those who played for him the longest but who now no longer do so, might brigthen and answer quickly, as if they had thought about it, maybe a lot about it, in the years since.
«Yeah sure, I, I really respect the guy. I really admire him. He sure did a lot for me» (p. 37).

Il ne viendrait jamais à l’esprit d’un ancien joueur de Bowman de dire l’avoir aimé («like»). Respecter, voire admirer, pour certains, oui — mais pas aimer. Dryden est de ceux qui admirent ce «brillant» entraîneur, «le meilleur de son époque» : «He is complex, confusing, misunderstood, unclear in every way but one. He is a brilliant coach, the best of his time» (p. 38). Plus simplement, et malgré tout : «I like him» (p. 46).

Trente-six ans plus, Dryden vient de faire paraître une biographie de Bowman, Scotty. A Hockey Life Like no Other (en traduction : Scotty. Une vie de hockey d’exception).

Si vous espérez lire des potins sur la vie dans les vestiaires des équipes dirigées par Bowman, passez votre chemin : ce livre n’est pas pour vous. Vous trouverez plus de renseignements dans The Game ou dans les souvenirs de Serge Savard, un coéquipier de Dryden, que vient de faire paraître Philippe Cantin.

Si vous souhaitez avoir accès à la vie privée de Bowman, passez itou votre chemin. À part l’enfance verdunoise fort longuement décrite («Scotty was a Verdun kid, not a Montreal kid», p. 25) et quelques allusions à la vie familiale de Bowman, ce n’est pas l’objet premier de ce livre. L’introspection, ce n’est pas son fort : «down deeper, where he doesn’t often dwell» (p. 259), d’autant que c’est un homme de peu de mots : «nouns and verbs, and the occasional adjective, are enough» (p. 338).

Vous voulez en savoir plus sur les relations entre Bowman et Dryden ? Encore une fois, pour l’essentiel, il en est assez peu question, sauf quand le gardien, le jour où il s’est pris pour une diva, a été ramené à l’ordre par l’entraîneur (p. 185). Autrement, on est dans l’exercice d’admiration : pour Dryden, Bowman est le plus grand entraîneur de l’histoire du hockey, peut-être le plus grand entraîneur tous sports confondus (1244 victoires, 9 coupes Stanley).

De quoi s’agit-il alors ? Des réflexions de quelqu’un qui s’intéresse au hockey depuis… la fin des années 1930. Bowman, qui est né en 1933, est «a hockey watcher» (p. 260). C’est d’abord et avant tout l’entraîneur qui parle, dans des chapitres alternés : les uns sont biographiques (sa vie professionnelle), les autres sont des réflexions sur les huit plus grandes équipes que Bowman a vu jouer. Dans les derniers chapitres, Dryden et Bowman imaginent une série de matchs entre ces équipes pour désigner la plus grande de tous les temps. (Non, vous ne saurez pas laquelle.) Pour arriver à cela, ils ont conversé pendant des heures.

Observant le hockey sur plusieurs décennies, Bowman présente des équipes (voyez son évocation des Canadiens de Montréal de 1955-1956, p. 77-105), des joueurs (par exemple Jonathan Toews, p. 316 et suiv.) ou des administrateurs (au premier chef desquels Sam Pollock, son mentor, p. 187-193). Il fait aussi bien l’histoire du hockey, qui s’est beaucoup transformé sous ses yeux (sportivement, médiatiquement, économiquement), que celle du travail d’entraîneur : entre les entraîneurs du passé et ceux d’aujourd’hui, tout a changé, tant en matière de stratégie que d’informations disponibles. Sur ce double plan, le chapitre probablement le plus révélateur est le seizième : désormais retraité pour de bon du métier d’entraîneur, Bowman continue, à 86 ans, à suivre des masses de matchs pour essayer de comprendre l’évolution de son sport, cela dans ses aspects les plus fins.

On apprend donc des masses de choses à la lecture de Scotty. Cela étant, on notera que Ken Dryden n’est pas un auteur pressé, qu’il aime les détails, qu’il s’essaie parfois à des comparaisons laborieuses — entre Verdun, Québec et Verdun, France (p. 22-23) ou entre le défenseur Tim Horton et le café Tim Hortons (p. 351). Comme l’objet de son livre souffre d’une mémoire phénoménale, on se perd à l’occasion dans les anecdotes. Un lecteur qui a grandi dans les années 1970 à Montréal, quand Bowman y entraînait une équipe fabuleuse avec Dryden dans les buts, s’étonnera de l’absence d’un portrait de Guy Lafleur : Bowman reconnaît sa valeur, mais n’explique pas comment il a réussi à faire éclore ce joueur dont le début de carrière avait été si laborieux.

En 1983, Dryden disait aimer Bowman. Cela n’a pas changé, mais on voit désormais beaucoup mieux pourquoi.

P.-S.—Oui, ce Scotty-là.

P.-P.-S.—À Radio-Canada, à l’émission le 15-18, au micro d’Annie Desrochers, vendredi dernier, l’Oreille est allée discuter du livre. Ça s’écoute ici.

 

Références

Cantin, Philippe, Serge Savard. Canadien jusqu’au bout, Montréal, KO Éditions, 2019, 487 p. Ill. Avant-propos de Serge Savard.

Dryden, Ken, The Game. A Thoughtful and Provocative Look at a Life in Hockey, Toronto, Macmillan of Canada, 1984, viii/248 p. Édition originale : 1983.

Dryden, Ken, Scotty. A Hockey Life Like no Other, Toronto, McClelland & Stewart, 2019, viii/383 p. Ill. Traduction : Scotty. Une vie de hockey d’exception, Montréal, Éditions de l’Homme, 2019, 439 p. Préface de Robert Charlebois.