«Ma mère se confiait à son amie : son corps y échappait, l’énergie manquait. Et un jour, peut-être proche des larmes et du grand cap qui s’avance dans la baie, elle a avoué qu’elle pouvait pus s’occuper d’un bébé.»
J. P. Chabot, le Chemin d’en haut. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 171, 2022, 224 p., p. 103.
Lisant le Chemin d’en haut, le roman récent de J. P. Chabot (2022), l’Oreille tendue tombe sur cette phrase tout à fait mystérieuse pour elle : «Personne d’autre connaissait ces groupes-là, à l’école, tout le monde écoutait de la musique de poil» (p. 167).
«Musique de poil» ?
L’Oreille consulte alors un moteur de recherche connu, où elle découvre un article de Jean Dion paru en 2011 : «Puis, à tête reposée, je songeai à cet autre génie qui faisait jouer de la musique de poil à fond la caisse dans son bazou et j’en arrivai à une conclusion provisoire : l’humain ne se sent jamais autant exister que lorsqu’il fait du bruit.» Autre citation : «Musique de drogués, musique de poil, musique de fucké !»
Cela fait bien peu pour essayer de comprendre. L’Oreille s’est alors tournée vers Twitter; on lui a offert plusieurs éléments de réponses. Que conclure de cette consultation ?
Le «poil» renvoie tantôt à la richesse pileuse de ses praticiens, tantôt à celle de ses fans, tantôt aux deux groupes.
Ce «poil» se prononcerait souvent «pouèl», «pouèle», «pouel» ou «pwell».
La «musique de poil» serait riche en décibels, d’où son association avec les «métalleux».
Jusque-là, ça va à peu près. Les choses se compliquent quand on essaie de donner des exemples ou de définir plus précisément un genre musical.
On peut procéder par la négative. Pour J. P. Chabot, la «musique de poil» n’inclurait pas Thursday, The Used, Underoath, Thrice ou Rufio; «Personne d’autre connaissait ces groupes-là, à l’école» (p. 167).
Parmi les exemples évoqués : Bon Jovi, Europe, Metallica, Slayer, Twisted Sister, Poison, Megadeth, Voivod, Anthrax, Judas Priest, Lamb of God.
Led Zeppelin ? Iron Maiden ? Ça se discute(rait).
Pour terminer, trois vidéos à voir sur YouTube.
Des élèves de l’école Saint-Jean-de-Bosco, selon RBO :
Soit ce tweet : «Voir que la grande Michèle Torr vient de me dédier son classique Emmène-moi danser ce soir à JS Tendresse de @jsgirard.»
Soit cette phrase, tirée du roman Morel (2021) de Maxime Raymond Bock : «Ah ben oui, ç’a ben du bon sens ! C’est niaiseux de te demander ça. Voire que tu chercherais un loyer si tu déménages pas !» (p. 239)
Que dire de ce «voir(e) que», en tête de phrase, parfois lu / entendu au Québec ?
Dans le premier cas, il marque une joie doublée d’un étonnement : «Quoi ? Me faire ce bonheur ? À moi ? Je n’ose le croire !»
Dans le second, il marque la reconnaissance d’une évidence : «Mais bien sûr ! Pourquoi chercherais-tu un appartement (loyer) si tu ne voulais pas déménager ?»
Une même forme, deux sens. Voir que c’est logique, la langue !
P.-S.—La construction avec voir si est également attestée : «Voir si elle me dédierait une chanson !»
P.-P.-S.—La graphie avec e (voire) étonne fort l’Oreille tendue (Maxime Raymond Bock la reprend p. 206 et p. 244). Le lien entre l’adverbe voire (et même) et le verbe voir suivi de que lui échappe.
Réaction d’un médiéviste : «L’explication qui me vient est le sens du terme en ancien français : “vraiment”, “vrai”. Il est voir que… (il est vrai que…) “Pas voir / vrai que….” Dans ce cas, en français moderne, l’orthographe avec e serait la plus logique (voire au sens vieilli de “certainement”). Le Robert donne d’ailleurs comme “vieux ou plaisant” voire “qui marque le doute”.»
Référence
Raymond Bock, Maxime, Morel. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 325 p.
Le 8 juin, le site du Robert accueillait une réflexion de la linguiste Anne Abeillé sur le mot bâtard : étymologie, sens, évolution, etc. Si le mot, dans le français du Québec, a les mêmes emplois qu’ailleurs dans la francophonie, il y a aussi un autre usage : c’est un juron.
Selon une «Analyse de l’utilisation des jurons dans les médias québécois» publiée en septembre 2003 par Influence Communication — étude qui paraît avoir disparu du Web —, celui-là arrivait en 28e position (sur 52) dans la liste «Les jurons les plus populaires» (p. 11).
On l’a déjà vu chez le romancier Jean-François Chassay en 2006 : «J’ai l’impression de ne jamais avoir de bâtard de vocabulaire quand j’ouvre la bouche pis pas une ostie d’idée quand j’ouvre mon cerveau !» (p. 288)
On le croise dans Morel (2021) de Maxime Raymond Bock : «Prendre le métro aujourd’hui est une aventure, mais, bien qu’il trouve que le train roule vite en bâtard, cela lui fait plaisir de raconter à Catherine comment il l’a construit, ce métro qu’elle emprunte tous les jours […]» (p. 304).
On le trouve sous la plume de Michel Tremblay dans Albertine en cinq temps (1984) : «La rue Fabre, les enfants, le reste de la famille… bâtard que chus tannée…» (éd. de 2007, p. 16)
La richesse des jurons québécois ne se dément jamais.