Non merci

Proposition de création d’une circonscription fédérale Maurice-Richard, 2012

 

Selon le journal Métro, la députée du Parti libéral du Québec représentant la circonscription de Crémazie à l’Assemblée nationale, Marie Montpetit, devrait y déposer cette semaine une proposition visant à renommer cette circonscription «en l’honneur de Maurice Richard» — c’est du hockey.

Ce n’est pas la première fois que ce genre de proposition se fait entendre.

En 2012, on avait évoqué la création d’une circonscription Maurice-Richard par le gouvernement fédéral. Cela ne s’est pas fait.

En 2011, puis de nouveau en 2012, en 2013 et en 2014, il a été suggéré, toujours à Montréal, de débaptiser le pont Champlain et de le rebaptiser pont Maurice-Richard, évidemment pour des raisons politiques. Cela ne s’est pas fait.

Il faut espérer que cela ne se fasse pas cette fois-ci non plus. Pourquoi ?

On peut donner au moins quatre raisons.

Il n’est pas besoin de donner une publicité particulière au nom de Maurice Richard. C’est déjà une des personnalités les plus connues du Québec, comme l’a notamment démontré une étude menée par des historiens québécois.

S’il fallait corriger une injustice historique, c’est du côté des femmes qu’il faudrait se tourner, pas du côté des sportifs. Le déficit toponymique à Montréal, voire pour l’ensemble du Québec, il est là.

Octave Crémazie, qui a donné son nom à la circonscription, est un écrivain québécois du XIXe siècle. Qu’a-t-il fait pour subitement devoir céder sa place à un joueur de hockey ? La culture serait-elle moins importante que le sport ?

Enfin, la mémoire de Maurice Richard est déjà très largement honorée au Québec dans l’espace public. La preuve ? En reprise ci-dessous, une partie d’un texte publié en 2013 devrait faire la démonstration que le nom de Maurice Richard n’est pas trop mal traité au Québec.

Disons-le d’un mot : la mémoire de Maurice Richard n’est pas du tout menacée au Québec. Personne ne peut y vivre sans connaître ce nom.

*     *     *

À Montréal, Maurice Richard a droit à son aréna, dans l’Est de Montréal, qui a pendant quelques années hébergé un musée en son honneur. À son parc, voisin de l’endroit où il habitait, rue Péloquin, dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville. À son restaurant, le 9-4-10, au Centre Bell. À son étoile de bronze sur la promenade des Célébrités, rue Sainte-Catherine, à côté de celle de la chanteuse Céline Dion. (Il a aussi sa place sur le Walk of Fame du Madison Square Garden de New York et sur le Canada’s Walk of Fame de Toronto.) À quatre statues : devant l’aréna qui porte son nom, à côté du Centre Bell, au rez-de-chaussée des cinémas AMC-Forum-Pepsi, dans le Complexe commercial Les Ailes. [Une cinquième statue s’est ajoutée en 2014, au Musée Grévin.] À son gymnase, celui de l’école Saint-Étienne.

Il y a un lac Maurice-Richard, dans la région de Lanaudière, au nord-ouest de Saint-Michel-des-Saints. Il y a le lac et la baie du Rocket près de La Tuque. Il y a une rue Maurice-Richard et une place Maurice-Richard, à Vaudreuil-Dorion, en banlieue de Montréal.

Le Canada n’est pas en reste. L’État fédéral a érigé une statue de Maurice Richard devant le Musée canadien des civilisations [devenu le Musée canadien de l’histoire], celui où a été montée en 2004 l’exposition, devenue itinérante depuis, «Une légende, un héritage. “Rocket Richard”. The Legend — The Legacy». Il a émis un timbre à l’effigie du hockeyeur et il lui fait allusion, par Roch Carrier interposé, sur les billets de banque de 5 $. L’Oreille s’est laissé dire que, à Calgary, une «Richard’s Way» (ou serait-ce une «Richard’s Road» ?) l’aurait honoré. Du temps où les affaires allaient moins mal, il y avait une salle Maurice-Richard au siège social de Research in Motion (le Blackberry), à Waterloo; peut-être y est-elle toujours. [Depuis 2012, pour atterrir à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, les pilotes peuvent emprunter un corridor aérien nommé MORIC, pour qui vous savez.]

[Cette énumération n’est évidemment pas exhaustive. Elle reprend et développe des éléments d’un livre d’abord paru en 2006, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle.]

 

[Complément du 20 septembre 2016]

La position d’Antoine Robitaille, un des éditorialistes du Devoir, rejoint celle exposée ci-dessus : «Rebaptiser la circonscription de Crémazie pour adopter l’appellation “Maurice-Richard” est une mauvaise idée» (15 septembre 2016, p. A6).

 

[Complément du 6 mars 2017]

On sait depuis le 2 mars que la circonscription de Crémazie changera bel et bien de nom pour Maurice-Richard. Ni Antoine Robitaille (au Journal de Québec), ni Jean-François Nadeau (au Devoir), ni l’Oreille tendue ne sont d’accord.

 

Référence

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

Autopromotion 253

L’Oreille se sert beaucoup de sa bouche, notamment pour donner des entrevues. Deux ont paru aujourd’hui.

L’une, par Catherine Lévesque, porte sur le français du premier ministre du Canada, Justin Trudeau. Ça se trouve dans le Huffington Post Québec et ça prolonge ceci.

L’autre, par Charles-Éric Blais-Poulin, dans la Presse+, aborde un sujet qui intéresse l’Oreille depuis… plus de vingt ans : que reste-t-il de la lettre à l’ère du numérique ? Réponse brève : beaucoup de choses.

Égal pas égal

Le fédéralisme canadien n’est pas simple. Il existe sans qualification («le fédéralisme») et avec qualification («le fédéralisme quelque chose»).

Avec qualification, cela donne, par exemple :

«Le PC [Parti conservateur] propose son “fédéralisme d’ouverture”» (la Presse, 19 janvier 2006, p. A7).

«Ignatieff répond à ses détracteurs. Le candidat au leadership du PLC [Parti libéral du Canada] propose un “fédéralisme de la reconnaissance et du respect”» (le Devoir, 31 mars 2006, p. A1).

La qualification-serpent-de-mer, qui réapparaît périodiquement, est dite du fédéralisme asymétrique ou du fédéralisme de traviole.

«Le ROC [rest of Canada] appuie le concept de fédéralisme asymétrique de Jean Charest» (le Devoir, 3 septembre 2004).

«Un fédéralisme asymétrique qui respecte les compétences du Québec» (le Devoir, 17 septembre 2004, p. A9).

«Le premier ministre doit agir vite, sinon le malentendu s’accentuera, et le fédéralisme asymétrique prendra le chemin de la société distincte» (la Presse, 25 octobre 2004, p. A18).

«La paradoxale asymétrie. Pour la première fois, le fédéralisme asymétrique fait son apparition dans une conférence fédérale-provinciale» (le Devoir, 18-19 septembre 2004, p. B1).

Ce fédéralisme était dans le journal de ce matin :

«Le gouvernement Trudeau envisage une nouvelle version du “fédéralisme asymétrique” […]» (la Presse+, 14 juin 2016).

Peut-être n’est-il donc pas absolument complètement mort.

Les deux solitudes

Depuis quelques semaines, le Canada a un nouveau premier ministre, Justin Trudeau. Hier, il prononçait son discours du Trône inaugural.

Interrogé par des journalistes anglophones, Jean Chrétien avait ceci à dire à son sujet : «I don’t want to be the mother-in-law» (phrase citée par @HannahThibedeau).

Les francophones n’avaient aucun mal à comprendre l’allusion : l’ancien premier ministre ne voulait pas se comporter comme une belle-mèremother-in-law») envers le nouveau, commenter ses faits et gestes, lui donner des conseils (non sollicités), se mêler de ses affaires. (On a vu cette expression ici et .)

En revanche, certains anglophones semblent s’interroger :

Plutôt que la famille, l’automobile («backseat driver») : à chacun ses métaphores.

Les langues du nouveau premier ministre

Le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, a été élu premier ministre du pays hier soir.

L’Oreille tendue a déjà traité de sa (non-)maîtrise de la langue française.

Ici, lors d’un récent débat télévisé.

, pour évoquer la langue de son père, Pierre Elliott Trudeau.

Les années qui viennent risquent d’être étonnantes sur le plan linguistique.