Réussite titrologique du jour

«Comment casser sans être cassée», titre, la Presse+, 6 août 2023

Dans le français populaire du Québec, qui rompt (une relation amoureuse) casse (avec le ci-devant être aimé).

Qui a peu d’argent est cassé (parfois comme un clou).

Quand on casse, on peut se retrouver cassé(e)(s).

Titre de la Presse+ du 6 août 2023 : «Comment casser sans être cassée.»

Bravo et merci.

Le cirque Lafleur

Deux macarons de Guy Lafleur

Avec son spectacle «Guy ! Guy ! Guy !», actuellement présenté à Trois-Rivières dans une mise en scène de Fernand Rainville, le Cirque du Soleil veut rendre hommage au hockeyeur Guy Lafleur (1951-2022).

L’Oreille tendue étant une fan de Lafleur (voir ici ou ), elle a fait le périple, en compagnie de sources conjugales proches d’elle, pour assister à la représentation du 2 août.

Les spectateurs étaient accueillis par des boutiques de souvenirs, une patinoire pour s’exercer à tirer au but, des numéros de mascottes et de personnages ambulants, des lieux de sustentation divers et une structure à l’image de Lafleur pour s’y faire photographier (réseaux sociaux oblige).

Les voix de René Lecavalier et de Gilles Tremblay résonnaient dans les toilettes.

Dans la salle, avant le spectacle, plusieurs chansons, parfois consacrées au hockey, étaient diffusées (Sylvain Lelièvre, Offenbach, Diane Dufresne, Robert Charlebois, Gilles Valiquette, Émile Bilodeau, Ginette Reno [?], etc.) et des écrans offraient deux types d’informations.

Commerciales. Des annonceurs y vantaient leurs produits et services, y compris le Salon de jeux de Trois-Rivières, dont la publicité contenait une juteuse faute de langue : «envie de prolongez» (au lieu de «prolonger»).

Sportives. Sous l’intitulé «Saviez-vous», des renseignements étaient donnés sur la carrière et la vie du héros de la soirée : son enfance, le nombre de bâtons qu’il utilisait par saison (quatre douzaines), ses exploits, son amour des hélicoptères (non, il n’en possédait pas), etc. Il y avait là au moins une approximation. Les spectateurs devaient «Placer dans l’ordre les joueurs ayant le plus de points pour les Canadiens de Montréal ?» (Le point d’interrogation final était évidemment fautif.) Quatre réponses étaient possibles : Maurice Richard, Jean Béliveau, Henri Richard, Guy Lafleur. La bonne réponse, affiche-t-on, serait : Lafleur, Béliveau, Henri Richard, Maurice Richard. C’est bien sûr faux : Lafleur a bel et bien eu 1246 points, mais pas seulement avec les Canadiens, puisque ce nombre inclut ses résultats avec les Rangers de New York et les Nordiques de Québec. Il faudrait encore ajouter que ces «points» sont uniquement ceux de la saison régulière, pas ceux de séries éliminatoires.

Les premières minutes du spectacle étaient occupées par des conversations d’un clown et de son acolyte musicien avec des membres du public, puis du même clown avec un spectateur (rebaptisé «Guy») appelé à servir de faire-valoir. C’était, semble-t-il, bon enfant. Sur scène, deux escaliers ayant la forme de bâtons de hockey rappelaient la façade de l’ancien Forum de Montréal.

«Guy ! Guy ! Guy !» était constitué de deux trames, souvent sans aucun lien entre les deux.

D’une part, la vie de Lafleur était racontée, y compris ses moments moins glorieux (un accident de voiture sous l’influence de l’alcool), statistiques à l’appui. Un enfant jouait son rôle tout au long de la pièce; c’était décoratif. On soulignait son étonnant rythme cardiaque (moins de quarante battements à la minute au repos). En haut de la scène, on pouvait lire quelques citations, sans véritable intérêt, sur l’homme qu’était Lafleur et sur son influence sur la société québécoise. Des enregistrements sonores et des images d’archives étaient mis à contribution. Un match était bien exploité : le septième de la finale de la conférence Prince-de-Galles de 1979, quand le numéro 10 des Canadiens avait fait tourner en bourrique l’inénarrable Don Cherry.

D’autre part, des numéros de cirque étaient présentés. Certains avaient un rapport avec Lafleur, quand, par exemple, les artistes démontraient leur stupéfiante agilité sur patins (à roues alignées). D’autres, strictement aucun : une contorsionniste, des voltigeurs, des acrobates avec roues et cerceaux ou filet aérien, des équilibristes, un fildefériste.

Le problème principal de «Guy ! Guy ! Guy !» était ce parallélisme. Les amateurs de Lafleur n’avaient pas grand-chose de nouveau à se mettre sous la dent (mais peut-être ne le souhaitaient-ils pas). Les amateurs de cirque se retrouvaient encombrés de souvenirs du hockey.

Musicalement, à côté des bruits traditionnels de ce sport (sifflet, sirène, orgue, thème de la Soirée du hockey) et des extraits de la (pauvre) poésie de Lafleur, les années 1970 et 1980 dominaient : Boule Noire, Gerry Boulet, Diane Dufresne, Robert Charlebois. Parmi les chansons les plus récentes, il y avait «Le but» de Loco Locass. Visuellement, c’était fréquemment très réussi : on était bien au Cirque du Soleil. On a aussi profité de l’occasion pour faire un clin d’œil à la Ligue nationale d’improvisation et à la passion disco. Le spectacle se terminait sur l’élévation du chandail numéro 10.

Tout au long du spectacle, l’Oreille pensait à un de ses anciens collègues. Celui-ci lui avait exposé un jour sa théorie sur certaines vedettes internationales du théâtre québécois : elles étaient incapables, selon lui, de passer de l’image au symbole, de l’habileté à l’art, du savoir-faire au sens.

Conclusion de la soirée : l’Oreille n’est pas faite pour le cirque et ses images.

L’oreille tendue de… Éric Forbes

Éric Forbes, Amqui, 2017, couverture

«La porte d’entrée était entrebâillée. Il approcha son visage et constata que le cadre était fendillé à la hauteur de la serrure. On l’avait forcée. Mauvais signe, se dit-il en tentant de reprendre son souffle. Très mauvais signe. Il posa une main sur la poignée, tendit l’oreille et écouta.»

Éric Forbes, Amqui, Montréal, Héliotrope, coll. «Noir», 2017, 289 p. Édition numérique.

Langue de balle. Troisième manche

Jacques Poulin, Chat sauvage, 1998, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Troisième texte d’une série.)

 

«Une vingtaine de pages plus loin, toutefois, il fut de nouveau question de baseball. Une petite phrase me fit sursauter :

C’était la prise quatre.

J’étais atterré. Comme des millions d’amateurs de sport en Amérique, je savais très bien que le nombre de prises, au baseball, était limité à trois. Je refermai le roman, éteignis la veilleuse et me remis à la fenêtre. Le regard perdu dans la nuit, je me mis à penser aux nombreux traducteurs qui vivaient en France, de l’autre côté de l’Atlantique, et qui traduisaient des romans américains. Ils avaient toute ma sympathie, car je savais à quel point leur métier était difficile, et l’envie me vint de leur écrire une lettre.

Je voulais leur dire qu’il y avait au Québec, depuis peut-être un siècle, un grand nombre de gens qui pratiquaient le baseball et le football américain, et qu’ils le faisaient en français. Un français qui avec les années était devenu élégant et précis, grâce au travail de traduction accompli par les commentateurs sportifs de la radio et de la télé. C’est pourquoi je leur donnais un conseil, à titre de collègue : lorsqu’ils devaient traduire un roman américain contenant des passages sur le baseball ou le football, ils avaient intérêt à consulter un des nombreux Québécois qui vivaient à Paris ou ailleurs en France. Si cette démarche ne leur convenait pas, ils n’avaient qu’à donner un coup de fil à la Délégation du Québec : même la téléphoniste était en mesure de leur indiquer les traductions exactes. Pour ma part, j’étais disposé à réviser leurs textes tout à fait gratuitement, pour être enfin débarrassé des inepties qui encombraient la version française des romans américains.»

Jacques Poulin, Chat sauvage. Roman, Montréal et Arles, Leméac et Actes Sud, 1998, 188 p., p. 115-116.

Langue de balle. Deuxième manche

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion, éd. de 2017, couverture

(En 2013, l’Oreille tendue a proposé ici un «Dictionnaire des séries»; elle en a par la suite tiré un livre, Langue de puck. Abécédaire du hockey. Elle a aussi réfléchi à la langue du football américain, et donc canadien, et vice versa; c’est là. Qu’en est-il du vocabulaire du baseball, de la langue de balle ? Deuxième texte d’une série.)

 

«J’aime le baseball depuis toujours, comme on aime l’idée de courir sur les sentiers, de se tenir debout dans le champ ou de rentrer sain et sauf à la maison. Les expressions françaises qui décrivent le jeu sont franchement belles. Il arrive que les sentiers sont déserts, que le voltigeur fasse une longue course qui l’oblige à reculer, dos à la clôture, qu’il regarde aller la balle du simple fait qu’elle est partie; il arrive que le frappeur frappe une chandelle dans le champ intérieur ou une flèche dans le champ droit, que la défensive soit mystifiée par une balle qui a des yeux, par une balle qui tombe, par une autre qui voyage, que le frappeur fende l’air, s’élance dans le vide, qu’il soit supris par un bâton fracassé, qu’il soit menotté par un lanceur dominant, retiré par un gant doré, avant de sombrer dans une longue léthargie qu’il devra un jour ou l’autre secouer.»

Serge Bouchard, les Yeux tristes de mon camion. Essai, Montréal, Boréal, coll. «Boréal compact», 303, 2017, 212 p., p. 46. Édition originale : 2016.