Nul(s)

Marie-Pierre Gazaille et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, 2009, couverture

Il nous arrive tous, un jour ou l’autre, pour ceci ou pour cela, d’être nul. Nous avons alors besoin d’aide. D’où une série de livres réputés nous dépanner.

L’Oreille tendue, quand elle a voulu se refaire une beauté, a ainsi eu recours, avec profit, à WordPress pour les nuls, de Lisa Sabin-Wilson.

Pour qui se croirait nul en matière de langue française parlée au Québec, il existe désormais un «guide de conversation» qui permet de partir «à la découverte d’une langue attachante», le Parler québécois pour les nuls (2009). Les auteures, Marie-Pierre Gazaille et Marie-Lou Guévin, «sont québécoises et travaillent dans le domaine de la communication et de la rédaction» (4e de couverture). L’Oreille tendue leur a rendu visite.

On fait de véritables découvertes chez elles. Le mot babines (lèvres) «est apparu dans le parler québécois au XVe siècle» (p. 128). Ce n’est pourtant pas le mot le plus ancien : bajoues («Les belles joues rondes d’un enfant»), lui, date, «dans le langage québécois», du XIVe siècle (p. 130). Les médiévistes québécois se réjouiront d’avoir un nouvel objet d’étude.

Les auteures, non contentes de dater les mots et d’indiquer leur sens, n’hésitent pas à en proposer l’étymologie. Selon le Petit Robert (édition numérique de 2007), l’histoire d’itou serait la suivante : «début XVIIe; altération dialectale de l’ancien français et atot, et otot, atot, encore XVIe à tout, atout “avec”». Que nenni, rétorquent les auteures du Parler québécois pour les nuls : «Dérivé de l’anglais me too, qui signifie “moi aussi”» (p. 68). Il est vrai que cette seconde hypothèse est plus simple que la première, inutilement historique.

Datation, définition, étymologie; ajoutons à cela un peu de phonétique empirique. Bomme peur (bumper, pare-chocs), mofleur (muffler, silencieux) et taï-eur de spère (tire de spare, roue de secours) sont jolis (p. 170-171). On se demande cependant, pour s’en tenir aux mots venus de l’anglais, pourquoi on n’a pas jugé utile de donner la prononciation supposée de sizer quelqu’un (juger, jauger, p. 79), de butcher (effectuer un travail de manière négligente, p. 185) ou de muffer (échouer, ne pas réussir, p. 190). Il est bien vrai que «la façon d’exprimer ses émotions au Québec» est souvent «tintée» d’anglicismes (p. 44).

Dans le même ordre d’idées, le lecteur pinailleur pourra se demander pourquoi il faut dire ça ne vaut pas cinq cents (ça ne vaut rien, p. 146), mais être proche de ses cennes (être avare, p. 147) et ne pas avoir une cenne (être pauvre, p. 149). Mystère.

Chacun le sait : la langue est chose subtile. Tout passe parfois par une seule lettre. Barguigner a une lettre de trop dans la francophonie; au Québec, barguiner est plus vif (p. 143) — et mérite son entrée au dictionnaire. Pour qui risquerait de se tromper, on précise que dans la Belle Province on dit faire du ch’val et non faire du cheval (monter à cheval, p. 209); cela évitera bien des confusions. Le lecteur choisira entre schnoutte (p. 80) et chnoutte (p. 146); le livre ne tranche pas.

Certaine distinction est plus subtile encore. Si, en 2001, dans le Village québécois d’aujourd’hui (p. 123), et, en 2004, dans le Dictionnaire québécois instantané (p. 204), le side-line était défini comme un «Revenu périprofessionnel», sans trait d’union, il est devenu, en 2009, dans l’ouvrage de Gazaille et Guévin, un «Revenu péri-professionnel» (p. 191), avec trait d’union.

Le Parler québécois pour les nuls est plein de choses inattendues sur le plan linguistique; ce n’est pas moins vrai sociologiquement. Le projet des auteures est en effet pédagogique : «Grâce à de nombreux encadrés, vous vous familiariserez avec la culture locale» (4e de couverture), son climat, ses routes, ses sports, sa cuisine (poutine et pâté chinois), le nombre de ses bises (deux). Le classement des mots et expressions est «thématique» (à défaut de meilleur terme). Deux exemples instructifs suffiront.

On ne prescrit pas la prononciation de mouver, mais on donne le sens du mot (déménager), en plus de fournir un exemple : «Le mois prochain Louise va mouver avec son chum dans un joli 41/2 de la rue Richard» (p. 162). Il existe donc au Québec des espaces d’habitation appelés «41/2».

Que font les Québécois pendant le temps des sucres, au printemps ? «Comme Pâques est à ce même moment de l’année, [ils] célèbrent souvent cette fête religieuse à la cabane à sucre» (p. 205). Voilà pourquoi Montréal était une ville déserte il y a dix jours. Tout s’explique.

On ne se lasse pas de citer pareil ouvrage. Malheureusement, il faut s’y résigner.

P.-S. — Encore un coup, allez ! On élargira son savoir en étudiant l’étymologie de zigonner (perdre son temps, p. 73), de bobettes (sous-vêtement, p. 131) et de gougounes (sandales légères de plage, p. 136), en contrastant le chien qui jappe et celui qui aboie (p. 210), en découvrant le court-circuit à la balle molle (p. 202) ou en s’interrogeant sur les expressions goaler un projet (effectuer un travail de manière efficace, p. 187) ou faire de la boulechitte (produire un travail de piètre qualité, p. 196).

 

Références

Gazaille, Marie-Pierre et Marie-Lou Guévin, le Parler québécois pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xiv/221 p. Préface de Yannick Resch.

Melançon, Benoît et Pierre Popovic, le Village québécois d’aujourd’hui. Glossaire, Montréal, Fides, 2001, 147 p.

Melançon, Benoît, avec la collaboration de Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Sabin-Wilson, Lisa, WordPress pour les nuls, Paris, Éditions First, 2009, xxi/477 p. Traduction de Stéphane Bontemps et Denis Duplan.

Benoît Melançon, avec la collaboration de Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Science molle

Titre dans le cahier des sports de la Presse du 7 avril 2010 : «Burnett, Posada et la chimie» (p. 4). (C’est du baseball.)

Déclaration dans le même cahier le lendemain : «On a atteint très rapidement une chimie entre les entraîneurs et les dirigeants, que ce soit Bob Gainey, Julien Brisebois ou Pierre Gauthier» (p. 2). (C’est du hockey.)

Baseball et chimie ? Hockey et chimie ? Ne nous emballons pas : les sportifs ne paraissent pas avoir d’inclination particulière pour les sciences dures. Ils font plutôt dans l’autojustification basique : avec untel, ça clique; avec untel, pas.

Il ne s’agit pas tout à fait de science exacte. Les résultats des matchs le rappellent tous les jours : rien n’est plus difficile à «atteindre» qu’«une chimie».

Divergences transatlantiques 004

Un fidèle lecteur de (et à) l’Oreille tendue lui écrit ceci :

Une rosette me torture, qui n’est pas de Lyon mais du Québec. Elle se trouve sur la tête des humains, en ce lieu exact d’où les cheveux semblent commencer leur diffusion et prennent la forme d’une… rosette. Un ami traducteur me dit que le mot n’a pas cette acception en France. Il veut savoir comment les Français disent la chose.

Épi ? Ça s’approche, mais ce n’est pas tout à fait cela :

Par anal. (1835) Mèche de cheveux dont la direction est contraire à celle des autres. Avoir un épi. «cet épi sur la tempe gauche qui s’épanouit en toupet» (P. Guimard) (le Petit Robert, édition numérique de 2007).

Qui dit mieux ?

Illustration : Robert Lestourneau, 1er avril 2008, photo déposée sur Flickr

 

[Complément du 3 août 2022]

Exemple québécoromanesque : «La blessure qui laquait de carmin la rosette à Monti scintillait dans les ténèbres» (la Bête creuse, p. 288).

 

[Complément du 9 août 2022]

Dans son «Abécédaire du cuir chevelu», un centre de santé parisien propose tourbillon :

Zone au sommet du cuir chevelu au centre de laquelle les cheveux poussent dans des directions opposées. Les lignes d’implantation des cheveux sont alors incurvées ou spiralées. Le tourbillon peut tourner dans le sens des aiguilles d’une montre ou dans l’autre sens. Il est possible d’observer un ou 2 tourbillons selon les individus.

Dont acte.

 

Référence

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Le guide alimentaire canadien

Gros travaux ces jours-ci, et pour plusieurs semaines, à la maison. Dans le jardin, ce cratère.

Excavation, en attendant le solarium

L’entrepreneur qui l’a creusé craint les retards de ses sous-traitants. S’ils étaient incapables de respecter leurs engagements, il risque de manger de l’argent, dit-il — autrement dit, de travailler à perte.

Pour équilibrer son alimentation, il y a mieux.

Publicité fusion

Avec Pierre Popovic, nous proposions, dans le Village québécois d’aujourd’hui (2001), puis dans le Dictionnaire québécois instantané (2004), la définition suivante du mot souche : «A longtemps désigné ce que le bûcheron laissait derrière lui. Désigne maintenant le bûcheron lui-même.»

En 2004, nous définissions coupe (sentir la ~) ainsi : «Archaïsme hockeyistique. Rappelle le temps où la flanelle était sainte et les glorieux glorieux.»

Husqvarna fabrique, entre autres choses, des tronçonneuses. Sa plus récente publicité télévisée ? «Ça sent la coupe.»

Où le bûcheron rejoint l’amateur de hockey, autour d’une souche.

P.-S. — Pour les non-autochtones, un mot d’explication n’est peut-être pas inutile : l’équipe de hockey de Montréal s’appelle les Canadiens; on dit également la sainte flanelle et les Glorieux. Il fut un temps où cette équipe remportait plus souvent qu’à son tour la Coupe Stanley. Ce n’est plus le cas, malgré une brève fièvre collective printanière : alors, pour quelque jours, «Ça sent la coupe». L’expression a donné son titre à un roman de Matthieu Simard (2004).

 

Références

Melançon, Benoît et Pierre Popovic, le Village québécois d’aujourd’hui. Glossaire, Montréal, Fides, 2001, 147 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Simard, Matthieu, Ça sent la coupe. Roman, Montréal, Stanké, 2004, 270 p. Rééd. : Montréal, 10/10, 2008, 256 p.

Benoît Melançon, avec la collaboration de Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture