L’oreille tendue de… Simenon

Georges Simenon, Maigret en meublé, couverture

«Tout le monde dormait. Il pensa à Mlle Isabelle qui se retournait dans son lit et dont le corps de blonde devait déjà être tout moite. Les Saft, dans l’autre chambre, étaient couchés dans le même lit. Il avait visité leur chambre. Le lit était si étroit qu’il se demandait comment ils y tenaient tous les deux.

Il s’assit sur son lit à lui. Plus exactement, il se retrouva assis sur son lit sans avoir eu conscience de bouger et, tout de suite, il tendit l’oreille. Il était sûr d’avoir entendu un bruit anormal, probablement un heurt de faïence ou de porcelaine.»

Georges Simenon, Maigret en meublé, dans les Essentiels de Maigret, présentation de Benoît Denis, Paris, Omnibus, coll. «Tout Simenon», 2011, p. 507-617, p. 540. Édition originale : 1951.

L’oreille tendue de… Amélie Nothomb

Amélie Nothomb, Psychopompe, 2023, couverture

«Je me rappelle mon premier réveil en Chine populaire. C’était l’été et j’avais beau tendre l’oreille, quelque chose manquait. Il me fut difficile d’identifier la nature de cette carence. Il s’agissait du chant des oiseaux.»

«Lorsque les températures deviennent par trop négatives, certains oiseaux émettent un chant d’une beauté déchirante. Il n’y a pas d’explication biologique à cette splendeur. La seule que les ornithologues ont donnée est celle-ci : la révélation de la beauté diminue l’angoisse due au froid. En cas de canicule, on peut tendre l’oreille : aucun oiseau ne chante.»

«Je ne tardai pas à élucider une vérité merveilleuse, à savoir que les oiseaux sont des individus. Affirmer que le rouge-gorge chante bien équivaut en sottise à déclarer que l’homme chante bien. En tendant l’oreille, je décelais quel rouge-gorge avait du talent. Ce n’était pas uniquement une question de spécimen. De même que les plus grands chanteurs d’opéra peuvent ne pas être au sommet de leur forme pour mille raisons différentes, un seul rouge-gorge pouvait manquer de talent tel jour ou à telle heure.»

«J’essentiel, c’est l’émetteur. Certains défunts émettent et d’autres pas. J’espère que c’est uniquement fonction de leur désir et non d’autres facteurs moins sympathiques. Je le répète : le silence n’est pas mauvais signe. Nous l’avons tous remarqué, il y a des silences heureux. Certains morts trouvent aussitôt, si j’ose dire, l’équilibre.
À nous de tendre l’oreille, la seule qui fonctionne, celle du désir, pour le cas où le défunt a quelque chose à ajouter. Avec mon père, ce fut clair comme de l’eau de roche. Parfois, ça peut être autrement ambigu. Si un mort détesté tente d’entrer en communication avec vous, raccrochez. On a le droit de refuser. Si l’importun insiste, répétez comme un mantra : “Je n’ai rien à vous dire.” Il finira par se lasser. Ce genre de défunt recourt presque toujours à la culpabilité en guise de levier. Ne tombez pas dans le piège. Vous le détestiez de son vivant, n’imaginez surtout pas que le décès l’ait changé.»

Amélie Nothomb, Psychopompe. Roman, Paris, Albin Michel, 2023. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Benjamin Hoffmann

Benjamin Hoffmann, l’Île de la Sentinelle, 2022, couverture

«Je tombe sur un chemin. Une piste étroite qui serpente dans la jungle, avec, ici et là, des empreintes de pas encore fraîches. Je me souviens de Portman et Pandit qui parlaient de ces lignes de communication dans la forêt, reliant les villages à la côte et les villages entre eux. J’hésite à prendre ce sentier. Parmi les arbres je suis moins visible — mais plus bruyant et moins rapide aussi. Il me reste une heure et demie. J’hésite quand j’entends, si confuse qu’elle retentit peut-être dans mon imagination troublée, une sorte de clameur, lointaine. Immobile, je tends l’oreille et oui, depuis la côte les échos de voix puissantes me parviennent.»

Benjamin Hoffmann, l’Île de la Sentinelle. Roman, Paris, Gallimard, coll. «Blanche», 2022, 376 p., p. 327.

L’oreille tendue de… Éric Forbes

Éric Forbes, Amqui, 2017, couverture

«La porte d’entrée était entrebâillée. Il approcha son visage et constata que le cadre était fendillé à la hauteur de la serrure. On l’avait forcée. Mauvais signe, se dit-il en tentant de reprendre son souffle. Très mauvais signe. Il posa une main sur la poignée, tendit l’oreille et écouta.»

Éric Forbes, Amqui, Montréal, Héliotrope, coll. «Noir», 2017, 289 p. Édition numérique.

L’oreille tendue de… Jean-François Beauchemin

Jean-François Beauchemin, le Roitelet, 2021, couverture

«Avant de naître, j’entendais à distance ma mère chantonner avec ses mains pleines de farine. Je suis presque sûr que c’est pour cette raison que, plus tard, quand je suis né finalement, j’ai continué à tendre l’oreille et tenté si fort de saisir ce que ce Monde étrange où nous passons tous avait à m’apprendre.»

Jean-François Beauchemin, le Roitelet, Montréal, Québec Amérique, coll. «Littérature d’Amérique», 2021, 144 p. Édition numérique.