Portrait de la lectrice en baigneuse (presque) adultère

Frédérique Côté, Filibuste, 2021, couverture

«J’ai pas pensé à Bébé non plus, qui tenait encore la poignée de porte, l’air perdue. J’ai pensé à Luc. Je suis pas conne, les policiers étaient là pour quelqu’un de ma famille, une de mes filles était morte ou mon mari avait eu un accident de moto. Mais c’est Luc qui m’est venu en tête. À cause des deux policiers qui allaient assurément m’annoncer un grand drame, à cause de Bébé, debout près de la porte à tenir la poignée comme si sa vie en dépendait, je pourrais plus consacrer mon temps à m’imaginer partir avec Luc. J’ai voulu prendre un bain en l’absence de mon mari pour lire un livre que Luc m’avait prêté en me comparant au personnage principal. Avez-vous déjà entendu quelque chose de plus sensuel ? J’étais excitée par l’idée de Luc tournant les mêmes pages avec ses mains, peut-être dans son bain à lui, sa femme dans la pièce d’à côté ou partie se tuer en moto elle aussi, pourquoi pas. J’ai été punie pour ce bain-là.»

Frédérique Côté, Filibuste. Roman, Montréal, Le Cheval d’août, 2021, 110 p., p. 25-26.

Les zeugmes du dimanche matin et de Michel Jean

Michel Jean, Kukun, 2019, couverture

«Quand nous avons eu fini de boire le thé, Marie m’a entraînée en me tirant par la manche. Je me suis installée entre elle et Christine devant le caribou. Elles avaient d’abord retiré la peau de l’animal avec du silex et l’avaient suspendue. Ensuite, avec une côte d’orignal et beaucoup de patience, elles avaient gratté jusqu’à ce que la graisse s’imprègne dans les tissus.»

«J’ai planté ma tente dans ce désert. Si je mourais, personne ne le saurait. Si je survivais, c’est que l’Être supérieur en aurait décidé ainsi. Arrivé au bout du chemin et de mes forces, je m’en remettais à lui.»

Michel Jean, Kukum, Montréal, Libre expression, 2019. Édition numérique.

 

(Une définition du zeugme ? Par .)

Claude Provost (1933-1984)

Portrait de Claude Provost

Claude «Jos» Provost a été ailier droit pour les Canadiens de Montréal — c’est du hockey — de 1955 à 1970. Ceux qui se souviennent encore de lui ont à l’esprit l’image d’un joueur appelé à couvrir les meilleurs joueurs de l’équipe adverse, notamment Bobby Hull, dont il était «l’ombre». Aujourd’hui, on dirait peut-être de lui que c’est un «plombier».

Malgré l’oubli relatif dans lequel il est tombé, il a eu une belle carrière : neuf coupes Stanley, dont cinq de suite; première équipe d’étoiles de la Ligue nationale de hockey en 1964-1965; trophée Bill-Masterton en 1967-1968; participation à onze matchs des étoiles de la LNH. Il a côtoyé de très grands joueurs : Maurice Richard, Jean Béliveau, Jacques Plante, Doug Harvey, Henri Richard (dont Provost a été très proche, comme le rappellent Denis Richard et Léandre Normand).

La culture s’est peu souvenue de lui : pas de chanson, aucune bande dessinée, peu de films (Peut-être Maurice Richard, 1971). Les prosateurs ont à peine été moins chiches. Provost fait une apparition dans Arvida, de Samuel Archichald (p. 221). Claude Dionne, en 2012, se souvient, sans le nommer, du joueur qui «se dégantait, comme la bigote avant de plonger le bout de ses doigts dans le bénitier de marbre, et se signait maladroitement avant de poser le patin sur la glace» (p. 36). Chez Marc Robitaille, on apprend qu’il fumait le cigare (p. 26). Il donne son nom au personnage principal de la Surface de jeu (2020).

En fait, Claude Provost n’avait plus qu’un seul vrai fan : l’écrivain, anthropologue, conférencier et homme de radio Serge Bouchard. Dans son plus récent recueil de textes, Un café avec Marie (2021), Bouchard consacre un texte à Provost, «Le chandail numéro 14 des Canadiens de Montréal» (p. 30-32), texte qu’il a d’abord lu à l’émission C’est fou… L’éloge est absolu : «Son visage inoubliable devrait se retrouver en trois dimensions au plafond du centre Bell. C’est lui, le vrai fantôme du Forum, la gueule du sacrifice, la gueule du gagnant» (p. 32). Provost était petit, massif, travaillant, fier — comme Serge Bouchard.

Serge Bouchard vient de mourir. Il va manquer à l’Oreille tendue.

P.-S.—Voir aussi «Claude Provost», dans Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux (2005) :

Le joueur de hockey de ma jeunesse, c’était Claude Provost, le numéro 14 des Canadiens. Il n’était pas grand, il n’était pas gros. Éloge du tocson, du plus large que long, jambes arquées, larges épaules, tête frisée, nez brisé et un cœur gros comme un tour du chapeau. Il n’était même pas beau, mon Claude Provost. Il jouait dans l’ombre des plus grandes légendes. Il boitait plus qu’il ne patinait. C’était pourtant le dieu des cols bleus sur la patinoire du Forum (p. 131).

 

[Complément du 3 janvier 2023]

Ajoutons Martin Sasseville aux fans de Provost. Dans une de ses contributions pour le Meilleur de La vie est une puck, il rend hommage à la fois au joueur de hockey et à Serge Bouchard : «Est-ce que Claude Provost, ancien coéquipier de Jean-Claude Tremblay, ne serait pas plutôt ce plus grand joueur oublié de l’histoire ?» (p. 215)

 

Références

Archibald, Samuel, Arvida. Histoires, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 04, 2011, 314 p. Ill.

Beauchemin-Lachapelle, Hugo, la Surface de jeu. Roman, Montréal, La Mèche, 2020, 276 p.

Bouchard, Serge, Les corneilles ne sont pas les épouses des corbeaux, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2005, 272 p.

Bouchard, Serge, Un café avec Marie, Montréal, Boréal, coll. «Papiers collés», 2021, 270 p.

Dionne, Claude, Sainte Flanelle, gagnez pour nous ! Roman, Montréal, VLB éditeur, 2012, 271 p.

Gravel, Mathieu, Étienne Hallé, Benoit Harbec et Martin Sasseville, le Meilleur de La vie est une puck. Une collection de quelques-uns des meilleurs textes, billets, articles ou niaiseries parus sur le blogue La Vie Est Une Puck depuis sa création en 2009, (s.l.), La vie est une puck, 2022, 284 p. Ill.

Richard, Denis, en collaboration avec Léandre Normand, Henri Richard. La légende aux 11 coupes Stanley, Montréal, Éditions de l’Homme, 2020, 234 p. Ill. Préface de Ronald Corey. Avant-propos de Léandre Normand.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

L’oreille tendue de… David Turgeon

David Turgeon, l’Inexistence, 2021, couverture

«Et où sont mes sœurs ? demandait Mélanie Bluette. Tes sœurs s’apprêtent à te rejoindre, disait la femme. Mais d’abord tu dois recevoir un visiteur. Je n’ai pas entendu la clochette, disait Mélanie Bluette. Mais si, disait la femme, tends l’oreille, et la marionnette et sa montreuse tendirent l’oreille en silence.»

David Turgeon, l’Inexistence. Roman, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 156, 2021, 219 p., p. 87.