Le passé de la langue, son présent

«Ça fera», titre de la Presse+, 26 avril 2019

L’Oreille tendue n’est plus de la première jeunesse. Il lui arrive d’entendre ou de lire des mots et de se dire «Tiens, ça se dit encore».

En 2009, elle s’étonnait de la persistance de poche. La semaine dernière, à la radio, elle s’étonnait plus encore de celle Rhodésien.

Autre exemple récent, tiré de la Presse+, en titre : «Ça fera

Traduction libre : «Ça va bien faire», «Assez, c’est assez».

Il y a bien quelques décennies que l’Oreille n’avait pas entendu l’expression. Cela n’engage qu’elle, bien évidemment.

 

[Complément du 31 décembre 2021]

Exemples livresques :

«j’suis parti / heille / ça fera» (Trouve-toi une vie, p. 36).

«Ben là ça fera OK, je veux que tu respectes mon choix» (Je suis un produit, p. 121).

 

Références

Boudreault, Simon, Je suis un produit, Montréal, Dramaturges éditeurs, 2021, 157 p.

Cloutier, Fabien, Trouve-toi une vie. Chroniques et sautes d’humeur, Montréal, Lux éditeur, 2016, 140 p. Dessins de Samuel Cantin.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte le 29 février 2016.

Romance de puck

Thérèse Loslier, le Hockey et l’amour, s.d., couverture

Marie-Pier Luneau est professeure à l’Université de Sherbrooke. Avec Jean-Philippe Warren (Université Concordia), elle dirige un projet de recherche sur le roman sentimental en fascicules au Québec (formats brefs, sérialité, faibles coûts, production massive). Le 29 mars dernier, à l’Université McGill, ils ont présenté une conférence sur ce thème. C’est alors que l’Oreille tendue a découvert l’existence du fascicule romanesque intitulé le Hockey et l’amour et signé Thérèse Loslier. Elle ne pouvait pas ne pas le lire.

Henri-Paul Lasnier a 17 ans et il brille, à la position de centre, pour le club de hockey de Saint-Eustache. C’est un prodige : «Tu dois avoir découvert ce joueur-là dans la planète UTOPIE […]» (p. 9). Il est recruté par les Canadiens de Montréal de la Ligue nationale de hockey, mais, pour des raisons d’argent, il décide de se joindre à l’équipe de Montréal dans une nouvelle ligue concurrente, la Ligue internationale de hockey. Il déchante vite : on lui demande de tricher pour influencer le résultat des matchs et permettre à des financiers véreux de s’enrichir. Il s’en tirera in extremis.

Le cadre de ce court texte (32 pages) est réaliste. On y croise l’animateur de radio Michel Normandin, l’entraîneur Frank Carlin, l’arbitre Georges Gravel et plusieurs dirigeants des Canadiens (Joseph Cattarinich, Léo Dandurand, Louis Létourneau, Tommy Gorman). Des joueurs réels sont nommés : Georges Vézina, Joe Malone, Sprague Cleghorn. Lasnier est tellement fort sur la glace qu’on dit de lui qu’il est «une combinaison de Didier Pitre et d’Aurèle Joliat» (p. 7, p. 8), voire la réincarnation d’Howie Morenz (p. 9). Il est «le seconde étoile du hockey, la première étant indubitablement l’insurpassable Maurice Richard» (p. 15).

L’amateur de hockey ne sera pas dépaysé en matière de langue. Les gardiens de but sont des «cerbères» (p. 6, p. 28, p. 31), les joueurs habiles savent «tricoter» (p. 6, p. 31), les uns comme les autres patinent sur «le rond» (p. 20) et ils s’échangent, au masculin, le «puck» (p. 31). Les plus doués font des «combinaisons» (p. 9) ou des «finasseries» (p. 31) «scientifiques».

Si ce qui précède est attendu, en revanche, l’importance accordée aux questions d’argent dans le domaine sportif tranche sur la production fictionnelle traditionnelle, s’agissant du hockey. La femme d’Henri-Paul, Marjolaine, lui sert de «gérante» (p. 14) et elle négocie avec les dirigeants des équipes, les bons (Gorman) comme les autres (celui qui s’appelle Rabinovtich sera nécessairement fourbe…). Elle ne se contente pas de peu :

— Il va falloir que tu gagnes beaucoup d’argent, mon amour.
— Hein, mon trésor ?
— Beaucoup d’argent, reprit-elle, parce que je veux vivre comme une princesse, comme ta princesse, mon chéri.
— De l’argent, rêva-t-il, beaucoup d’argent; oh, pourquoi faut-il du vil métal pour alimenter l’amour ?
— L’homme ne vit pas que de sentiment, Henri-Paul; nous sommes faits d’un cœur pour aimer, mais aussi d’un corps qui doit bien manger… (p. 12)

Elle arrivera à ses fins : quand il signera finalement un contrat avec les Canadiens de Montréal, Lasnier touchera un salaire quatre fois plus élevé que celui qu’on lui avait proposé initialement (p. 32).

Sur un plan différent, on notera que l’auteure supposée — qui est donc cette Thérèse Loslier ? — aime citer. Parfois ce sont des chansons, par exemple «Il a gagné ses épaulettes» (p. 5), «Plaisir d’amour ne dure qu’un moment» (p. 5) ou «Dans le bon vieux temps, ça se passait de même» (p. 26-27). Parfois il s’agit de théâtre, en l’occurrence de Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand (acte III, sc. X, citée p. 4).

Retenons enfin de cette lecture une citation : «Soudain déshabillée de son amour, [Marjolaine] se sentait comme nue» (p. 19).

P.-S.—De quand le texte date-t-il ? Hypothèse de Marie-Pier Luneau : «il est possible de déduire que le fascicule est publié après 1950, car il paraît mensuellement (avant, la série était hebdomadaire), et avant 1958 (car il coûte 10 sous et, après 1958, les romans se vendent 12 sous)».

 

Référence

Loslier, Thérèse, le Hockey et l’amour. Roman d’amour mensuel, Montréal, Éditions PJ, numéro 22, s.d., 32 p.

Paris, op. 1

Elle l’a sûrement déjà dit, mais l’Oreille tendue n’en est pas à une répétition près : ce n’est pas en avion que l’être humain est à son meilleur. Il l’est encore moins au moment de monter dans l’avion et d’en descendre. (L’Oreille est, elle aussi, un être humain.)

Lecture de début de voyage (parisien) : Éric Plamondon, Oyana (2019). Appelons cela «Le paradoxe de Plamondon romancier» : quand cet écrivain inventif (voir la trilogie 1984) essaie d’être le plus romanesque possible (de multiplier les péripéties et les rebondissements), ça ne marche vraiment pas du tout. (C’était pire dans Taqawan, il est vrai.)

Scène d’autocar : «Grave», au sens de «Oui», répété trois fois de suite, sur trois tons. Respect. R-e-s-p-e-c-t. R.e.s.p.e.c.t.

Une nouvelle espèce prolifère sur les trottoirs parisiens : la trottinette électrique en libre-service, soit en état de marche — c’est dangereux — soit abandonnée tout partout — c’est dangereux. Certains progrès n’en sont pas. (Martine Sonnet nous avait pourtant prévenus.)

On n’apprécie pas toujours assez le verbe être, en France comme au Québec.

Être ou demeurer ?

(Non, l’Oreille ne s’en est pas pris à la camionnette elle-même, ainsi que l’a brièvement craint @machinaecrire. @ljodoin, lui, s’est inquiété pour le «cheap driver».)

L’Oreille est une créature d’habitude. Mangeant à son habituelle pizzéria, elle ne fut pas peu étonnée du «En vous souhaitant une bonne appétit» de la serveuse. Celle-ci ne paraissait pourtant pas québécoise.

Au Nemours, à côté de la Comédie-Française, on ne sert plus de Pelforth brune. L’Oreille le regrette. C’est une créature d’habitude.

Parisienne, bière brune parisienne

Odeur d’herbe fraîchement coupée, boulevard Pasteur, le 3 avril. L’Oreille dit ça, elle ne dit rien.

Ajout à la rubrique «Divergences transatlantiques». Au Québec, «shot» est, sauf rarissimes exceptions, féminin. Pas là.

Un shot ou une shot ?

Fini d’attendre.

Société Godot & fils, Paris

Au théâtre, mercredi.

Deux spectatrices discutent derrière l’Oreille : «— On est bien placées, mais on ne voit pas les pieds des comédiens. — C’est pas grave. On les devinera.»

Deux rangs devant, il y avait Nicolas Maury — oui, oui, le Hervé d’Appelez mon agent / 10 %.

Sur la scène, la Double Inconstance de Marivaux, au Théâtre 14, dans une mise en scène de Philippe Calvario. Lecture sombre (donc du goût de l’Oreille), acteurs brillants, jeu physique — musique parfois anachronique, presque toujours inutile. Et le jeu de mains de Sylvia (Maud Forget).

Après le spectacle, repas au café, avec Paris-Saint-Germain / FC Nantes — c’est du soccer — sur écrans géants. Les partisans nantais, les sobres comme les moins, n’étaient pas du tout contents d’un pénalty non décerné. Et le jeu de pieds de Mbappé.

Archéologie parisienne.

«Je suis Charlie», Paris, 2019

(à suivre)

 

Références

Plamondon, Éric, 1984. Romans. Trilogie. Hongrie-Hollywood Express. Mayonnaise. Pomme S, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 96, 2016, 600 p. Ill. Éditions originales : 2011, 2012 et 2013.

Plamondon, Éric, Oyana, Meudon, Quidam éditeur, 2019, 145 p.

Plamondon, Éric, Taqawan. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 13, 2017, 215 p.

L’oreille tendue de… William S. Messier

William Messier, Dixie, 2013, couverture

«Il se stationne de reculons vis-à-vis de la grande porte du garage. Il coupe le moteur et s’équipe de gants de travail. Avant de bouger, il tend à nouveau l’oreille pour s’assurer que la voie est libre et sort enfin du camion en demeurant légèrement penché — une hyène dans les Cantons.»

William S. Messier, Dixie. Roman, Montréal, Marchand de feuilles, 2013, 157 p., p. 11-12.

P.-S.—L’Oreille tendue a présenté ce texte en 2014.