Juliette Lalonde (1916-2014)

Juliette Lalonde-Rémillard et Lionel Groulx, 1964
Juliette Lalonde-Rémillard et Lionel Groulx, 1964 (source : Fondation Lionel-Groulx)

Juliette Lalonde est morte le 24 décembre 2014. Elle a été la collaboratrice de l’historien nationaliste québécois Lionel Groulx de 1937 à la mort de celui-ci en 1967. Elle a également été secrétaire de l’Institut d’histoire de l’Amérique française et de la Revue d’histoire de l’Amérique française, secrétaire administrative de la fondation Lionel-Groulx et directrice du Centre de recherche Lionel-Groulx.

C’est par elle, dans un article de 1968, que l’on apprend que Lionel Groulx «se passionnait» pour le hockey et qu’il était présent au Forum de Montréal le 17 mars 1955 (p. 869). Il a donc assisté à ce que la vulgate historique québécoise appelle l’émeute Maurice-Richard.

Avait-il une opinion sur d’autres joueurs des Canadiens de Montréal ?

Et je rapporte ici cette boutade du chanoine qui, assis sur la toute première rangée, a pu voir les joueurs de très près : «Je comprends le “faible” des femmes pour [Jean] Béliveau.» Son joueur préféré cependant restait le petit [Yvan] Cournoyer qui, dans le temps, réchauffait trop le banc à son gré… (p. 869)

L’Oreille tendue en sait, des choses inutiles.

 

Référence

Lalonde-Rémillard, Juliette, «Lionel Groulx intime», l’Action nationale, 57, 10, juin 1968, p. 857-875.

Dix livres

J. Cervon, l’Aiglon d’Ouarzazate, couverture

Dans la Presse+ du jour, le chroniqueur Pierre Foglia demande à ses lecteurs de dresser une liste de lectures : «Dans l’esprit du Bookbucket, sans réfléchir, les dix titres qui vous viennent, là, tout de suite.»

Voici ceux de l’Oreille tendue.

André Malraux, la Condition humaine

Jean Echenoz, Cherokee

Nicholson Baker, The Mezzanine

Philip Roth, The Great American Novel

Jean-François Vilar, Bastille Tango

J. Cervon, l’Aiglon d’Ouarzazate

Victor-Lévy Beaulieu, Monsieur Melville

Laclos, les Liaisons dangereuses

Mordecai Richler, Barney’s Version

Jacques Dubois, Pour Albertine

Je me souviens…

…que mon grand-père disait slices pour sandwichs. (Et pourtant je parle encore français.)

…que la fille d’une de mes amies parisiennes a maîtrisé le subjonctif avant d’être propre. (Et cette amie racontait cela non sans fierté.)

…que mon professeur de latin, au secondaire, nous a plusieurs fois expliqué le cas de bedon (comme dans oubedon : ou bien).

…qu’une jeune Française déplorait devant moi la faiblesse du français québécois, dans une phrase où elle utilisait lequel que.

…qu’un Américain, débarqué en France pour y parfaire son français, est entré dans un restaurant, qu’il a demandé du bacon en prononçant le mot à la française (bakon et pas békeune) et qu’on a ri de lui. (Et il n’a pas mangé pendant deux jours.)

…que j’ai longtemps prononcé Salaberry à l’anglaise. (Et qu’un de mes potes parlait des Éditions Albinne Mitchel.)

…qu’à Bangkok j’ai découvert ce qu’était véritablement le dépaysement linguistique. (Je ne comprenais rien du tout.)

…qu’il m’est déjà arrivé d’utiliser, en exposé universitaire, ça l’a. (Je n’ai plus recommencé.)

Raconter le Rocket

Maurice Richard et Jim Henry, 8 avril 1952

«That beautiful bastard scored semi conscious»
(Elmer Ferguson).

8 avril 1952. En troisième période, durant les séries éliminatoires, au Forum de Montréal, Maurice «Le Rocket» Richard, le célèbre ailier droit des Canadiens de Montréal — c’est du hockey —, marque un but, qui deviendra le but gagnant du match et de la série, contre Jim «Sugar» Henry, des Bruins de Boston, après avoir été sérieusement blessé auparavant dans le match, au point de perdre conscience. Pour Jack Todd, en 1996, il s’agit du «greatest [goal] in the history of the game»; pour Roch Carrier, en 2000, du «plus beau [but] de l’histoire du monde». Rien de moins. Depuis, on voit partout une photo prise après le match d’un Richard ensanglanté serrant la main du gardien des Bruins, qui s’incline devant lui.

Ce but est devenu légendaire.

Histoires d’hiver (1998) est un long métrage de fiction scénarisé par Marc Robitaille, l’auteur de Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey (1987), et réalisé par François Bouvier. Le héros du film, Martin Roy, a douze ans en 1966-1967. Le film raconte ses souvenirs d’enfance : vie scolaire, relation agitée avec ses parents, transformation de la campagne en banlieue, apparition de la contre-culture, émois amoureux, amour du sport (du hockey). On apprend à la fin qu’il est devenu adulte : son père est mort depuis quinze ans, sa mère, la veille.

Martin assouvit sa passion du hockey avec le frère aîné de son père, Maurice. Celui-ci aime le hockey et Maurice Richard. C’est souligné dans deux scènes. Les deux sont nocturnes. Dans la première, Martin s’apprête à se mettre au lit, quand Maurice lui offre une radio miniature en forme de fusée (rocket), achetée en Floride, pour qu’il suive les matchs dans sa chambre. L’enfant dit à son oncle : «Heye, mononc’, raconte-moi l’histoire du Rocket.» L’oncle Maurice racontera ce qui s’est passé au Forum de Montréal le 8 avril 1952. L’histoire de l’oncle est interrompue ce soir-là, puis reprise quand Maurice, victime d’un «infractus», se retrouve à l’hôpital. Le filleul («le kid») est étendu sur le lit de son oncle, qui continue à lui décrire «un des plus beaux jeux qui s’est jamais vu dans l’histoire des séries de la coupe Stanley». Martin et Maurice ne partagent pas qu’un moment d’intimité; ils prolongent une conversation qu’ils ont eue plusieurs fois, puisque Martin complète avec facilité le récit de son oncle. C’est la preuve qu’il l’a déjà entendu, qu’il l’a appris par cœur et qu’il ne s’en lasse pas. (Sur le plan événementiel, l’oncle Maurice se trompe partiellement dans son récit : le match se terminera 3 à 1, et non 2 à 1, comme il le croit.)

Maurice Richard est un héritage qu’on se transmet dans les familles québécoises.

P.-S. — L’Oreille tendue a consacré tout un livre au numéro 9 des Canadiens, les Yeux de Maurice Richard (2006).

Les Yeux de Maurice Richard, édition de 2012, couverture

 

Références

Carrier, Roch, le Rocket, Montréal, Stanké, 2000, 271 p. Réédition : le Rocket. Biographie, Montréal, Éditions internationales Alain Stanké, coll. «10/10», 2009, 425 p. Version anglaise : Our Life with the Rocket. The Maurice Richard Story, Toronto, Penguin / Viking, 2001, viii/304 p. Traduction de Sheila Fischman.

Histoires d’hiver / Winter Stories, film de fiction de 105 minutes, 1998. Réalisation : François Bouvier. Production : Aska Film.

Melançon, Benoît, les Yeux de Maurice Richard. Une histoire culturelle, Montréal, Fides, 2006, 279 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Nouvelle édition, revue et augmentée : Montréal, Fides, 2008, 312 p. 18 illustrations en couleurs; 24 illustrations en noir et blanc. Préface d’Antoine Del Busso. Traduction : The Rocket. A Cultural History of Maurice Richard, Vancouver, Toronto et Berkeley, Greystone Books, D&M Publishers Inc., 2009, 304 p. 26 illustrations en couleurs; 27 illustrations en noir et blanc. Traduction de Fred A. Reed. Préface de Roy MacGregor. Postface de Jean Béliveau. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2012, 312 p. 42 illustrations en noir et blanc. Préface de Guylaine Girard.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver, avec des rues, des écoles et du hockey. Récit, Montréal, VLB éditeur, 1987, 142 p. Ill. Nouvelle édition : Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hockey. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Todd, Jack, «The Lion in Winter», The Gazette, 9 mars 1996, p. C1 et C6.

Histoires d’hiver / Winter Stories, film de fiction de 105 minutes, 1998

Longue citation pédagogique du jour

En 1971, le réalisateur Jacques Godbout tourne, pour l’Office national du film du Canada, le long métrage IXE-13. Description tirée du site de l’ONF, où l’on peut commander le film :

Comédie musicale mettant en vedette les quatre membres du collectif humoristique, Les Cyniques. André Dubois tient le rôle titre de IXE-13, «l’as des espions canadiens». Il est entouré de Marc Laurendeau, Serge Grenier et Marcel Saint-Germain. Un film tout en musique, une joyeuse parodie des aventures du personnage légendaire issu d’un populaire roman-feuilleton des années 1950 signé Pierre Saurel.

Une des chansons du film, «La chanson très vulgaire», est était visible sur YouTube. Elle peut être utile à qui veut se familiariser avec les jurons québécois et leur prononciation. On y trouve ostie, tabarnak, câlisse, cibouère, criss, sacrament, calvaire.

Pour l’entendre :

Pour la lire (l’Oreille tendue s’est essayée à sa transcription) :

Fais pas d’grimace
Ça porte malheur
Grouille ta carcasse
C’est pas ta sœur
Si je t’embrasse
Toi tu m’écœures
Tu me fracasses
Mon doux seigneur
T’es une lavasse
Un amateur
Je te terrasse
Maudit faiseur
T’as les oreilles comme un chou-fleur
Prends ta bouteille vieil enfant d’chœur
Mon ostie d’tabarnak
Tu vas manger ma main dans face
M’as t’en fourrer une claque
M’as t’casser les deux échasses
Mon câlisse de baveux
Y a pus personne pour me r’tenir
Mas t’moucher mon morveux
Tu vas crier pis dire martyre
Ostie
Ostie
Ostie
Ostie
Cibouère
J’te mords les couilles
Lève ton nombril
Ostie d’citrouille
Criss de fifi
T’as pas connu
Yvon Robert
Là t’aurais eu un adversaire
I a Gorgeous George
I était cochon
Ça ça t’égorge un cornichon
Larry Moquin i lâchait pas
L’huile de ricin
Mouman poupa
Mon ostie d’tabarnak
Tu vas manger ma main dans face
M’as t’en fourrer une claque
M’as t’casser les deux échasses
Mon câlisse de baveux
Y a pus personne pour me r’tenir
Mas t’moucher mon morveux
Tu vas crier pis dire martyre
Ostie
Ostie
Ostie
Enwèye accouche
Mont’ qu’t’es un homme
[Inaudible] une fausse couche
Pis chique d’la gomme
Tu [Inaudible]
J’te casse les dents
J’te décapite
Mon sacrament
Pis fait pas d’bluff
Avec bibi
Nous on joue tough
T’as pas fini
Mas t’faire manger d’la marde en tas
M’en vas t’crever sur le matelas
Mon ostie d’tabarnak
Tu vas manger ma main dans face
M’as t’en fourrer une claque
M’as t’casser les deux échasses
Mon câlisse de baveux
Y a pus personne pour me r’tenir
Mas t’moucher mon morveux
Tu vas crier pis dire martyre
Ostie
Ostie
Ostie
Ostie
Cibouère
Ostie
Tabarnak
Ostie
Ostie
Calvaire
[Etc.]

 

[Complément du 29 juin 2018]

Commentaire de spectateurs, rapporté par Jacques Godbout dans un livre de souvenirs, De l’avantage d’être né (2018) : «les enfants adorent, surtout la chanson “très vulgaire”, qui contient son lot de sacres et qu’ils apprennent par cœur». Il est vrai que les enfants sont comme ça.

 

Référence

Godbout, Jacques, De l’avantage d’être né, Montréal, Boréal, 2018, 288 p. Édition numérique.