Maintenant

Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, Séraphin illustré, 2010, p. 101

Ses graphies sont multiples et son usage courant au Québec. Justin Laramée, dans le collectif la Fête sauvage (2015), intitule un texte «Astheure» : «Astheure toujours / Nous dirons toujours Astheure / Et nous porterons le maintenant mains tenantes» (p. 30). Le poète François Hébert écrit «à c’tte heure» (p. 93), dans Toute l’œuvre incomplète (2010), mais pas seulement : «astheure, nous aimons ce mot» (p. 89); «Derechef, comme astheure, est un étourdissant adverbe» (p. 97). Le Dictionnaire de la langue québécoise de Léandre Bergeron a une entrée à «Astheure» et une à «Asthure» (1980, p. 51). C’est la première graphie qu’a retenue Jean-Claude Germain dans sa pièce Un pays dont la devise est je m’oublie, quand Louis Cyr s’adresse au hockeyeur Maurice Richard : «T’es Mau-ri-ce Ri-chard !… Ç’avait jamais été… pis ça sra jamais !… Çé !… Pis çé là astheure pour tout ltemps !» (1976, p. 136) Le dictionnaire en ligne Usito donne «astheure», «asteure» et «à c’t’heure».

L’expression n’est pas propre au français du Québec. Philippe Didion, dans ses Notules du 18 octobre 2015, emploie «asteure». Dès 1922, Joseph Dumais notait qu’elle existe en patois angevin («ast’ heure», p. 27). Le Belge Simenon, dans la Veuve Couderc (1942), écrit «à cette heure» (éd. de 2003, p. 1055).

Elle est ancienne, enfin. Elle est dans les Essais de Montaigne (III, 9), selon Mireille Huchon en 2002 («asture», p. 16). Jacques Chaurand, dans l’édition de 1987 de son Histoire de la langue française, la trouve en moyen français («asteure», p. 64).

Son sens ? Maintenant : Astheure, les choses sont peut-être un peu plus claires. Dans certaines constructions, le mot peut marquer l’exaspération : Qu’est-ce qu’y a astheure ? Son synonyme serait alors encore. Il peut former une conjonction de subordination : Astheure que ce texte est écrit, passons à autre chose.

P.-S. — Aux toutes premières lignes du roman Bonheur d’occasion (1945) de Gabrielle Roy, on lit : «À cette heure, Florentine s’était prise à guetter la venue du jeune homme qui, la veille, entre tant de propos railleurs, lui avait laissé entendre qu’il la trouvait jolie» (éd. de 1978, p. 11). Pierre Popovic a étudié cette tournure en 1999.

 

[Complément du 25 février 2016]

Trois réactions, sur Twitter, à ce texte.

@kwebek écrit que le mot est «Bien attesté aussi dans le Glossaire du parler français au Canada, qui en rappelle l’usage dans certaines régions de France». Ce Glossaire date de 1930.

@MichelFrancard signale l’existence d’asteûre en wallon.

@MFBernier rappelle qu’une chanson de Jean-Pierre Ferland s’intitule «À c’t’heure».

Puisqu’il est question de chanson, signalons celles-ci, qui toutes utilisent le mot astheure :

Oswald, «Les sports», 1960

Pierre Bertrand, «Hockey», 1978

Francine Raymond, «Tu peux t’en aller», 1993

Les Mecs comiques, «Le hockey est malade», 2001

Les Cowboys fringants, «Salut mon Ron», 2002

Oui, bien sûr, il s’agit uniquement de chansons qui portent sur le hockey, en tout ou en partie.

 

[Complément du 6 avril 2016]

Les Éditions du Boréal publient ces jours-ci des textes en français de Jack Kerouac sous le titre La vie est d’hommage. Leur éditeur, Jean-Christophe Cloutier, était interviewé dans le Devoir des 2 et 3 avril (p. F1-F2). Extrait :

Ayant étudié les révisions que Kerouac a faites dans ses manuscrits, le chercheur a pu constater son souci de corriger ses textes en supprimant certains anglicismes pour y insérer le bon mot en français. «Par exemple, il raye “la shoppe” et le remplace par “l’imprimerie”. Il peut choisir d’écrire “À cette heure” à un moment donné, et ensuite choisir une écriture phonétique changeante : “a s t heur”, “a s’t’heure” ou “astheure”» (p. F2).

 

[Complément du 11 juillet 2017]

Graphie d’Ancien Régime, chez Françoise de Graffigny, dans sa pièce Ziman et Zenise (1749, scène IX) : «à ste heure» (Théâtre de femmes de l’Ancien Régime, p. 300). [L’édition de 1775 donne «à stheure», p. 35.]

 

[Complément du 21 avril 2018]

En 1901, dans le troisième chapitre de la Langue française au Canada, Jules-Paul Tardivel écrit «à stheure» (cité ici).

 

[Complément du 13 février 2019]

Le linguiste Mathieu Avanzi, sur Twitter, publie la carte suivante, «Aire et vitalité du mot “asteur” d’après les enquêtes Français de nos Régions». Où l’on voit que le mot existe en français de référence.

Mathieu Avanzi, «Aire et vitalité du mot “asteur” d’après les enquêtes Français de nos Régions», 2019

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français considérait «À c’t’heure», mis pour «Maintenant», comme une «locution vicieuse» (p. 13).

 

Illustration : Albert Chartier, dans Claude-Henri Grignon et Albert Chartier, Séraphin illustré, préface de Pierre Grignon, dossier de Michel Viau, Montréal, Les 400 coups, 2010, 263 p., p. 101.

 

Références

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Côté, Véronique et un collectif d’auteurs, la Fête sauvage, Montréal, Atelier 10, coll. «Pièces», 06, 2015, 125 p. Ill.

Chaurand, Jacques, Histoire de la langue française, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Que sais-je ?», 167, 1987 (cinquième édition corrigée), 127 p.

Dumais, Joseph, le Parler de chez nous. Conférence donnée à l’Hôtel de ville de Québec, sous le patronage de la Société des arts, sciences et lettres, par M. Joseph Dumais. Professeur de diction française, directeur du Conservatoire de Québec, membre de la Société des auteurs canadiens et de la Société des arts, sciences et lettres, Québec, Chez l’auteur, 1922, ii/41 p. Préface d’Alphonse Désilets.

Evain, Aurore, Perry Gethner et Henriette Goldwyn (édit.), Théâtre de femmes de l’Ancien Régime. Tome IV. XVIIIe siècle, Paris, Classiques Garnier, coll. «Bibliothèque du XVIIe siècle», 24, série «Théâtre», 5, 2015, 489 p.

Germain, Jean-Claude, Un pays dont la devise est je m’oublie. Théâtre, Montréal, VLB éditeur, 1976, 138 p.

Graffigny, Françoise de, Ziman et Zenise, suivi de Phaza, comédies en un acte en prose par madame de Grafigny, À Amsterdam, et se trouve à Paris, chez Segaud, Libraire, rue des Cordeliers, 1775, x/107 p.

Hébert, François, Toute l’œuvre incomplète, Montréal, l’Hexagone, coll. «Écritures», 2010, 154 p.

Huchon, Mireille, Histoire de la langue française, Paris, le Livre de poche, coll. «Références. Inédit. Littérature», 542, 2002, 315 p. Ill.

Popovic, Pierre, «Le différend des cultures et des savoirs dans l’incipit de Bonheur d’occasion», dans Marie-Andrée Beaudet (édit.), Bonheur d’occasion au pluriel. Lectures et approches critiques, Québec, Nota bene, coll. «Séminaires», 10, 1999, p. 15-61.

Roy, Gabrielle, Bonheur d’occasion, Montréal, Stanké, coll. «10/10», 1978, 396 p. Édition originale : 1945.

Simenon, la Veuve Couderc, dans Romans. I, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 495, 2003, 1043-1169 et 1458-1471. Édition établie par Jacques Dubois, avec Benoît Denis. Édition  originale : 1942.

Société du parler français au Canada, Glossaire du parler français au Canada : contenant les mots et locutions en usage dans le parler de la Province de Québec et qui ne sont pas admis dans le français d’école, la définition de leurs différents sens, avec des exemples; des notes sur leur provenance, la prononciation figurée des mots étudiés, Québec, Action sociale, 1930, xix/709 p. Réimpression : Québec, Presses de l’Université Laval, 1968.

Marivaudage du samedi matin

Portrait de Marivaux, 1743

Sur une île déserte, s’il ne fallait prendre qu’un seul dramaturge du XVIIIe siècle, ce serait évidemment Marivaux. Au Siècle des lumières, personne ne lui arrive à la cheville.

Lui, pourtant si grand, est ramené aujourd’hui, au Québec, à une seule formule (à un seul titre) :

«Le jeu de l’épargne et du hasard» (la Presse, 6 juin 2015, cahier «Affaires», p. 6);

«Le jeu de l’humour et du hasard» (la Presse+, 10 octobre 2015);

«Je connaissais son penchant [celui de Denise Bombardier] pour les jeux de l’amour et du hasard, un pied dans l’eau bénite, l’autre dans le Cream Soda de son enfance» (le Devoir, 30 octobre 2015, p. B10).

Pauvre Marivaux.

 

[Complément du 26 mars 2016]

Livraison du jour :

Madeleine Ouellette-Michalska, Jeux de hasard et de désir, Montréal, XYZ éditeur, coll. «Romanichels», 2015, 224 p.

«Jeux de l’amour et de la férocité», le Devoir, 26-27 mars 2016, p. E9.

 

[Complément du 20 juin 2019]

Encore une fois, réjouissons-nous, en quelque sorte, de la fortune de Marivaux, qui n’est pas que québécoise.

«Les jeux de hasard et d’argent», site Fabula, 2016.

«L’économie du jeu et du hasard», France Culture, 2017.

«Le jeu de l’amour et du hasard», le Devoir, 1er-2 décembre 2018.

Marie-France Bru et Bernard Bru, les Jeux de l’infini et du hasard, 2019.

Laurent Pujo-Menjouet, le Jeu de l’amour sans le hasard. Mathématiques du couple, 2019.

 

[Complément du 31 mai 2021]

Triplé du jour :

«Dépendance aux jeux de hasard et d’argent» (le Devoir, publireportage, 2-3 novembre 2019, p. A6).

«Loteries royales, les jeux de l’État et du hasard», France Culture, 14 décembre 2020.

«2Fik. Le jeu de l’amour et des avatars» (la Presse+, 31 mai 2021).

Bernard Maris (1946-2015)

«Je suis Charlie», Nasdaq, New York, janvier 2015

4 janvier 2015

Un collègue de l’Oreille tendue, Frédéric Bouchard, donne une entrevue à l’émission radiophonique les Années lumière de Radio-Canada (on peut l’entendre ici, à partir de la 59e minute). Il dit à Yannick Villedieu s’intéresser au statut des experts dans les sciences.

6 janvier 2015

Écoutant l’entrevue, l’Oreille signale à son collègue un texte qu’elle a publié en 2002 où elle aborde brièvement cette question. Elle y cite la Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles de Bernard Maris (1999). Pour celui-ci, les experts sont des «marchands de salades».

8 janvier 2015

Lisant la Vie habitable de Véronique Côté (2014), l’Oreille tombe sur cette citation de Capitalisme et pulsion de mort de Gilles Dostaler et Bernard Maris (2010) : «La technique appelle l’utilité, et l’utilité la laideur. […] La beauté ne fait pas partie du plan capitaliste. À l’inutile et à la beauté, il n’est pas nécessaire de donner d’explication, c’est pourquoi la technique et la loi rationnelle les ignorent» (cité p. 20).

7 janvier 2015

Bernard Maris fait partie des collaborateurs de Charlie hebdo assassinés en réunion de rédaction. Il reste la lecture de ses textes.

 

Références

Côté, Véronique, la Vie habitable. Poésie en tant que combustible et désobéissances nécessaires, Montréal, Atelier 10, coll. «Documents», 06, 2014, 94 p. Ill.

Dostaler, Gilles et Bernard Maris, Capitalisme et pulsion de mort, Paris, Fayard, coll. «Pluriel», 2010 (édition révisée), 168 p.

Maris, Bernard, Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles, Paris, Albin Michel, coll. «Lettre ouverte», 1999, 190 p.

Melançon, Benoît, «Notice sur la précarité romanesque ou ANPE, ASSEDIC, CDD, CV, DDASS, HLM, IPSO, RATP, RMI, SDF, SMIC et autres TUC», dans Pascal Brissette, Paul Choinière, Guillaume Pinson et Maxime Prévost (édit.), Écritures hors-foyer. Actes du Ve Colloque des jeunes chercheurs en sociocritique et en analyse du discours et du colloque «Écritures hors-foyer : comment penser la littérature actuelle ?». 25 et 26 octobre 2001, Université de Montréal, Montréal, Université McGill, Chaire James McGill de langue et littérature françaises, coll. «Discours social / Social Discourse», nouvelle série / New Series, 7, 2002, p. 135-158. https://doi.org/1866/13815

Prête-moi ta plume

L’histoire est banale. L’un est laid, mais sa parole est d’or. L’autre est beau, mais les mots lui font défaut. Cela donne Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand : Cyrano y prête sa plume à Christian, pour le cœur de Roxane.

La pièce est de 1897; la situation, d’aujourd’hui. Trois exemples.

Que font les adolescents français qui veulent séduire par texto, mais qui ont peur de pas suffisamment bien s’exprimer ? Ils demandent à un tiers d’écrire à leur place. C’est l’«effet Cyrano». (Élisabeth Clément-Schneider rapporte le cas en 2013.)

Vous cherchez l’âme sœur, mais vous craignez de ne pas être à votre avantage par écrit ? Vous pouvez faire appel à Guillaume Dumas, «cet “aspirant Cyrano” du web». Sur le site datective.ca, contre rétribution, il vous offre ses services d’«assistance à la séduction». (C’est la Presse+ du 1er janvier 2015 qui le dit.)

Comment utiliser la technologie actuelle dans la célèbre scène du balcon (acte III, sc. X), celle où le personnage éponyme, profitant de l’obscurité, se fait passer pour son rival et obtient pour lui un baiser de celle qu’il(s) aime(nt) ? Au Théâtre de l’Odéon, à Paris, en 2014, Dominique Pitoiset propose une conversation Skype qui réunit les personnages : Cyrano peut alors «avec vraisemblance prendre la place de Christian en éteignant sa caméra vidéo». (Cette mise en scène est décrite par Pierre Antoine Lafon Simard dans le plus récent numéro de Jeu. Revue de théâtre, dans le dossier «Réseaux sociaux».)

Tout est affaire de technique. Et rien ne l’est.

 

[Complément du 9 février 2015]

Dans une entrevue au quotidien la Presse+ («Unir comme Cyrano de Bergerac»), Guillaume Dumas persiste et signe : «Il y a quelque chose d’intéressant d’être le séducteur secret, la plume de quelqu’un.»

 

[Complément du 16 août 2022]

L’«effet Cyrano» existe aussi en musique. Selon la notice nécrologique que lui consacre le Washington Post, Lamont Dozier, encore adolescent, vendait les paroles de ses chansons pour qu’elles soient transformées en lettres : «He began writing songs while still a teen, turning some lyrics into love letters he sold to friends, Cyrano de Bergerac-style, for 50 cents

 

Références

Clément-Schneider, Élisabeth, «Économie scripturale des adolescents : enquête sur les usages de l’écrit de lycéens», Caen, Université de Caen, thèse de doctorat, octobre 2013, 503 p. http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00911228

Lafon Simard, Pierre Antoine, «Une lointaine proximité, oxymore de l’intime», Jeu. Revue de théâtre, 153, 2014, p. 41-45. Le passage cité se trouve p. 43. https://id.erudit.org/iderudit/73028ac

Rostand, Edmond, Cyrano de Bergerac. Comédie héroïque en cinq actes, Paris, L’école des loisirs, coll. «Classiques», 2007, 374 p. Ill. Présentation et commentaires de Dominique Guerrini. Illustrations de Philippe Dumas.

Vingt-huitième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

La Femme vertueuse, éd. de 2012, couverture

Anaphore

Définition

«Répétition d’un mot en tête de plusieurs membres de phrase, pour obtenir un effet de renforcement ou de symétrie» (le Petit Robert, édition numérique de 2014).

Exemple

«Va, monstre d’ingratitude, serpent d’airain, cœur de bronze, âme plus dure que les cailloux, je te lègue, en mourant, tous les maux que tu m’as faits. Puisses-tu, embrasée de tous les feux de l’amour, brûler à ton tour pour un objet insensible ! Puisses-tu payer au centuple toutes les indignités que tu m’as fait souffrir ! Puisse le ver rongeur s’attacher à toi et déchirer tes entrailles jusqu’au dernier lambeau ! Puisse le regret amer de m’avoir forcé à l’action que je vais faire, malgré moi, empoisonner le reste de tes jours ! Puisse mon ombre plaintive te poursuivre sans cesse, et te faire frissonner de crainte et d’effroi au sein même des plaisirs que tu goûteras ! Puisses-tu être en proie à toutes les horreurs de l’opprobre et de l’indigence, périr misérablement et souffrir auparavant tous les tourments de l’Enfer ! Puisses-tu… — Que vais-je dire, malheureux ? Pardonnez, Madame, mon affreux égarement» (la Femme vertueuse, lettre XVI, p. 111).

Renvois

Après le livre de François Bon

Symploque

 

[Complément du 30 novembre 2015]

François Hollande aime l’anaphore.

Candidat en 2012, lors d’un débat télévisé avec le président de la République sortant, Nicolas Sarkozy, il a ponctué un passage de son intervention de «Moi président».

Élu, il est appelé, dans un discours reproduit dans le Devoir des 28-29 novembre 2015, à rendre hommage aux victimes des attentats terroristes du 13 novembre :

Aujourd’hui, la nation tout entière, ses forces vives, pleurent les victimes. Cent trente noms, cent trente vies arrachées, cent trente destins fauchés, cent trente rires que l’on n’entendra plus, cent trente voix qui à jamais se sont tues. Ces femmes, ces hommes, incarnaient le bonheur de vivre. C’est parce qu’ils étaient la vie qu’ils ont été tués. C’est parce qu’ils étaient la France qu’ils ont été abattus. C’est parce qu’ils étaient la liberté qu’ils ont été massacrés (p. B5).

 

[Complément du 11 octobre 2016]

Tweet à méditer :

 

[Complément du 12 octobre 2016]

Après François Hollande, c’est au tour de son premier ministre, et plus d’une fois, de pratiquer l’anaphore. Ainsi que le montre une vidéo du quotidien Libération, chez Manuel Valls, il y a en effet «des anaphores à toutes les sauces». (Merci à @mhvoyer.)

 

[Complément du 27 décembre 2018]

Comme de toute bonne chose, il ne faut pas abuser de l’anaphore, rappelle Jo Nesbø dans Macbeth (2018) :

«Dans une démocratie, commença-t-il, il existe des règles du jeu qui font que nous avons dû libérer un certain nombre de Norse Riders en garde à vue. Nous avons suivi ces règles.» Il fit un signe de tête comme un amen à sa propre déclaration. «Dans une démocratie, il existe des règles qui font que la police peut et doit arrêter les suspects quand elle dispose de nouvelles preuves dans une affaire. Nous avons suivi ces règles.» Nouveau signe de tête. «Dans une démocratie, il existe des règles indiquant comment la police doit réagir si des suspects s’opposent à leur arrestation, et, comme dans le cas présent, tirent sur la police. Et nous avons suivi ces règles.» Il aurait pu continuer, bien sûr, mais il étaient tombés d’accord pour dire que trois «Nous avons suivi ces règles» suffiraient.

Le narrateur aurait pu préciser : «trois “Dans une démocratie, il existe des règles” et trois “Nous avons suivi ces règles”».

 

[Complément du 10 novembre 2020]

Diderot, au milieu du XVIIIe siècle, a proposé la création d’un nouveau genre théâtral; on l’appelle aujourd’hui drame bourgeois. Il lui demande d’être naturel.

Ouvrons le Père de famille, sa pièce de 1758 :

Je n’ordonnerai point; je prierai. Je dirai : Germeuil, si j’ai pris de toi quelque soin; si, depuis tes plus jeunes ans, je t’ai marqué de la tendresse, et si tu t’en souviens; si je ne t’ai point distingué de mon fils; si j’ai honoré en toi la mémoire d’un ami qui m’est et me sera toujours présent… Je t’afflige; pardonne, c’est la première fois de ma vie, et ce sera la dernière… Si je n’ai rien épargné pour te sauver de l’infortune et remplacer un père à ton égard; si je t’ai chéri; si je t’ai gardé chez moi malgré le Commandeur à qui tu déplais; si je t’ouvre aujourd’hui mon cœur, reconnais mes bienfaits, et réponds à ma confiance (acte I, sc. V, éd. Truchet 1974, p. 67).

C’est à croire que l’anaphore était naturelle durant le Siècle des lumières.

 

[Complément du 19 février 2024]

Hervé Le Tellier, dans Mon dîner avec Winston (2023) : «Comment ça s’appelle, déjà, quand on répète le mot en début de phrase pour faire une figure de style ? Ah oui, une anaphore. Voilà. Une anaphore. On dira ce qu’on voudra, les anaphores, ça a du bon» (p. 32-33).

 

Références

Diderot, Denis, le Père de famille, dans Théâtre du XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 251, 1974, vol. II, p. 57-141 et p. 1369-1382. Textes choisis, établis, présentés et annotés par Jacques Truchet. Édition originale : 1758.

Le Tellier, Hervé, Mon dîner avec Winston, Paris, Gallimard, coll. «Folio théâtre», 212, 2023, 78 p. Avant-propos, chronologie et notes de l’auteur.

M. l’A.D.L.G., la Femme vertueuse ou Le débauché converti par l’amour, Paris, La table ronde, coll. «La petite vermillon», 370, 2012, 340 p. Édition établie, présentée et annotée par Claudine Brécourt-Villars. Édition oriinale : 1787.

Nesbø, Jo, Macbeth, Paris, Gallimard, coll. «Série noire», 2018, 617 p. Traduction de Céline Romand-Monnier.