Exercice du jour

Jean-Claude Germain, Diguidi, diguidi, ha ! ha ! ha !, 1972, couverture

Soit le riche texte suivant :

Premier comédien, à l’éclairagiste — Ossti d’tabarnacque de saint cibouère de calvaire de câlisse de chrisse, BRANCHE-TOUÉ SACRAMENT… T’es pas dans une discothèque icite, viarge, t’es dans un théâtre… UN THÉÂTRE SIMONACQUE

Vous devez :

1. trouver quel(s) juron(s) québécois d’inspiration religieuse manque(nt) à ce texte;

2. remplacer un(des) juron(s) du texte par le(s) juron(s) que vous aurez découvert(s).

 

[Complément du juin 2015]

 

Référence

Germain, Jean-Claude, Diguidi, diguidi, ha ! ha ! ha ! [suivi de] Si les Sansoucis s’en soucient, ces Sansoucis-ci s’en soucieront-ils ? Bien parler, c’est se respecter !, Montréal, Leméac, coll. «Théâtre québécois», 24, 1972, 194 p. Ill. Introduction de Robert Spickler. Citation : p. 33.

Vingt-neuvième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Épiphore

Définition

«Placer le même mot ou groupe à la fin de deux ou plusieurs membres de phrase ou phrases» (Gradus, éd. de 1980, p. 194).

Exemple

«Sa voix grave, son regard dur, l’épaisseur de ses sourcils de même que la nudité de son torse lui venaient du boitillement qu’il donnait à son pas en s’appuyant sur une canne en bois. Il allait fièrement de profil afin de dissimuler sa canne dont il se servait comme d’une arme, elle était redoutée. Parmi les bagarreurs de fin de nuit elle était redoutée, parmi ceux qui fumaient sous les préaux elle était redoutée, parmi les soûlards d’après-midi elle était redoutée, parmi les amas de cartons des ruelles elle était redoutée, parmi les chiens elle était redoutée, parmi les voleurs de vélos elle était redoutée, parmi les siphonneurs de carburant elle était redoutée, parmi les endettés pour du hasch elle était redoutée, parmi les sans parole elle était redoutée» (Parents et amis sont invités à y assister, p. 152).

Renvois

Anaphore

Symploque

 

[Complément du 31 octobre 2017]

Autre exemple. Dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles (1758), Jean-Jacques Rousseau a trois paragraphes qui se terminent par «mais il fallait faire rire le public». Cela se trouve dans le développement que Rousseau consacre au Misanthrope de Molière (éd. 1987, p. 190-192).

 

[Complément du 19 octobre 2018]

En 1977, dans le magazine Nous, Pierre Bourgault répond à la question «Maurice Richard est-il toujours vivant ?» Parlant du Rocket — c’est du hockey —, il a recours à l’épiphore :

Canadien français à une époque où il ne faisait pas bon l’être, il lui fallait être meilleur que les autres, bien meilleur, pour qu’on lui reconnaisse enfin quelque valeur. Il le fut.

Joueur de hockey à une époque où il ne faisait pas tellement bon l’être, il lui fallait être plus noble que tous pour résister à l’esclavage du système et réussir à en sortir, meurtri mais vivant. Il le fut.

Triomphant dans un désert de paresse et d’abandon, il lui fallait être à la fois plus fier et plus humble que ses compatriotes pour résister aux assauts de la jalousie et de l’envie. Il le fut (p. 32).

Hélène Racicot, couverture du magazine Nous, février 1977

 

Références

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Bourgault, Pierre, «Maurice Richard est-il toujours vivant ?», Nous, 4, 9, février 1977, p. 32-33 et p. 40. Illustration d’Hélène Racicot.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Rousseau, Jean-Jacques, Discours sur les sciences et les arts. Lettre à d’Alembert sur les spectacles, Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1874, 1987, 402 p. Édition établie et présentée par Jean Varloot. Édition originale : 1758.

Du flau/flot/flow/flo

Soit un enfant, au Québec. Un de ses synonymes pose deux problèmes.

1. De graphie

Dans l’Hiver de force, Réjean Ducharme écrit «flaux» (1973, p. 130).

Hervé Bouchard préfère «flots», tant dans Numéro six (2014, p. 51) que dans Parents et amis sont invités à y assister (2014, p. 18).

«Flows», avance Jocelyn Bérubé (2003, p. 27).

La graphie «flo(s)» est probablement la plus fréquente. On la trouve chez Alice Michaud-Lapointe (2014, p. 159), chez Beaudet et Boily (2011, p. 22), chez Pierre Szalowski (2012, p. 228), chez Léandre Bergeron (1980, p. 229).

Ça fait désordre.

2. D’étymologie

Il y a les explications fausses (et méchantes). Dans son Dictionnaire québécois instantané, l’Oreille tendue définissait ainsi le «flo» : «Gniard, chiard, moutard (par attraction avec fléau)» (2004, p. 96). Ephrem Desjardins va dans le même sens (2002, p. 84).

Il y a les explications poétiques. Le mot est populaire en Gaspésie, région québécoise «entourée des eaux du fleuve Saint-Laurent au nord, du golfe St-Laurent à l’est et de la baie des Chaleurs au sud» (merci Wikipédia). L’énergie des enfants évoquerait le mouvement de l’eau. Dans ce cas, il faudrait favoriser la graphie flot.

Il y a les explications bretonnes. Selon @revi_redac, flau/flot/flow/flo viendrait de floc’h (damoiseau).

Il y a les explications anglaises. Le dictionnaire en ligne Usito cite l’Index lexicologique québécois qui lui-même cite le Dictionnaire Bélisle de la langue française au Canada de 1957, cela pour évoquer une origine liée à fellow.

Ça fait aussi désordre.

P.-S. — Toujours selon Usito, floune serait le féminin de flo. Voilà qui alimentera la banque québécoise des mots en –oune.

 

Références

Beaudet, Marc et Luc Boily, Gangs de rue. Les Rouges contre les Bleus, Brossard, Un monde différent, 2011, 49 p. Bande dessinée.

Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.

Bérubé, Jocelyn, Portraits en blues de travail, Montréal, Planète rebelle, coll. «Paroles», 2003, 94 p. Ill. Préface de Jean-Marc Massie. Accompagné d’un cédérom.

Bouchard, Hervé, Numéro six. Passages du numéro six dans le hockey mineur, dans les catégories atome, moustique, pee-wee, bantam et midget; avec aussi quelques petites aventures s’y rattachant, Montréal, Le Quartanier, 2014, «série QR», 80, 2014, 170 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Desjardins, Ephrem, Petit lexique de mots québécois à l’usage des Français (et autres francophones d’Europe) en vacances au Québec, Montréal, Éditions Vox Populi internationales, 2002, 155 p.

Ducharme, Réjean, l’Hiver de force. Récit, Paris, Gallimard, 1973, 282 p. Rééd. : Paris, Gallimard, coll. «Folio», 1622, 1984, 273 p.

Melançon, Benoît, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, Montréal, Fides, 2004 (deuxième édition, revue, corrigée et full upgradée), 234 p. Illustrations de Philippe Beha. Édition de poche : Montréal, Fides, coll. «Biblio-Fides», 2019, 234 p.

Michaud-Lapointe, Alice, Titre de transport, Montréal, Héliotrope, coll. «K», 2014, 206 p.

Szalowski, Pierre, Mais qu’est-ce que tu fais là, tout seul ?, Montréal, Hurtubise, 2012, 360 p.

Benoît Melançon, en collaboration avec Pierre Popovic, Dictionnaire québécois instantané, 2004, couverture

Unité de temps

Hervé Bouchard, Parents et amis sont invités à y assister, 2014, couverture

Soit les phrases suivantes, tirées de Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre d’Hervé Bouchard (2014) :

J’ai le souvenir de m’étendre sous le ciel de mon lit dans le soir et d’attendre le sommeil comme une feuille que le vent pousse. Il arrive enfin, je tombe, pas longtemps, je sais pas, une petite secousse, la maison se balance au souffle des orphelins endormis, j’ai raté quelque chose, je me lève, je vais vers eux dans le noir, je vois rien, ce sont des morts qui respirent, ce sont des empilés qui bougent (p. 64).

Qu’y désigne le mot secousse ? On peut l’entendre doublement.

D’une part, il évoque un «mouvement brusque qui ébranle un corps» (le Petit Robert, édition numérique de 2014). C’est bien à cela que renvoient les mots «la maison se balance» : «une petite secousse, la maison se balance».

D’autre part, secousse est aussi, au Québec, une unité de temps, fort imprécise : Je reviendrai dans une petite secousse. (@TigrouMalin le faisait remarquer un jour sur Twitter.) La grand-mère de l’Oreille tendue disait plutôt escousse. (C’est la même chose et ce n’est pas plus précis.) Ce mot peut avoir le sens, comme ici, de «pas longtemps» : «pas longtemps, […] une petite secousse».

On est ébranlé et on attend (peu), chez Bouchard.

 

[Complément du 20 août 2018]

Occurrence romanesque, non grand-maternelle, chez Christophe Bernard, dans la Bête creuse (2017) : «Il s’était pas mis riche en vendant, mais ça faisait rien, il allait quand même pouvoir se laisser vivre une escousse des fruits de la transaction, largement à son tour que c’était d’offrir à boire aux lurons» (p. 79).

 

[Complément du 26 mars 2019]

En 1937, la brochure le Bon Parler français considérait «Une bonne secousse», mis pour «Assez longtemps», comme une «locution vicieuse» (p. 13).

 

[Complément du 2 janvier 2020]

Le pluriel est plus rare, mais on le trouve dans Expo habitat de Marie-Hélène Voyer (2018) : «Il faut fuir retrouver les chemins cahoteux les chemins de débarques et de débâcles oublier les heures revenir aux escousses […]» (p. 135).

 

Références

Bernard, Christophe, la Bête creuse. Roman, Montréal, Le Quartanier, coll. «Polygraphe», 14, 2017, 716 p.

Le Bon Parler français, La Mennais (Laprairie), Procure des Frères de l’Instruction chrétienne, 1937, 24 p.

Bouchard, Hervé, Parents et amis sont invités à y assister. Drame en quatre tableaux avec six récits au centre, Montréal, Le Quartanier, «série QR», 14, 2014, 238 p.

Voyer, Marie-Hélène, Expo habitat, Chicoutimi, La Peuplade, 2018, 157 p.