Pauvre vieux

Portrait de Fontenelle

Parler d’air du temps ou d’esprit de l’époque ferait plouc : la chronique s’intitule donc «Zeitgeist». C’est dans le Devoir, sous la plume de Josée Blanchette.

Son article du 28 janvier s’intitule «Quand vieux rime avec heureux. Le bonheur, c’est comme l’eau» (p. B10). Il est précédé d’une citation : «Le plus grand secret pour le bonheur, c’est d’être bien avec soi.» C’est signé «Bernard Fontenelle».

Qui est ce «Bernard Fontenelle» ? S’agirait-il de Bernard Le Bovier de Fontenelle, né à Rouen en 1657, mort à Paris en 1757 à quelques jours de son centenaire ?

Oui, c’est lui. La phrase que le Devoir lui attribue se trouve bel et bien dans son traité Du bonheur (p. 49).

Il eut été fort marri de se voir devenu, comme n’importe quel quidam, un Bernard Fontenelle.

 

Référence

Fontenelle, Du bonheur par M. de Fontenelle suivi d’Aphorismes et de l’Essai sur l’histoire, Paris, Éditions d’art Édouard Pelletan, Helleu et Sergent, éditeurs, coll. «Philosophes et moralistes», 7, 1926, xxi/148 p. Ill. Préface de Luc Benoist. Portrait d’après Rigaud. Ornements de G. Corvel.

Effets de lames

Patiner — chacun le sait — est un des grands plaisirs de la vie. L’Oreille tendue pense bien sûr au patinage décontracté, et non au patinage «extrême» (la Presse, 28 janvier 2007, p. S8; le Devoir, 3-4 mars 2007, p. A6; le Devoir, 12 janvier 2010, p. A4).

Les sceptiques n’ont qu’à revoir la scène d’ouverture du film Mystery, Alaska (1999) : il faudrait avoir un cœur de glace pour ne pas être convaincu.

À Montréal, on peut patiner à l’intérieur — c’est toujours un brin compliqué — ou à l’extérieur. Dans la Presse du 22 janvier, Daniel Lemay, sous le titre «Sur les ronds de Montréal» (p. A18-A19), dresse un utile état des lieux. (Un reproche, cependant : il faudrait dire, et déplorer, que le patinage en silence est de plus en plus difficile, sinon carrément impossible, aujourd’hui, à Montréal, où la musique paraît être de rigueur sur beaucoup des plus belles patinoires, celle du lac aux Castors, par exemple.) On peut aussi cliquer ici pour une carte.

Pourquoi parler de «ronds» ? Parce que le mot désigne, au Québec, une patinoire extérieure, quelle qu’en soit la forme.

Le vocabulaire de la glace a aussi donné naissance à l’expression (ne pas) être vite sur ses patins. On imagine aisément qu’il vaut mieux l’être, que pas.

Si ne pas être vite sur ses patins existe au figuré, c’est que cela existe au sens propre. L’Oreille, en plein air et en pleine action, le démontre clairement ici. Âmes sensibles s’abstenir.

La vie après l’extrême

Écoutons Diderot dans le Neveu de Rameau : «si tout ici-bas était excellent, il n’y aurait rien d’excellent» (p. 25).

Paraphrasons-le : si tout ici-bas était extrême, il n’y aurait rien d’extrême.

On a tant et tant abusé du mot extrême qu’il est dorénavant nécessaire de trouver autre chose d’aussi fort pour mettre à la place. Une solution possible : passons à l’ultime.

Cela donne ultime.tv, un «ultime biscuit» (voir ci-dessous) ou «Le concours de chaussures ultime, du 1er au 19 septembre» chez Holt Renfrew à Montréal (la Presse, 4 septembre 2010, p 4, publicité).

On n’arrête pas le progrès.

Biscuit «ultime», étiquette

 

Référence

Diderot, Denis, le Neveu de Rameau. Satires, contes et entretiens, édition établie et commentée par Jacques et Anne-Marie Chouillet, Paris, Librairie générale française, coll. «Le livre de poche», 5925, 1984, 414 p.