Soit les deux citations suivantes :
—J’ai déjà dit que je ne voulais pas vous voir fourrer le chien par ici, a-t-il aboyé.
—Je ne… fourre pas le chien.
Je ne savais pas ce que l’expression voulait dire, sinon que c’était quelque chose que Rigger n’aimait pas (Hockey de rue, p. 150).
Ça prend juste un bâtard comme toi pour venir fucker l’chien (les Corpuscules de Krause, p. 189).
Qu’en est-il donc de ce chien, qu’on fourre ou qu’on fucke (prononcé phoque) ?
Dans le premier texte, fourrer le chien signifie glander, ne rien faire — loafer (verbe intransitif du premier groupe, prononcé lôfer), aurait-on dit à une autre époque.
Dans le suivant, il s’agit plutôt de compliquer une situation, de la faire se détériorer; cet emploi est péjoratif. Qui fucke le chien, donc, fout le bordel ou fait merder. (Cette deuxième acception, du moins aux oreilles de l’Oreille, paraît moins commune que la première.)
La langue anglaise est la source de cette expression, en ces deux sens.
Un forum de discussion sur Internet — merci à @LucGauvreau — évoque une troisième signification : avoir de la difficulté. Il y est question de «fuckage de chien» et de «fuckage de canidés».
Ces tentatives de définition laissent deux questions ouvertes.
D’où une telle expression peut-elle bien venir ? Comme dans d’autres cas, il vaut peut-être mieux ne pas se poser la question, histoire de ne pas se représenter l’affaire.
Le bon usage recommande-t-il fourrer (comme dans la traduction du roman de David Skuy par Laurent Chabin) ou fucker le chien (ainsi que l’écrit Gordon) ? Le débat a récemment occupé Twitter.
L’Oreille a souvenir d’avoir entendu les deux verbes. Forcée d’utiliser l’expression, elle choisirait le second.
@PimpetteDunoyer, résolument montréalocentriste, @LucieBourassa, trifluvienne d’origine, et @VeroMato, de la Mauricie, pencheraient pour fucker le chien.
En Outaouais, c’est moins clair. Pour @catherine_pj, il faut fucker, mais, selon @iericksen, dans «le nord de l’Outaouais», ce serait fourrer. Commentaire de @PimpetteDunoyer : «Va falloir que vous fixiez la ligne de partage ;-).»
Histoire de compliquer les choses, @AMBeaudoinB connaît au moins une région où on fucke la chienne.
Avant Twitter, en 1980, dans son Dictionnaire de la langue québécoise, aux articles «chien» et «fourrer», Léandre Bergeron retient fourrer (p. 128 et 233). L’année suivante, dans son Supplément, voilà «Foquer l’chien» (p. 102). On voit aussi apparaître «Fourreur de chien» («n.m. — Sobriquet donné au contremaître dans les chantiers. — Paresseux», p. 103). Nulle trace, cependant, du foqueur de chien.
Qui fixera l’usage ? Qui sera le Vaugelas de la copulation canine ? En attendant, cela fait désordre.
[Complément du 19 janvier 2015]
C’est Victor-Lévy Beaulieu qui a publié il y a plus de trente ans les dictionnaires de Bergeron. Le 31 décembre 2014, histoire de finir l’année en beauté, le quotidien le Devoir reproduisait un texte tiré de la page Facebook de Beaulieu sous le titre «Ce désastre qu’est devenu notre langue». Son dernier paragraphe était le suivant : «Tout cela pour vous dire que dorénavant, j’éliminerai systématiquement de ma page toutes celles et tous ceux-là que je considère comme les assassins de notre langue, donc du pays à faire venir. Que toutes celles et tous ceux-là aillent foquer le chien avec des pareils à eux-mêmes !» (p. A7) Manifestement, foquer le chien ne fait pas partie des vœux de bonne année de VLB à ses lecteurs.
[Complément du 19 mai 2018]
En chanson, fucker le chien se trouve dans «Mon pays» (interprétation : Robert Charlebois; paroles : Réjean Ducharme). C’est un reproche.
Références
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980, 574 p.
Bergeron, Léandre, Dictionnaire de la langue québécoise précédé de la Charte de la langue québécoise. Supplément 1981, Montréal, VLB éditeur, 1981, 168 p.
Gordon, Sandra, les Corpuscules de Krause. Roman, Montréal, Leméac, 2010, 237 p.
Skuy, David, Hockey de rue, Montréal, Hurtubise, 2012, 232 p. Traduction de Laurent Chabin. Édition originale : 2011.