Unis au temple de la puck

«Unissons les fidèles»

L’Oreille tendue était hier soir au Centre Bell pour assister à la défaite des Canadiens de Montréal — c’est du hockey — contre les Oilers d’Edmonton. Comme toujours, elle a été sensible à la mise en scène du match. (C’est le genre de choses qui l’intéresse.) Un nouvel aspect de celle-ci l’a frappée.

Depuis quelque temps déjà, la glace du Centre Bell est utilisée comme écran de projection. On peut même — vrai de vrai — y mettre le feu. Hier soir, on y projetait les noms de membres du Club 1909, celui des fans de l’équipe. Une phrase apparaissait aussi sur la glace et elle était reprise sur l’écran géant qui la surplombe : «Unissons les fidèles.» («Unite the faithful», dans la langue de Gary Bettman.)

On a récemment étudié le rapport, à Montréal, du hockey et de la religion (Bauer et Barreau 2008; Bauer 2011; Bauer 2014). Il ne faudrait pas oublier que cette mise en rapport est le fait de l’équipe elle-même. Religion bien ordonnée commence par soi-même.

P.-S. — Ce n’est pas la première fois que les Canadiens parlent de leurs «fidèles»; voir ici.

 

Références

Bauer, Olivier et Jean-Marc Barreau (édit.), la Religion du Canadien de Montréal, Montréal, Fides, 2008, 182 p. Ill.

Bauer, Olivier, Une théologie du Canadien de Montréal, Montréal, Bayard Canada, coll. «Religions et société», 2011, 214 p. Ill.

Heureusement qu’il n’y avait pas d’ordinateur

Étiemble, Parlez-vous franglais ?, 1991, couverture

L’été dernier, la question du franglais a occupé un certain nombre de commentateurs québécois. L’Oreille tendue en était; voir ici et . Comme elle n’avait pas encore lu Parlez-vous franglais ?, le pamphlet qui, en 1964, a popularisé cette supposée langue, elle a décidé de s’y atteler.

Le «brûlot» (p. 401) publié par Étiemble est bien mauvais et, pour tout dire, assez ridicule. C’est un «tableau de déshonneur» (p. 348), un catalogue des «ignominies langagières» (p. 294), des «ordures langagières» (p. 392) et des «saloperies langagières» (p. 420) rassemblées par l’auteur et toutes ramenées à une source unique, diversement nommée : «l’américanisation outrancière et systématique» (p. 59), le triomphe du «jargon yanquisant, ou yanquisé» (p. 125), le «cancer yanqui» (p. 384), «la colonisation yanquie» (p. 402), «l’anglomanie de ceux qui mènent la France au statut colonial dont elle vient d’affranchir l’Afrique» (p. 126). La langue française serait morte («notre feue langue “universelle”», p. 13). Elle aurait été remplacée par le sabir atlantique / atlantic / atlantyck, ce «babélien». Ce serait la fin de tout :

Pour peu que nous persévérions à sabirer atlantique, l’antisémitisme larvé, le racisme virulent, la tartuferie sexuelle, la dévotion au dollar, les superstitions scientiste et chrétienne-scientiste seront notre pain quotidien (p. 380).

Une civilisation est morte. Étiemble, page après page, défend une définition essentialiste de la langue et crie au scandale. On s’en lasse, et vite.

Cela aurait pu être pire :

Bref, en lisant, moi seul, quelques heures chaque jour depuis cinq ans, les divers journaux et périodiques français, j’ai pu collectionner des dizaines de milliers de fiches concernant plusieurs milliers de mots ou d’expressions que je consignerai dans mon futur Dictionnaire philosophique et critique du sabir atlantique. Si j’avais dix assistants travaillant huit heures par jour, ou encore une machine électronique, combien de centaines de milliers de monstres seraient ainsi tombés dans mes filets-fichiers […] ? Je préfère ne pas le savoir (p. 314-315).

L’Oreille tendue aime le numérique, mais elle se réjouit qu’Étiemble n’ait pas connu l’ordinateur.

P.-S. — Il sera de nouveau question de franglais en mars. La revue Argument consacrera un dossier à la question. L’Oreille a soumis un texte pour ce dossier. Son titre ? «Leur langue, c’est pas de la marde.»

 

[Complément du 23 novembre 2018]

Jugement du linguiste Henri Meschonnic dans le Devoir du 6 novembre 2000 : «Ce livre est un tissu d’âneries et son manque de sens historique est terrifiant. Les emprunts font partie de l’histoire des langues. L’histoire des anglicismes en français commence au XVIIIe siècle et le français s’en est parfaitement remis. Comme il s’est remis des anglicismes du XIVe. / Il y a, chaque fois, de nouvelles vagues d’anglicismes qui touchent des domaines comme le sport ou l’informatique. Mais ça ne touche pas l’armature de la langue, qui est la grammaire et la syntaxe. Une langue vivante a un estomac d’acier, elle est capable d’ingérer toutes sortes de mots étrangers, et c’est ce qu’elle n’arrête pas de faire» (p. B1).

 

Référence

Étiemble, Parlez-vous franglais ? Fol en France. Mad in France. La belle France. Label France, Paris, Gallimard, coll. «Folio actuel», 22, 1991 (troisième édition), 436 p. Édition originale : 1964.

Dans le coffre à outils gouvernemental…

…on trouve ces jours-ci :

Une hache

 

Un couperet

 

Une guillotine

 

Mais aussi une éponge (qu’on utilise avec parcimonie)

http://twitter.com/Captain_Jply/status/565631796109664257

 

Et un bâillon

Déception de l’Oreille

Le Tutoiement des parents par les enfants, 1944, couverture

«Il faut lutter contre
une propagande du tutoiement
qui se fait, personne n’en doute,
avec de bonnes intentions
dans la majorité des cas.»

Vous êtes tout content : vous allez enfin lire un livre attendu. Vous l’avez repéré chez un libraire de livres anciens. Vous l’avez commandé. Vous l’avez reçu.

Vous vous installez donc pour lire goulûment le Tutoiement des parents par les enfants de Mgr A. Camirand, v.g. (1944).

Cela commence mal. Vous constatez d’abord que le texte que vous avez entre les mains est celui d’un religieux français, Mgr Gaume, paru dans le Benedicite au 19e siècle : «Nous donnons autant que possible le texte même de Mgr Gaume» (p. 4).

Ça ne s’améliore pas. Le Tutoiement des parents par les enfants est un collage de citations. Parfois, vous savez qui parle : Mgr Baunard, l’abbé Texier, Jean Charruau, le révérend père Archambault, le chanoine Groulx, Mgr Brunault. Parfois, vous n’en avez pas la moindre idée.

Mais où est donc passé Camirand ?

Heureusement, les positions défendues dans son opuscule sont fermement posées.

Quelles sont-elles ?

la formule du tutoiement [des parents par leurs enfants] est 1o honteuse dans son origine; 2o absurde en elle-même; 3o funeste dans son application; 4o souverainement humiliante pour les pères et mères (p. 7).

a) le tutoiement nous vient du paganisme, donc il semble aller contre l’esprit chrétien; b) il est révolutionnaire, donc il semble aller contre le respect; c) il est brutal, donc il semble aller contre la charité (p. 20).

Les causes de la déchéance ne sont pas moins clairement formulées. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les valeurs de la France, et par conséquent de la Nouvelle-France, étaient solides. Puis il y eut des gens comme Jean-Jacques Rousseau, «le célèbre sophiste» (p. 17). Finalement, la Révolution vint finir de tout bousiller. C’est elle qui sapa l’autorité paternelle :

Formule de la sauvage égalité des démagogues de 93, [l’emploi du tutoiement] est absolument contraire aux rapports de l’inégalité naturelle et nécessaire entre les parents et les enfants (p. 14).

De ce pas, l’Oreille tendue va discuter la situation avec ses fils. On va voir ce qu’on va voir.

 

Référence

Camirand, v.g., Mgr A., le Tutoiement des parents par les enfants, Arthabaska, L’Imprimerie d’Arthabaska, Inc., 1944 (édition augmentée—4e mille), 33 p.