Des usages différenciés de la broue

La broue peut se boire; c’est alors de la bière (la broue est, au sens premier, sa mousse).

Elle peut aussi envahir le sommet du crâne : il arrive, en effet, qu’on ait de la broue dans le toupet. Cela indique que quelqu’un en a plein les bras, qu’il est dépassé par les événements ou les sentiments.

Les coiffeuses ont de la broue dans le toupet… (la Voix de l’Est, 23 décembre 2000, p. 2).

De quoi avoir un peu de trémolo dans l’ï tréma. Pour ne pas dire de la broue dans le toupet (le Devoir, 3 juillet 2001).

Qui pète de la broue est vantard. Ce péteux de broue annonce plus qu’il ne fait.

Dans la chanson «Pissou» (1992) de Jean-Pierre Ferland, on trouve deux des sens du mot broue (et on constate que rouspète et toupet riment).

Maudit qu’on critique, maudit qu’on rouspète
La buée dans ‘es barniques, la broue dans l’toupet
Mais par en arrière on prend son trou
Des bottines en fer, des blue jeans à clous
Mais par en arrière, par en d’ssous
On est pissou
On est fiers de nous, on pète de la broue

Un spa canin montréalais s’appelle De la broue aux pattes. Ce nom laisse perplexe, linguistiquement mais pas seulement, l’Oreille tendue. (Merci à @PimpetteDunoyer.)

Où il y a de la gêne vaut mieux éviter le plaisir

Une catastrophe (humaine, écologique, économique, sociale) touche le Québec depuis samedi dernier : un train a déraillé en plein centre de la petite ville de Lac Mégantic et causé la mort de plusieurs dizaines de personnes.

Les médias s’arrachent les experts. L’Oreille tendue a été frappée hier par le fait que beaucoup de ces experts, à la fin de leur intervention, répondant aux remerciements de l’animateur, disaient «Ça me fait plaisir».

C’est moi qui vous remercie; Y a pas de quoi; Je vous en prie : oui. Mais pas Ça me fait plaisir.

L’Oreille sort

Une fois n’est pas coutume : l’Oreille tendue est allée au concert ce samedi.

Dans le cadre du Festival international de jazz de Montréal, elle y a applaudi le Soweto Gospel Choir, à la Maison symphonique, la «chapelle» de l’Orchestre symphonique de Montréal, dixit André Ménard, le directeur artistique du FIJM.

Ils sont vingt sur scène, accompagnés par deux tambours et, à l’occasion, par un piano électrique et dirigés par un maître de chœur. Souvent, ils sifflent ou lancent des cris qui rappellent ceux des oiseaux. La rythmique est physique : ils tapent dans leurs mains, ils cognent le sol de leurs pieds. Ils sont ensemble depuis dix ans : la mécanique est parfaitement réglée.

La plupart du temps, les femmes sont en costumes traditionnels, dont un qui devrait, par ses couleurs, ravir les partisans des ex-Nordiques de Québec — c’est du hockey. Les hommes portent de petites vestes sans manche aux couleurs pas moins vives que celles des costumes féminins.

Leur répertoire ? Les chants de leur église, de la musique zouloue, quelques succès contemporains («Like a Bridge over Troubled Water», «Arms of an Angel»), des chansons faites pour que le public se lève et mêle sa voix à la leur («Pata Pata», «Amen», «Oh Happy Day», en rappel). Le chant domine, mais on danse aussi : des danses traditionnelles, des danses de combat, du breakdance, du gumboot.

À divers moments du spectacle, la troupe se scinde et se recompose en unités plus petites, à l’avant-scène. Il arrive alors qu’on passe du duo à la joute musicale et corporelle. L’interprétation d’une chanson par les hommes seuls est suivie de l’interprétation de la même chanson par les femmes seules («Nice try, boys»). On échange et on s’oppose, avant de toujours se réconcilier.

L’actualité étant ce qu’elle est, un sobre hommage a été rendu au «père de la nation» («the father of the nation»), Nelson Mandela, par une seule pièce, une «chanson de liberté» («a liberty song»).

L’Oreille doit se rendre à l’évidence : une voix humaine, c’est bien; des voix mêlées, leur harmonie, cela l’émeut, sans qu’elle puisse endiguer cette émotion. Le chœur, en musique, c’est la communauté de la beauté.

Nelson Mandela et le Soweto Gospel Choir

Illustration : Peter Ellis, signature de Nelson Mandela entourée de celles de membres du Soweto Gospel Choir, photo déposée sur Wikimedia Commons

Portrait préféerique du jour

 Haruki Murakami, 1Q84, 2012, vol. 3, couverture

«The next afternoon, a young woman visited his office. She was probably not yet twenty. She had on a short white dress that revealed the curves of her body, matching white high heels, and pearl earrings. Her earlobes were large for her small face. She was barely five feet tall. She wore her hair long and straight, and her eyes were big and bright. She looked like a fairy in training

Haruki Murakami, 1Q84, traduction de Jay Rubin (vol. 1 et 2) et de Philip Gabriel (vol. 3), Anchor Canada, 2012, 3 vol., 1157 p., vol. 3, p. 831. Édition originale : 2009-2010.