Langue grand-maternelle

Jean-Claude Corbeil, l’Embarras des langues, 2007, couverture

L’Oreille tendue travaille à un nouveau livre. Ça s’appellera Le niveau baisse ! (et autres idées reçues sur la langue) et ça devrait paraître en octobre chez son éditeur habituel, Del Busso éditeur.

Dans le premier texte, déjà partiellement paru ici, il y aura cette phrase :

On entend parfois telle chroniqueuse vanter la langue impeccable de sa mère ou de sa grand-mère, elle qui n’avait qu’une «cinquième année». Cela est peut-être vrai, mais, à l’oral, sauf pour des périodes récentes, c’est invérifiable et, dès lors, inutilisable dans une démonstration raisonnée.

L’Oreille n’est pas la seule à se méfier des grands-mères.

C’est aussi le cas de Jean-Marie Klinkenberg :

Il n’est pas jusqu’à la hideuse faute d’orthographe — celle que tout le monde fait, mais dont tout le monde se défend, par exemple en l’attribuant à ces brebis émissaires que sont les dactylos, ou en entretenant la croyance aux mythiques grands-mères à l’orthographe pure — qui n’y jaillisse sous le doigt et l’œil de Mireille, telle une sanie qui le promet à la mort la plus sale (p. 190-191)

et de Jean-Claude Corbeil :

Chacun répond à la question en se reportant à ses souvenirs, à la grand-mère qui écrivait sans faute bien qu’elle ait peu fréquenté l’école, ou au souvenir que l’on garde de la manière dont on nous enseignait l’orthographe et la grammaire à l’école (p. 344).

L’Oreille est en agréable compagnie.

P.-S. — Elle a déjà parlé de sa grand-mère, . Cela n’avait strictement rien à voir avec ce qui vient d’être dit.

 

[Complément du 29 juillet 2015]

Nouvel exemple, dans le plus récent livre de Jean-Marie Klinkenberg, la Langue dans la Cité (2015) : «nous en connaissons tous, de ces héroïques grands-mères qui, sans jamais avoir fait d’études poussées, avaient une orthographe irréprochable, alors qu’aujourd’hui…» (p. 158)

 

Références

Corbeil, Jean-Claude, l’Embarras des langues. Origine, conception et évolution de la politique linguistique québécoise, Montréal, Québec Amérique, coll. «Dossiers et documents», 2007, 548 p. Préface de Louise Beaudoin.

Klinkenberg, Jean-Marie, «Lecture», dans Jacques Godbout, D’amour, P.Q. suivi d’un dossier par Jean-Marie Klinkenberg, Paris, Seuil, coll. «Points», 1991, p. 159-195.

Klinkenberg, Jean-Marie, la Langue dans la Cité. Vivre et penser l’équité culturelle, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2015, 313 p. Préface de Bernard Cerquiglini.

Vingt-septième article d’un dictionnaire personnel de rhétorique

Jean-François Vilar, Bastille tango, 1986, couverture

Style indirect libre

Définition

Façon de rapporter les paroles qui n’est ni le style direct («Je vous aime», dit-il) ni le style indirect (Il dit qu’il vous aime).

«C’est un discours qui se présente à première vue comme un style indirect (ce qui veut dire qu’il comporte les marques de temps et de personne correspondant à un discours de l’auteur), mais qui est pénétré, dans sa structure sémantique et syntaxique, par des propriétés de l’énonciation, donc du discours du personnage» (Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, p. 387).

«L’indirect libre […] a une légèreté qui l’apparente au discours direct, mais sa forme renvoie à une présence du narrateur derrière le personnage» (Gradus, éd. de 1980, p. 284).

Exemples

«Samedi, j’ai commencé par appeler le grand Pete mais ç’aurait été vraiment mieux que j’appelle pas parce que le père du grand Pete aime ça se lever tard au moins une maudite journée par semaine» (Des histoires d’hiver […], p. 15).

«Pierre arrêta sa voiture devant la maison des Boisrosé. C’était la consigne. Cependant, comme il était sept heures et demie passées et qu’Hedwige lui avait recommandé de ne pas monter “vu qu’on entrait chez elle par une impasse obscure mal éclairée par de vieux lumignons enfoncés dans le lierre, pas de pipelet et qu’il se perdrait certainement”, il se mit à corner, d’abord discrètement, puis à klaxoner à grand fracas» (l’Homme pressé, p. 93).

«Mon vélo cahotait sur les pavés disjoints. J’aime bien ce passage. Encore maintenant.
— Julio ? Il vient d’où ?
— Buenos-Aires.
Il terminait son travail tard le soir et il ne pouvait jamais s’endormir tout de suite. Il préférait passer ses nuits à bricoler des pellicules.
— Des pellicules ?
— Des films qu’il tourne lui-même, des chutes qu’il récupère» (Bastille Tango, p. 22).

«Mais, cette fois, elle s’emporta : il ne l’aimait donc pas qu’il la faisait traîner ainsi ? Qu’est-ce qu’il y avait, après tout, de si compliqué dans un mariage ?» (Happe-chair, p. 82)

 

Références

Ducrot, Oswald et Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, coll. «Points. Sciences humaines», 110, 1972, 470 p.

Dupriez, Bernard, Gradus. Les procédés littéraires (Dictionnaire), Paris, Union générale d’éditions, coll. «10/18», 1370, 1980, 541 p.

Lemonnier, Camille, Happe-chair, Bruxelles, Labor, coll. «Espace Nord», 92, 1994, 395 p. Préface d’Hubert Nyssen. Lecture de Michel Biron. Édition de 1908.

Morand, Paul, l’Homme pressé, Paris, Gallimard, coll. «L’imaginaire», 240, 1990, 332 p. Édition originale : 1941.

Robitaille, Marc, Des histoires d’hiver avec encore plus de rues, d’écoles et de hocke. Roman, Montréal, VLB éditeur, 2013, 180 p. Ill.

Vilar, Jean-François, Bastille tango. Roman, Paris, Presses de la Renaissance, 1986, 279 p.