Là (là)

Marie-Éva de Villers, le Vif Désir de durer, 2005, couverture

Qu’est-ce que le français parlé au Québec au début du XXIe siècle ? Une variété régionale du français.

On y trouve des mots réputés archaïques selon les dictionnaires publiés en France (barrer la porte pour verrouiller la porte), des mots, inconnus ailleurs, pour désigner des réalités locales (poudrerie pour neige poussée par le vent pendant qu’elle tombe), des mots créés pour éviter d’avoir recours à d’autres venus de l’anglais (courriel pour e-mail), quelques mots amérindiens (achigan) ou anglais (aréna) entrés dans la langue courante. La féminisation des titres de fonctions y est recommandée (auteure). Il y a des accents québécois comme il y a des accents hexagonaux. Sur le plan de la syntaxe, rien de significatif ne distingue cette variété du français de la langue dite standard.

(Sur ces questions, surtout de vocabulaire, une lecture recommandée : le Vif Désir de durer. Illustration de la norme réelle du français québécois, de Marie-Éva de Villers, Montréal, Québec Amérique, 2005, 347 p. Ill.).

Et il y a des fréquences lexicales qui ne sont pas les mêmes des deux côtés de l’Atlantique.

Un seul exemple, décliné trois fois dans les médias hier : le mot , beaucoup plus souvent utilisé ici que… là, et dans toutes sortes de contextes.

Dans la Presse, une publicité pour Toyota : «La Corolla, là, là» (21 juillet 2009, p. A11). Ce «là là» est non seulement repérable comme élément de la langue courante pour tout Québécois francophone, il est aussi une allusion à un trait réputé propre aux habitants de la région du Saguenay. On l’entend notamment à satiété dans la bouche du maire de la ville de Saguenay, Jean Tremblay, ce qui lui a valu le surnom de Jean «là là» Tremblay.

Le matin, à la radio, une entrevue de Guy A. Lepage, au sujet de la troupe d’humoristes, aujourd’hui disparue, Rock et belles oreilles : il y méditait sur «ce métier-là». De quoi s’agit-il ? Pas besoin de le dire : n’importe quel artiste québécois sait désigner sa pratique par cette expression convenue. Plombier, garagiste, artisan : ce sont des métiers. Artiste : c’est «ce métier-là».

Toujours à la radio, en fin d’après-midi, une chronique de livres : en sept minutes, la chroniqueuse parle de «ce livre-là» (trois fois), de «cette ferme-là», de «cette façon-là», de «ce goût du monde-là» — et l’Oreille tendue en oublie.

On lui reprochera peut-être d’insister sur des cas particuliers. Néanmoins, elle croit que ces trois exemples-là sont clairs, là (là).

L’art d’être belle-mère

Il existe dorénavant, dans le personnel politique québécois, une nouvelle espèce : la belle-mère.

La belle-mère est un ancien membre du gouvernement qui aime bien / trop se mêler des affaires de ses successeurs et ne pas leur épargner ses conseils.

Elle est surtout audible au Parti québécois, du moins pour l’instant, mais on peut se demander si l’étiquette ne pourrait pas aussi coller à quelques représentants fédéraux.

Principales belles-mères de l’heure : les anciens premiers ministres Jacques Parizeau et Bernard Landry.

L’emploi est péjoratif : traiter quelqu’un de belle-mère ne doit pas être interprété, la plupart du temps, comme une marque d’affection.

Une exception, néanmoins, dans le Devoir du 20 juillet, sous la rubrique «Libre opinion» : une lettre ouverte d’André Ségal, «Amenez-en des belles-mères !», dans laquelle on peut lire «C’est pourquoi nous avons besoin de toutes les “belles-mères” qui veulent bien parler» (p. A6). Suit une liste de onze noms de belles-mères potentielles.

Cette exception confirme la règle.

 

[Complément du 19 mars 2012]

Extension du domaine de la belle-mère, du PQ au Nouveau parti démocratique du Canada : «Ainsi donc, Ed Broadbent, ancien chef du NPD de 1975 à 1989, décrit comme la “conscience” du parti de gauche, s’est déguisé en Bernard Landry pour jouer à la belle-mère» (la Presse, 17 mars 2012, p. A12).

 

[Complément du 2 octobre 2015]

Il existe aussi des belles-mères dans le domaine culturel. À l’émission de télévision les Francs-tireurs, l’ancien animateur de l’émission de radio matinale de Radio-Canada, René Homier-Roy, critiquait cette semaine celle qui l’a remplacé un temps, Marie-France Bazzo. Réaction de l’intéressée :

 

[Complément du 8 novembre 2017]

On craindrait sa variante municipale :

 

[Complément du 22 novembre 2017]

Existerait en version hockeyistique :

Serge Savard, belle-mère de Marc Bergevin ?

(Via @OursMathieu.)

 

[Complément du 26 janvier 2018]

Dans le Journal de Montréal du 23 janvier, Karina Marceau propose une étymologie de belle-mère : «Michel C. Auger m’a rappelé que c’est le libéral Claude Ryan qui avait utilisé la première fois cette expression en 1981 alors que Robert Bourassa voulait faire un retour en politique lors d’une élection partielle.»

 

[Complément du 9 septembre 2019]

L’ancienne première ministre du Québec Pauline Marois souhaite participer au débat sur la langue au Québec. Commentaire d’un éditorialiste du quotidien montréalais la Presse+ : «C’est une façon de continuer de servir l’État, même après avoir cessé de le diriger. Bref, d’être utile en tant que “belle-mère” — ou “beau-père”, comme elle le dit en renversant la formule sexiste. Heureusement, les anciens premiers ministres peuvent servir à autre chose qu’à alimenter les chicanes du jour.»

Insulte(s)

Un directeur de théâtre montréalais, associé au festival Juste pour rire, se montre grossier envers des internautes qui se sont plaints du fait qu’un de ses courriels publicitaires était écrit uniquement en anglais. Ce cas de «dérapage linguistique» a soulevé des vagues ces jours derniers; le Devoir résumait l’affaire vendredi dernier.

Hier, les Jeunes Patriotes du Québec appelaient à une manifestation pour dénoncer le signataire du courriel, sous le titre «Go Fuck Yourself». Extrait de leur invitation : «La situation du français à Montréal est précaire. La situation devient intenable et la population ne doit plus se taire. Nous devons exprimer haut et fort notre mécontentement sur toutes les tribunes et à chaque occasion qui se présente. […] Eric Amber, propriétaire du théâtre Sainte-Catherine a été trop loin. Celui-ci a insulter de manière très cavalière une troupe de théâtre demandant de la documentation en français […].»

«Insulter» au lieu d’«insulté» ? La faute est gênante. Est-ce pour cela qu’il n’y a eu qu’une trentaine de participants à la manifestation, selon le compte rendu du Devoir de ce matin ? Cela serait compréhensible.

De l’humanité

Le Devoir des 18-19 juillet publie un compte rendu de l’ouvrage Éthique & publicité. L’auteur du livre, Claude Cossette, y parlerait de la «personne humaine» (citation, p. E5). Il est vrai que certaines personnes sont inhumaines, mais même celles-là doivent être humaines, non ? Une personne humaine, n’est-ce pas simplement une personne ?

P.-S. — Il ne faut pas confondre, semble-t-il, la personne humaine avec le capital humain — qui est «un gros “plus”» (la Presse, 11 janvier 2004, cahier Affaires, p. 2) — ni avec la ressource humaine — «Pour se différencier les unes des autres, ces grandes villes doivent dorénavant conjuguer de nombreux atouts dans différents secteurs pour assurer la présence de cette ressource irremplaçable, la ressource humaine. Voilà un terme générique et anonyme qui fait référence à du vrai monde. C’est un manuel, un créateur ou un scientifique et il porte un nom, citoyen» (Jean-Marc Fournier, ministre québécois des Affaires municipales, cité par Michèle Ouimet, «Le roi de la tautologie», la Presse, 21 novembre 2003, p. A15).

 

[Complément du 23 décembre 2014]

S’il faut en croire la Presse+ du jour, il existerait dorénavant une «personne non humaine». Ça ne va pas simplifier les choses.

La «personne non humaine»

 

[Complément du 16 janvier 2015]

Josélito Michaud serait, dit la Presse, un spécialiste de l’«entrevue humaine». Serait-ce parce qu’il interviewe des personnes humaines ? (Merci à @karineb1982 pour le lien.)

Citation de la paroisse Saint-Louis-de-France / du jour

 

Marc Robitaille, Un été sans point ni coup sûr. Récit, 2004, couverture

«Quand on est arrivés au terrain, il y avait un gars qui attendait derrière le back-stop avec sa mitte et un monsieur.

“C’est toi le coach ?” a demandé le monsieur à mon père.

Mon père a dit oui, en faisant semblant de ne pas être trop énervé par le tutoiement même si je sais qu’il trouve ça excessivement malpoli de tutoyer les inconnus, à moins d’avoir déjà trait des vaches avec eux. Ou quelque chose comme ça.»

Marc Robitaille, Un été sans point ni coup sûr. Récit, Montréal, les 400 coups, 2004, 139 p., p. 76.