L’art du portrait (la suite)

Christian Gailly, Dernier amour, 2004, couverture«La cabine libéra un gros homme pathétique. Soixante-dix ans. Bronzé caramel foncé. Presque chocolat. Pieds nus dans des mocassins blancs. Pantalon blanc. Chemise blanche. Tricot bleu marine sur les épaules. Manches nouées autour du cou. Cheveux aluminium.

Bonsoir, monsieur, dit l’homme. Bonsoir, répondit Paul. Puis il entra dans la cabine parfumée. L’eau de toilette de l’homme n’en était pas sortie.»

Christian Gailly, Dernier amour. Roman, Paris, Éditions de Minuit, 2004, 121 p., p. 23.

Un monde sans frontières ?

À la radio de Radio-Canada, le 10 janvier, un expert expliquait que la nouvelle majorité républicaine aux États-Unis souhaitait favoriser l’indépendance énergétique du pays. Comment ? En construisant un pipeline pour transporter le pétrole de l’Alberta jusqu’au Texas. Le Canada ferait donc partie des États-Unis ?

Mère pressée

Découverte, dans l’émission du 16 janvier 2011 du Masque et la plume, dans la bouche d’Olivia de Lamberterie, d’une nouvelle apocope : «congé mat», pour «congé de maternité». Voilà une mère qui n’a pas de temps à perdre.

P.-S. — Profitons de l’occasion pour inaugurer une nouvelle catégorie, là, à droite, en bas, si si : «Apocop’».

Fine bouche

L’Oreille tendue attend toujours avec gourmandise la parution du Français à l’université, la lettre d’information de l’Agence universitaire de la francophonie. Elle y savoure les «êtres sociaux locuteurs», elle y déguste l’«excellence bornée par sa norme», elle s’y régale de «la circulation extrême de termes qui “affaissent” la notion».

La plus récente livraison l’a, encore une fois, sustentée. Un exemple — une seule phrase — suffira : «Il y a là des décisions engageantes à prendre : construire des savoirs en plusieurs langues (ce n’est pas une problématique de handicap, mais un défi), mettre à disposition des connaissances dans des systèmes d’accès libres et ouverts (c’est abonder le corpus global multilingue).»

Ah ! ces «décisions engageantes» ! Cette «problématique de handicap» ! Cet «abonder le corpus global multilingue» !

Les mots manquent devant pareille abondance de goût.

Le Français à l’université, 15, 4, quatrième trimestre 2010, p. 1.

S’émouvoir avec son chimiste

L’Oreille tendue n’ignorait pas l’existence de la cuisine moléculaire. Elle découvre, grâce à un article du magazine The New Yorker daté du 3 janvier 2011, qu’un des emblèmes de ce mouvement, Ferran Adrià, le chef du elBulli, préfère parler de gastronomie «techno-emotional» («tecnoémocion», dans le texte).

Un oxymore, pour marier neurones et papilles : il suffisait d’y penser.

 

Référence

Gopnik, Adam, «Notes of a Gastronome. Sweet Revolution. The Power of the Pastry Chef», The New Yorker, 3 janvier 2011.